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Après cinq années d’indépendance, le plus britannique des horlogers de La Côte prend un nouveau départ, avec un mouvement maison. Une prise de risques mesurée. Alors que les marques de volumes se torturent à trouver le produit idéalement positionné, les indépendants acceptent le risque de déplaire. Peter Speake-Marin fait partie des seconds. Même s’il semble bien placé pour jouer de l’actuel retour au classicisme. Il s’apprête à pénétrer le marché, dès cet automne, avec un calibre maison (SM2) et une montre (Marine one) très enracinés dans la tradition horlogère. La british touch en plus et une gamme de prix (30.000 francs) très attractive pour cette classe de produits. Explications de Peter Speake-Marin: «C’est exceptionnel, mais nous avons besoin de survivre. Si les prix étaient en ligne avec le travail effectué, nous n’arriverions jamais à vendre les volumes nécessaires.» Une vision commerciale qui doit tout au long terme. En attendant, les 30 premières pièces ont trouvé preneurs depuis Baselworld. L’objectif à moyen terme est d’arriver à 200 montres par année. Le scénario le plus conservateur, selon l’entrepreneur, table sur deux années au moins avant le retour aux bénéfices. Pour tenir d’ici là et assurer le stock de composants, l’horloger cherche un ou plusieurs investisseurs. Le besoin de liquidité, non dévoilé, semble toutefois bien modeste. Juste de quoi assurer la mise sur le marché de son mouvement maison, dont le développement a pourtant dépassé plusieurs millions de francs.
La perspective de l’arrivée d’un partenaire est un pas délicat pour cet entrepreneur né autofinancé. D’ailleurs, Peter Speake-Marin n’a pas l’intention de changer, ni de quitter la barre. Il continuera de concevoir les références, planifier la production et prospecter les marchés, pour la plupart en direct.
L’aventure a commencé il y a cinq ans. L’affaire repose aujourd’hui sur quelque 200 montres par année, pour la plupart des pièces uniques, sur base de mouvement Claret, Dimier ou ETA.
L’entreprise compte six collaborateurs, directeur compris. Sa propre épouse (à laquelle il a emprunté le «Marin» de sa griffe) vient de sortir de la structure. Elle ouvrira cet été le premier point de vente de la marque en Suisse, à Rolle. Elle diligentera aussi la distribution en Grande-Bretagne et en Espagne. Peter Speake-Marin est entré en haute horlogerie en oeuvrant pour les autres. Chez Harry Winston, avec Maximilien Busser, alors que le diamantaire entamait la saga des Opus.Chez Les Maîtres du Temps, dont il a orchestré les deux premiers chapitres et dont il s’est retiré en 2008. Nous tairons les grands groupes, confidentialité oblige.
Avec un flegme très classique, il est ravis de retrouver ses propres rails et de jeter les bases d’une construction pensée pour durer: un calibre totalement dessiné en interne. Jusqu’à la pièce maîtresse, le spiral, dont la réalisation a été confiée à Atokalpa, filiale de Vaucher Manufacture Fleurier. L’ancre également fait l’objet d’un design particulier. Chacun des quelque 200 composants sont produits en soustraitance. L’assemblage s’effectue en interne. Au final, le produit est taillé pour se faire une place parmi les grands classiques. Avec un esprit unique dans l’industrie horlogère: «Le mouvement est complexe, mais n’importe quel horloger pourrait le réparer.» Reste à gagner la notoriété nécessaire pour déborder du petit cercle des collectionneurs.
L’attrait de l’exclusivité
La crise provoque aussi des effets secondaires, inattendus, mais pas toujours funeste. En horlogerie, par exemple, la chute brutale de la demande a totalement engorgé les débouchés. Pour marques de volumes du moins, qui ont toujours plus recours au marché gris. Qui plus est toujours plus souvent en direct, alors qu’auparavant, la pratique demeurait l’apanage des détaillants pressés par la valse des réassortiments imposés par les marques. Tant et plus que déstockage rime depuis des mois avec bradage. Pour les indépendants actifs sur le terrain de la spécialité haut de gamme, le marché se joue à deux temps. À noter en préambule que les labels appartenant à des groupes représentent plus de 80% de l’assortiment moyen des détaillants, qui concentrent donc leur liquidité pour satisfaire les grands opérateurs.
Au détriment des indépendants, qui n’ont souvent pas d’autre choix que de laisser des pièces en consignation. Très exigeant en termes de surface financière.
La tendance se renverse parfois. Car, effet bénéfique d’un marché sursaturé, les produits d’exception sont les derniers à résister à la braderie généralisée. De quoi aiguiller in fine les détaillants ayant conservé un peu d’indépendance sur des produits plus exclusifs. (SG)
Stéphane Gachet
AGEFI |