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Karl-Friedrich Scheufele, coprésident de Chopard, a dû se résoudre à restructurer son entreprise. Pourtant, il mise sur l’avenir et investit dans la formation tout en préservant l’outil de production.
Chopard est une des perles du monde horloger suisse. Sa position d’indépendant, qui a réussi en quelques décennies avec la famille Scheufele à se mettre au niveau de maisons plus enracinées, ne l’a pas préservé pourtant de la crise qui frappe le luxe. Alors que les exportations horlogères suisses ont baissé de plus de 20% en moyenne depuis le début de l’année, l’horloger basé à Meyrin a dû se résoudre pour la première fois de son histoire récente à une restructuration.
Rencontre avec Karl-Friedrich Scheufele qui codirige avec sa soeur,
Caroline, la manufacture rachetée par leurs parents dans les années 1960.
Bilan: Quelles sont vos perspectives pour la fin de l’année?
Karl-Friedrich Scheufele : Nous terminerons probablement 2009 avec une baisse des ventes de 20%. Sur un chiffre d’affaires que nous ne publions pas mais que la presse estime avec une certaine justesse à 750 millions de francs, c’est important.
Vous allez diminuer votre effectif d’une quarantaine de personnes: allez-vous licencier?
C’est la première fois dans l’histoire de ma famille et de Chopard que nous avons dû prendre ce type de mesures. Nous préférions la réduction temporaire du temps de travail pour garder le savoir-faire dans notre entreprise, mais nous avons dû effectivement en passer par des licenciements, 37 sur un effectif en Suisse de 885 personnes.
Combien de personnes travaillent pour Chopard?
Nous sommes 1800 dans le monde et 700 rien qu’à Genève. Si aujourd’hui nous revenons au niveau de 2005, par exemple, les mesures de chômage partiel mises en place dans le secteur de la production nous permettent d’avoir des conditions tout à fait acceptables pour notre groupe.
Vous attendez-vous à une consolidation du secteur horloger après la phase de restructuration actuelle?
Il y aura sûrement des marques qui pourraient disparaître. Il y aura une consolidation du marché, mais il ne faut pas oublier que ces dernières années l’horlogerie mécanique et de luxe a connu un essor incroyable. Ce qui a permis à beaucoup d’entrepreneurs de se lancer et de concurrencer les marques établies. C’était une période profitable pour beaucoup. Mais désormais nous vivons clairement une période de repli de l’activité, ce qui devait arriver après une croissance aussi forte.
Avez-vous reçu des propositions de rachat d’horlogers par Chopard?
A ce stade, rien ne nous a été proposé.
Cette crise finira bien par se terminer. Du coup, comment vous positionnez-vous pour la reprise et quand la prévoyez-vous?
Nous sommes optimistes à moyen et long terme, c’est la raison pour laquelle nous prenons des mesures de chômage partiel qui visent à conserver nos ressources et surtout les équipes aux quelles nous tenons. De cette manière, nous pourrons produire davantage dès que la demande sera plus forte. Mais je pense que nous avons encore dix-huit mois éprouvants devant nous et je
ne vois encore pas de croissance importante dans l’horlogerie en 2010.
Franck Muller a licencié 220 personnes, Zenith 70. Vous attendiez-vous à une situation aussi difficile?
Vous comprendrez que pour moi il s’avère difficile de parler des concurrents de Chopard. Surtout que je ne connais pas leur réalité économique.
Etes-vous d’accord que le secteur horloger reste relativement hermétique?...
Certes. Mais remarquez qu’il y a des acteurs très différents dans ce domaine.
Certains sont cotés en Bourse et cultivent un autre langage que nous qui avons une autre philosophie. En tant qu’entreprise familiale, nous communiquons relativement peu mais quand nous le faisons c’est pour parler vrai.
Nicolas Hayek, président de Swatch Group, a encore dit il y a quelques semaines qu’il n’y avait pas de crise dans l’horlogerie. Qu’en pensez-vous?
J’ai réagi avec étonnement à cette vision des choses.
En tant qu’entreprise familiale, abordez-vous la crise avec plus ou moins de chances qu’un grand groupe?
Nous vivons notre activité demanière intense car nous sommes investis avec nos propres moyens dans notre entreprise. Mais nous avons plus de marge de manoeuvre car nous ne sommes pas obligés de satisfaire un actionnaire extérieur qui pourrait avoir une politique de retour sur investissement très ferme. Notre approche est plus long terme et plus sereine.
