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Les détaillants horlogers ne crient pas tous à l’agonie. La preuve: ils se refusent toujours à assumer la soupape de la consignation.
Rolex s’y refuse totalement. D’autres marques y recourent parfois en toute discrétion. La consignation souffre toujours d’un puissant déficit d’image. Incompréhensible, alors que les détaillants crient à l’agonie, que certaines marques n’hésitent pas à racheter leurs propres montres pour équilibrer le marché et que le réseau parallèle organise ouvertement la braderie générale. Il faudra toutefois plus qu’un tel contexte pour briser les habitudes de l’horlogerie: on ne confie pas les montres en attendant le sell out. Ainsi va la répartition des risques. La logique de gestion se comprend simplement.
Pourtant, la pratique présente au moins plusieurs avantages, en réduisant la mobilisation de liquidité et en mettant les pièces en situation de vente. D’ailleurs, la pratique valse officieusement au gré des politiques de marques et de l’arythmie de la demande. Mais toujours sous silence, comme une honteuse maladie de famille. C’est que la famille ne vit pas une tendance absolue, contrairement aux cris d’orfraie actuels. Aux Ambassadeurs, à Genève, Alexis Meyer, directeur, indique que certaines adresses marquent même une franche progression. «Jusqu’à +20% dans les régions phares pour le tourisme asiatique.» Lucerne, Interlaken ou Vaduz par exemple. A L’Heure Asch, toujours à Genève, Denis Asch évoque un chiffre d’affaires stable, accompagné d’un shift vers les montres très haut de gamme, au détriment de la majorité des marques de volumes, exception faite de Vulcain et de son mythique mouvement Cricket.
Le très parisien Laurent Picciotto, directeur de Chronopassion, évoque un classique des discussions entre détaillants: «Dans la psychose ambiante, on craint qu’il ne se passe rien, mais ce n’est pas le cas.» Si les ventes de produits dépassant les 100.000 euros s’avèrent toujours plus difficiles, les acheteurs potentiels continuent de visiter son enseigne du Boulevard Saint-Honoré. Et les montres tendance, comme Big-Bang d’Hublot, T-bridge de Corum ou Snyper, restent dans la ligne de mire des amateurs.
Pour Laurent Picciotto, c’est le résultat d’une stratégie élémentaire: continuer d’organiser l’opulence, et fuir les vitrines en galère, façon gel des achats. La consignation est donc un tabou inutile. C’est en tout cas la pensée que Laurent Picciotto a gravée sur sa vitrine parisienne. Lui-même joue sans complexe d’un mix stratégique entre achats et pièces confiées. Avec quelques règles. Le produit fait la distinction. Les marques n’ont, par exemple, aucune raison de confier les références vendues dans le monde entier. En revanche, les pièces exceptionnelles, la haute joaillerie, les nouveautés disruptives sont des clientes idéales. Alexis Meyer, des Ambassadeurs, précise: «Sur le principe, nous préférons l’achat, même si nous devons y réserver plusieurs dizaines de millions de francs. Le recours à la consignation se limite aux pièces exotiques, souvent dans le cadre d’exposition.» Tout tient ensuite sur la relation entre marques et détaillants. Le lieu commun veut qu’un vendeur sera forcément un piètre ambassadeur pour une montre confiée et que cette dernière n’aura aucune chance de passer du plateau de présentation à la vente. «Hérésie!» D’une part, les marges ne changent pas, ni côté marque, ni côté détaillant. D’autre part, un choix mesuré demeure un levier de décision évident pour l’acheteur. Difficile donc de considérer la consignation comme une pollution. La crise a déjà normalisé la répartition des forces entre marques et détaillants. Elle brisera peut-être ce dernier tabou.
Stéphane Gachet
AGEFI |