Robert Greubel - Réinventeur d’architecture horlogère
 
Le 03-07-2009

C’est sa passion pour les complications et une succession de déclics qui ont mené Robert Greubel à co-fonder sa propre entreprise, avec Stephen Forsey, et à présenter une incroyable première création avec double tourbillon incliné.

Le Beau-Rivage à Neuchâtel, à mi-chemin entre manufacture et demeure privée. C’est dans ce lieu paradisiaque, sur la terrasse, face à un lac qui ronronne de bonheur ce jour-là, que Robert Greubel, des Montres Greubel Forsey, fixe ses rendez-vous. Le vendredi de préférence. A 49 ans, cet éternel jeune homme se présente en jeans et maillot bleu-blanc. Les yeux, enfoncés dans les orbites, dénotent, quand ils vous fixent, vivacité et sensibilité.

Ses premières leçons d’horlogerie, toutes pratiques, alors qu’il n’a que 7 ans, il les doit à son père, qui possédait un commerce à Saint-Louis, aujourd’hui exploité par sa soeur, Karine. C’étaient juste des réparations, mais elles le fascinaient car elles lui faisaient découvrir les entrailles mêmes des montres. Il y acquiert cette «passion de travailler sur la matière, cette envie de repousser toujours plus loin les frontières à la recherche de nouvelles solutions techniques.» Son père aurait voulu qu’il dirige l’entreprise familiale où il a travaillé cependant quelques années. Il n’en affirme pas moins qu’il est devenu horloger un peu par hasard, à la suite d’une série de déclics, un terme qu’il affectionne. Et il reconnaît aussi qu’il a été favorisé par une chance incroyable qui l’a épanoui pleinement. L’épanouissement est aussi un de ses mots favoris.

Dans le Jura, à Morteau, Robert Greubel obtient, au bout de trois ans, son CAP en horlogerie. Mais estimant que ces études étaient surtout orientées vers le service après vente, il s’impose un approfondissement d’une année à Dreux, dans la célèbre Ecole d’horlogerie d’Anet. Avec, à l’horizon déjà, les complications. «J’y ai acquis des connaissances approfondies pour les constructions des mécanismes.» Ce qui lui ouvre tout de suite, en 1987, une porte, et quelle porte: celle d’IWC à Schaffhouse, ce temple qui pratique quasi religieusement, depuis bientôt un siècle et demi, l’art de la haute horlogerie. C’est alors sa première grande rencontre, celle de Günter Blümlein, un patron qui se double d’un visionnaire. Son deuxième mentor après son père. Comme prototypiste, «ce trait d’union entre la conception et la fabrication qui doit faire preuve d’inventivité et de créativité», il se mesure, quatre ans durant, à la première montre-bracelet grande complication, quantième perpétuel, chronographe et mécanisme de répétition minutes. «Ce fut une aventure géniale, une vraie révélation, après les études, de voir et de vivre surtout sur le terrain, ce qu’étaient des mouvements, des complications.» Cette grande première fut très bien accueillie à la Foire de Bâle de 1990.

Naissance d’un binôme chez Renaud & Papy

Prototypiste toujours, mais cette fois chez Renaud & Papy, devenu aujourd’hui Audemars Piguet & Papi, Robert Greubel persiste et signe. Il y passe neuf ans, de 1990 à 1999, et développe de nombreux projets de complications. Du coup, l’entreprise monte en puissance. «De vingt personnes au départ, nous étions une soixantaine à la fin.» Et surtout, il y fait la connaissance, en 1995, d’un certain Stephen Forsey, britannique, ancien de chez Asprey à Londres. Un deuxième déclic. Du coup, ils fondent leur propre entreprise, Greubel Forsey. «Nous nous complétons à merveille, chacun dans son domaine, à lui le développement technique, et à moi le reste».

Se définissant comme inventeurs horlogers, ils se lancent à corps perdu dans des voies novatrices ponctuées par le tourbillon. Et c’est tout de suite l’éblouissement. Avec le Double tourbillon incliné à 30 degrés, présenté à Bâle 2004. Ce que personne n’avait jamais osé avant eux, ils l’ont tenté. «Une vraie invention!» «Il y a une dizaine d’années, ça pouvait paraître prématuré, car on ne croyait pas trop à ce double tourbillon, Stevens et moi. Nous avons réalisé un prototype et ça a marché tout de suite.»

Le début d’un parcours royal, rythmé par la valse des tourbillons, jusqu’au quadruple, un sommet inégalé dans l’architecture horlogère. Mais dans une approche toujours artisanale, jusqu’au-boutiste et ce qui est loin d’être négligeable, esthétique. La conversation s’arrête. Robert Greubel défait sa montre du poignet et la tend. Un microcosme de dentelles de mouvements qui interprètent, au millier de seconde près, le plus beau des ballets, celui du temps. Et sur les deux côtés de la carrure, gravées et ciselées, des phrases mentionnant cette «subtile alchimie entre créativité et technicité». Les prix des montres sont adaptés à cette bienfacture. Ils vont de 300 000 francs à 670 000 francs. Les ventes, dans le monde entier, se portent bien.

Une centaine de modèles ont été produits l’an passé. Chacun demande de six à huit mois de travail. Les collaborateurs qui se dédient corps et âme à l’entreprise, sont au nombre d’une centaine, pour Greubel Forsey, mais aussi pour les deux autres sociétés, CompliTime, spécialisée dans les complications, et CT Design, qui s’occupe de design.

Il y a une vie après le travail

Mentionnée dans son curriculum vitae, la vie privée joue aussi, pour lui, un grand rôle. De son mariage avec Outi, d’origine finlandaise, qui fait aussi des complications à sa façon, par des montages à partir de différents matériaux exposés dans des galeries, à la naissance de sa fille, Aina, 17 ans aujourd’hui et qui possède deux chevaux avec lesquels elle pratique l’éthologie. Tout comme son papa d’ailleurs qui avoue une relation incroyable avec eux. «Ils m’ont appris à connaître mes limites.» Leur domaine, à Lignières, à 800 mètres d’altitude et à une quinzaine de km Neuchâtel, est une Arche de Noé, avec chiens, chats, qui s’entendent à merveille paraît-il, mulet, chèvres, poules, dindons, oies, pintades et même un paon.

Ce respect, cette symbiose avec la nature, elle se retrouvera aussi dans la nouvelle manufacture qui ouvrira cet automne aux Eplatures, toujours à La Chaux-de-Fonds. Une ferme du XVIIe siècle, en train d’être rénovée, avec son toit en bardeau et sa grande cheminée, sera le coeur de cette implantation qui comprendra également un bâtiment contemporain en bois et verre.
Michel Bonel

Tribune des Arts

 

Copyright © 2006 - 2024 SOJH® All Rights Reserved