Est-ce une chance de ne pas être coté en Bourse par temps de crise?
Je vous dirai que,de notre point de vue, c’est une chance de ne pas être coté en Bourse par n’importe quel temps. Nous avons suivi depuis le début une stratégie de développementd’entreprise«pas à pas» et donc nous avons toujours travaillé avec un financement propre. Nous aurions bien sûr pu faire progresser plus vite l’entreprise en faisant appel à d’autres capitaux mais ce n’était pas notre volonté.
Vous avez investi 15 millions de francs dans votre usine de Fleurier cet automne alors que la crise commençait à se faire sentir. Dans quel but?
Avec le lancement de Chopard Manufacture en 1996, nous avons affirmé notre volonté de revenir dans ce domaine. Nos mouvements produits à Fleurier entrent dans la fabrication de montres de très haut de gamme, ce qui ne représente qu’une partie de notre production. Le but, c’est d’agrandir la capacité de cet outil de production afin de réaliser des mouvements un peu
plus modestes pour le reste de nos modèles.
Quand Nicolas Hayek estime que ses concurrents doivent produire eux-mêmes leurs mouvements, êtes-vous plutôt d’accord avec lui?
Je suis absolument d’accord avec lui. Ce n’était pas normal qu’une bonne partie
de notre industrie se repose sur Swatch Group et n’entame pas un processus de verticalisation.
Pensez-vous fournir d’autres entreprises horlogères à terme?
Pour les prochaines années, cela ne me semble pas envisageable, notre capacité de production ne sera pas assez importante. L’investissement est important dans ce domaine, aussi bien en argent qu’en temps d’ailleurs. Certains concurrents avaient proclamé que la maîtrise d’une manufacture
pouvait se faire rapidement, je n’y ai jamais cru. Il faut être patient car c’est un
métier difficile qui impose de créer des processus pour assurer une qualité irréprochable. Quinze ans plus tard seulement, je comprends dans toute sa globalité ce que cela veut dire d’être producteur de mouvements et d’ébauches.
Vous êtes réputée en tant qu’entreprise formatrice et couronnée par des prix à ce titre. Faut-il former en temps de crise?
Nous avons une philosophie formatrice. Nous avons développé une classe d’apprentis à Meyrin il y a longtemps, nous commençons à Fleurier et en 2009 nous avons continué à engager des apprentis.
Faut-il investir dans de nouvelles écoles?
Ces dernières années l’attitude de la profession à ce sujet a évolué car au moment du boom horloger il devenait très difficile de trouver du personnel qualifié dans le bassin lémanique. Des grandes entreprises, .qui auraient pu le faire bien avant avec un peu plus d’enthousiasme, s’y sont mises ainsi que des PME. J’espère que cette prise de conscience se poursuivra malgré la crise car il ne faut pas procéder d’économies dans ce domaine-là.
Quelle serait l’école d’horlogerie idéale?
L’Ecole d’horlogerie de Genève est excellente. Il lui faut simplement plus de moyens. Il conviendrait de trouver une solution entre entreprises et Etat pour ouvrir déjà une classe supplémentaire. Il manque des formateurs, nous avons nous-mêmes une personne qui passe une partie de son temps à enseigner,ainsi que des fonds. C’est un très beau métier qu’il faut encourager. Et il faudra accepter que, si nous formons à Genève, cette main-d’oeuvre travaillera peut-être un jour pour la concurrence, voire à l’étranger. Ce faisant, elle participera à sa manière à l’essor de l’horlogerie
Propos recueillis par Francesca Argiroffo (RSR) & Stéphane Benoit-Godet
Des Happy Diamonds à la crédibilité de la manufacture
Les dirigeants de Chopard ont toujours eu un coup d’avance. Quand les horlogers ne s’intéressaient que marginalement aux femmes, Caroline Scheufele a inventé la collection Happy Diamonds. Les diamants qui tournent dans une montre ou des bijoux ont propulsé les ventes de la marque.
Bien des horlogers riaient sous cape quand Karl-Friedrich s’est mis en tête de créer sa propre manufacture à Fleurier (photo). En tout 45 millions de francs investis pour assurer l’indépendance à long terme de la marque dans le haut de gamme. Depuis, cinq calibres ont été créés, le mouvement LUC créé…Et le coup d’avance est conservé.
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