Franck Muller Watchland - Ambiance de fin de règne
 
Le 09-09-2009

Nouvelle vague de licenciements attendue, départs de managers, le groupe traverse une très mauvaise passe.

«Franck Muller, l’histoire d’une réussite. Fondé en 1992 par Vartan Sirmakes et Franck Muller, le Groupe Franck Muller (FM) possède à ce jour 9 marques, compte plus de 1000 employés et 36 boutiques dans le monde, produit 50 000 montres par an et dispose de 14 sites de production en Suisse.» En décernant le 9 octobre dernier le Prix de l’industrie à Franck Muller Watchland, la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), associée à l’Office de promotion des industries et des technologies (OPI), imaginait-elle sérieusement récompenser une entreprise exemplaire? Les seuls démêlés de la société avec le fisc auraient sans doute dû appeler à un peu de retenue.

Onze mois plus tard, le ton se fait moins conquérant. Et c’est une ambiance de fin de règne que décrivent les habitués du siège. Le groupe a procédé à plus de 250 licenciements dans le seul canton de Genève depuis le début de l’année. Et ce sans consultation, selon le syndicat Unia qui a saisi la Chambre des relations collectives de travail (CRTC). Laquelle doit rendre un verdict le 15 septembre. Deux cas sont déjà devant le Tribunal des prud’hommes et Unia n’exclut pas d’autres procédures.

Le groupe s’apprêterait à annoncer quelque 80 licenciements supplémentaires. C’est dire qu’il ne resterait plus beaucoup de forces vives dans le fief du groupe à Genthod. Interrogé par Bilan, Vartan Sirmakes, CEO du groupe, répond que «non, il n’y a pas de vague de licenciements en préparation». «Le groupe a dû se redimensionner au niveau d’il y a sept ou dix ans.» Bref, la société Franck Muller n’est plus que l’ombre d’elle-même: elle a bientôt perdu les deux tiers des 1100 collaborateurs de l’époque glorieuse, elle aurait largement plus d’un an de stock en cave et aurait vu ses ventes s’effondrer de 25% en 2007 (bien avant la crise) et de quelque 75% en 2008. Au point que de nombreux observateurs s’interrogent sur l’avenir même de Watchland et sur la volonté de son patron – qui n’a pourtant jamais manqué de détermination jusqu’ici – à poursuivre l’aventure.

Un véritable imbroglio

Vente? Cessation d’activité? Mise en faillite? Délocalisation? Toutes les pistes – y compris les scénarios catastrophe – sont envisagées dans les microcosmes politique et économique. D’autant qu’il est aussi en jeu la lourde ardoise fiscale – on parle de plus de 300 millions de francs – qui pèse sur le groupe et sur ses fondateurs. Face à l’inquiétude ambiante, les conseillers d’Etat genevois David Hiler, François Longchamp et Pierre-François Unger ont reçu le syndicat Unia le 28 août, mais ils n’ont guère rassuré.

Contrairement à ce que laisse entendre la rumeur, Vartan Sirmakes est toujours officiellement domicilié à Cologny. En revanche, il n’a plus de ligne de téléphone fixe à titre privé dans le canton de Genève, mais uniquement un numéro privé dans le canton d’Obwald où le groupe détient également une société. Reste qu’au climat morose qui prédomine à Genthod, Vartan Sirmakes semble lui préférer désormais celui de Monaco. Très régulièrement présent dans la Principauté, il y a créé le 19 juin dernier la société GFM Collection Watch Jewellery SAM. Les administrateurs ne sont autres que Vartan Sirmakes d’une part, et Chrono Star International Participations Groupe Franck Muller d’autre part, la société holding représentée par Nazareth Sirmakes (le père). «Il y a du luxe à Monaco, surtout en été, soutient le CEO. Tous nos concurrents y sont. Nous voulons y développer nos affaires.»

Voilà qui va encore compliquer l’imbroglio des sociétés de «l’empire Franck Muller». Basée au Luxembourg, la holding Chrono Star International Participations Groupe Franck Muller contrôlait 36 sociétés à fin 2007. Vartan Sirmakes (avec ou sans Franck Muller) est par ailleurs administrateur d’une douzaine d’autres sociétés en Suisse liées à l’horlogerie. Hors groupe, il est également le fondateur (en octobre 2004) et l’actionnaire unique de ArmSwissBank, une banque ayant son siège à Erevan (Arménie).

Autre objet d’étonnement: pratiquement toutes les sociétés du groupe ont changé récemment de réviseur. Pricewaterhouse-Coopers étant remplacé en Suisse par Berney Associés. «Ils nous ont présenté une offre 60% à 65% moins chère que notre précédent réviseur», argue Vartan Sirmakes. Reste que PricewaterhouseCoopers avait rédigé dans son dernier rapport une note sur le risque fiscal lié «au contentieux entre plusieurs filiales de la société et les autorités fiscales suisses portant sur les années 1999 à 2006». Evoquant les 133 millions de francs de provisions portés à cet effet à fin 2007, le réviseur insistait: «Il se peut néanmoins que le règlement final du contentieux varie sensiblementpar rapport à ce montant. Il existe dès lors une incertitude importante relative à l’évaluation de cette provision et donc à la valeur de ces filiales.» Tenue le 8 avril dernier, une assemblée générale extraordinaire a accepté la démission de Pricewaterhouse-Coopers et entériné le changement de réviseur. Et les comptes 2008 n’ont toujours pas été publiés.

Un constat amer

Le groupe Franck Muller s’est développé rapidement et a été extrêmement profitable pendant une dizaine d’années. Le premier tournant remonte à la brouille sévère entre les deux cofondateurs qui a défrayé la chronique dès la fin 2003. Après la réconciliation un an plus tard, la volonté affichée d’entrer en Bourse a confirmé le mouvement – déjà entamé – de création de nouvelles marques( Karbon, ECW, Pierre Kunz) et a accéléré le tempo des acquisitions non significatives (Martin Braun, Alexis Barthelay, Backes & Strauss, voire même Rodolphe). Le constat est amer: hors Franck Muller, le groupe n’a jamais connu le succès avec aucune autre marque. Et les efforts sur les «jeunes marques» ont été récemment coupés. Ame créatrice de sa société, Martin Braun a démissionné cet été. Pierre Kunz, qui à lui seul représente la moitié du personnel de la marque, espère encore tandis que certaines activités jurassiennes de Rodolphe seront rapatriées à Genève et d’autres sociétés fermées.

Une seule jeune marque, hors groupe, semble avoir gardé les faveurs du patron: Cvstos, propriété de Sassoun Sirmakes (le fils). Au point d’intriguer, voire d’agacer, les collaborateurs de Franck Muller. Cvstos serait systématiquement privilégiée. De quoi attiser plus encore les craintes de voir Vartan Sirmakes se détourner du groupe qu’il a cofondé. Par une vente ou par une quelconque autre issue.
Michel Jeannot

Bilan

 

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