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Bonne nouvelle pour le Swiss made: la branche horlogère du diamantaire new-yorkais affirme sa résistance au mauvais environnement.
Un patronyme prestigieux, mais challenger dans le Swiss made. Un actionnariat qui se forme encore à l’horlogerie, mais rassuré par le cash flow régulier. Une ligne étroite, mais une stratégie de pénétration multicible. Toute l’originalité de la division horlogère lancée en Suisse par le joaillier new-yorkais Harry Winston. C’était il y a vingt ans. Et jusque-là, tout va bien. La marque possède aujourd’hui son bâtiment amiral, à Plan-les-Ouates et la crise pyramidale qui étouffe le secteur l’effleurerait à peine. Une prouesse en comparaison de la seule chute des exportations horlogères, encore réduites de plus de 30% au mois de juillet.
Hors départs naturels, la maison n’a d’ailleurs pas enregistré de mesures de licenciement massif sur les 117 collaborateurs actuels (pour moitié dédiée à la production, dont 18 horlogers). Hors également les collaborateurs indirects des Cadraniers de Genève, joint-venture avec François-Paul Journe. Plus symbolique, la maison a même renoncé cette année aux vacances horlogères, bien que les ateliers de Plan-les-Ouates passent un été plus calme. Un dégraissage suivant une logique linéaire aurait de toute façon été contreproductif, étant donné la réorientation du portefeuille produit vers des références plus mécaniques et plus joaillères. Un virage beaucoup plus exigeant en termes de manutention, surtout dans les parties les plus artisanales de l’habillage, de la boîte et du sertissage. La tournée des ateliers suffit à constater cette simple réalité.
A Plan-les-Ouates, l’austérité s’exerce donc encore de manière douce. Optimiste au vu de l’état actuel du marché du luxe. Joaillerie incluse. Le groupe a clôt fin avril un trimestre grevé d’une perte consolidée de 45,1 millions de dollars, comparé à un bénéfice net de 21,3 millions à la même période de 2008. Quelques projets ont tout de même été remis à d’autres échéances. Notamment dans le développement du parc machine, l’une des missions de la direction en place depuis le printemps 2008. Avec l’objectif de renforcer l’autonomie de la maison sur des postes clés. En particulier de l’habillage, qui reste le coeur de la griffe Harry Winston. Loin donc de la course au calibre propriétaire, très tendance dans le secteur. Surtout, le programme de commandes a été complètement revu et adapté aux conditions d’un marché concentré sur la nouveauté. De quoi temporiser en espérant que le creux soit aussi passager que possible. Pour l’heure, les dirigeants tablent sur des volumes dans la fourchette de croisière, soit quelques milliers de pièces, dont le détail n’est pas communiqué. La division horlogère du diamantaire mythique de la 5th Avenue (cf. «Diamonds are the girls best friends») affiche une croissance régulière depuis sa création, en 1989. Avec une rupture positive survenue il y a une dizaine d’année. Quand Maximilian Büsser (aujourd’hui indépendant, lire L’Agefi du 17 octobre 2008) a pris la direction, en 1999, la marque comptait moins de 30 collaborateurs et produisait 800 pièces par année. Avec un prix moyen beaucoup plus bas et un marché concentré à 75% sur le Moyen- Orient, dont près de 65% pour la seule Arabie Saoudite. La croissance s’est depuis largement appuyée sur le levier des prix, plus que les volumes. Le prix moyen a gonflé avec l’arrivée des montres à complication, dont les Opus et la ligne Histoire de tourbillon. Le vrai décollage s’est effectué avec l’Opus 4, vendue en série limitée à 430.000 francs.
C’est d’ailleurs avec le programme Opus (aujourd’hui au 9e chapitre) qu’Harry Winston à entamé sa véritable construction horlogère, jusqu’à la légitimité. Selon un concept qui fait florès: s’attacher, le temps d’une réalisation, les compétences d’un horloger indépendant capable d’en assurer la production. Très haut de gamme et très exclusif. Avec un rythme annuel suffisant pour amorcer et alimenter en continu une flambée de notoriété presque spontanée. L’impact positif sur les économies de campagnes image n’a jamais été estimé. Mais la presse spécialisée en redemande et les montres sont vendues avant production.
Reste à ne pas franchir la limite de la cannibalisation et laisser de la place aux produits plus intemporels, piliers de la demande, comme la ligne iconique Avenue ou plus contemporaine Océan, par exemple. Les produits féminins, à l’origine des montres Harry Winston, et la ligne masculine sont bientôt à égalité. Et la part de mouvements mécaniques augmente régulièrement (pour la plupart des calibres Sowind ou Renaud & Papi, augmentés de modules produits par Agenhor, Dimier ou Renaud & Papi).
Le portefeuille produit affiche un positionnement contrasté. Un effet recherché, entre classiques élégantes et mécaniques débridées, entre héritage joaillier et créativité horlogère. Une manière particulière de jouer la carte multi-cibles, dont Harry Winston a fait sa griffe. Une signature aujourd’hui présente sur les écrans radar des grands groupes, attentifs à ce challenger devenu une alternative. D’autant plus saillante que sa concurrence est, elle aussi, multicible. Certains hauts segments de Cartier, par exemple, pourraient se sentir visés.
Côté débouchés, Harry Winston joue aussi l’anticrise. La marque est en plein déploiement dans plusieurs pays, dont la Géorgie, la Lettonie ou l’Ouzbékistan, où elle n’était pas du tout présente. De quoi étendre le réseau de plus de 150 points de vente. La répartition géographique des ventes est présentée comme équilibrée. Avec des effets de compensation, certains marchés affichant une hausse conséquente (+50% à Singapour et en Corée, par exemple). Autre détail, Hong Kong figure parmi les deux premiers clients. L’objectif est surtout de consolider le réseau actuel, selon une stratégie rigoureuse: ne s’appuyer que sur les distributeurs. Cette connaissance de la distribution, plus habituelle en horlogerie qu’en joaillerie, traditionnellement orientée retail, constitue un argument de poids dans la régularité et la visibilité accrues sur les ventes. Tant et plus que l’expérience pourrait inspirer la division bijoux. Il n’est pas exclu à l’avenir que joaillerie et horlogerie partagent certains canaux.
«Les défis seront moins intenses au second semestre, Thomas O'Neill, CEO
Stéphane Gachet: Après 20 ans d’activité dans l’horlogerie, quel bilan dressez-vous?
Thomas O’Neill, CEO:Les montres contribuent déjà de manière significative aux affaires du groupe. En développant notre division horlogerie, notre objectif était de créer des montres équivalentes, en termes de qualité, de nos collections joaillières. Cette approche a mené à d’importants investissements. Aujourd’hui, nos montres sont devenues des objets de collection classiques. Notre série Opus en particulier démontre notre volonté de faire plus que d’habiller des simples mouvements avec des diamants. D’ailleurs, ce n’est qu’après avoir développé des pièces techniques que nous avons étendu le portfolio aux montres fashion, comme la collection femme Avenue. Cette continuelle recherche en innovation et design nous a permis de développer des créations telles que Diane ou Tourbillon Glissière plusieurs fois récompensé -notamment au Grand prix de Genève.
Et en termes de clientèle?
Par rapport à la joaillerie, la division se développe sur le même héritage. Même si la clientèle de l’horlogerie présente un profil plus diversifié. Entre les produits techniques et les montres serties, notre palette d’offres attire des acquéreurs qui se recoupent parfois avec la joaillerie. Et nos modèles les plus sophistiqués gagnent peu à peu les collectionneurs.
Quelle est votre stratégie de développement?
Nous restons concentrés sur la haute joaillerie et la haute horlogerie en mettant toujours l’accent sur design et innovation. Le groupe travaille aujourd’hui avec 19 boutiques de détail et plus de 150 points de ventes dans le monde. La marge de progression est encore suffisamment importante pour trouver de la croissance sans réaliser d’acquisition. Même si nous restons intéressés par toutes les possibilités de synergies qui pourraient se présenter.
Comment la division montre traverse-t-elle la crise actuelle?
C’est évident, toute l’industrie du luxe est affectée. Nous ne sommes pas une exception. Même si le coeur de notre clientèle demeure fidèle. Vous avez récemment beaucoup investi à Genève.
Etait-ce le bon moment?
Nous avons construit à Plan-les-Ouates parce que nous avions atteint la limite de capacité des diverses entités qui étaient alors dispersées à travers Genève. En rassemblant tous les départements sous un même toit, nous avons gagné en efficacité. Historiquement, vous êtes très attaché au marché américain.
Qu’en est-il aujourd’hui?
La diversification géographique fait partie de nos clés stratégiques. Aujourd’hui, nos ventes sont bien réparties, aux Etats-Unis, en Asie, de même qu’en Europe et au Moyen-Orient. Nous continuons d’équilibrer la présence de la marque sur le marché global.
Quelles sont vos perspectives sur l’année et sur une éventuelle reprise?
La première moitié de l’année a été très exigeante. Notamment parce que les affaires courantes, comme pour toutes les autres sociétés actives dans le luxe, sont comparées à des années de croissance très solides. Certainement que les défis seront moins intenses au second semestre. Mais personne ne peut prédire l’avenir. Nous avons pris des actions prudentes pour minimiser l’impact du ralentissement global et nous sommes prêts à répondre à une demande plus conséquente.
Stéphane Gachet
AGEFI
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