Cabestan - « J’aime beaucoup les montres, mais je n’investis pas par passion »
 
Le 21-09-2009

Timothy Bovard, homme d’affaires américain de 49 ans, vient de racheter la marque Cabestan à son fondateur, Jean-François Ruchonnet.

Un vent d’ouest souffle sur l’industrie horlogère : le repreneur de Cabestan est un homme pragmatique et consensuel, diplômé de plusieurs universités américaines et de l’INSEAD en France, où il y enseigne comment racheter une entreprise pour soi-même. Connu pour avoir fondé CPI – Chevrillon Philippe Industrie, un groupe d’édition européen leader d'impression de livres -, Timothy Bovard se pose en gestionnaire. A ses côtés, Jean-François Ruchonnet endosse le rôle d’ambassadeur de la marque. Une complémentarité qui devrait contribuer au succès de l’entreprise. Mais Cabestan ne serait qu’une étape d’un projet plus vaste et révolutionnaire : créer l’équivalent d’une « maison d’édition » dédiée aux horlogers indépendants.

Pourquoi avoir choisi d’investir dans l’horlogerie ?
Après avoir vendu mes parts dans CPI, je ne souhaitais pas retravailler pour un grand groupe. Au début de l’année, j’ai examiné plusieurs dossiers mis sur le marché à cause de la crise et de problèmes de trésorerie. J’aime beaucoup les montres, même si je ne suis pas exactement un collectionneur. Au contraire d’autres investisseurs, je ne me suis pas lancé dans l’aventure par passion.

Connaissiez-vous l’horlogerie avant d’y investir ?
Non, mais j’ai pris contact avec des horlogers et des experts du secteur pour tester mes idées et valider le projet. J’ai également rencontré des investisseurs qui avaient fait des erreurs et perdu beaucoup d’argent. L’un d’eux, que je ne souhaite pas nommer, avait investi dans l’horlogerie par passion et perdu 15 millions de CHF. C’était très instructif.

Quand avez-vous décidé de reprendre la marque Cabestan ?
Ma première rencontre avec Jean-François Ruchonnet date de février 2009. Le temps de prendre connaissance des éléments, d’étudier le produit et le marché, nous avons signé le contrat mi-juillet. Personnellement, je trouve ça lent. Car il s’agit d’un petit dossier en regard de ceux que j’ai l’habitude de traiter.

Pourquoi avoir choisi la marque Cabestan ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que Jean-François Ruchonnet m’a été présenté par une personne très connue dans le milieu. J’ai tout de suite été intéressé par ce personnage très attachant qui veut casser les codes de l’horlogerie traditionnelle.

Jean-François Ruchonnet est un personnage atypique dans l’industrie horlogère. Comment le voyez-vous ?
Avant de le rencontrer, je ne savais pas grand-chose de lui mais on m’avait dit qu’il était excessivement créatif et je reconnais qu’il m’a fait une sacrée impression. J’ai trouvé le produit délirant et sa démarche originale. Si vous voulez créer une montre différente des autres, il faut être différent des autres. Jean-François est un charmeur et c’est parfait ainsi car il est notre ambassadeur auprès des clients, des distributeurs et des passionnés. C’est un rôle important dans la société. Par ailleurs, il a cent idées à la minute, c’est quelque chose que j’admire chez lui.

Cela peut aussi s’avérer difficile à gérer…
Oui, si on suit toutes les idées. Mais j’ai vu qu’il avait la volonté de définir des priorités, de faire un tri et de sélectionner celles qui pouvaient vraiment aboutir. Je compte aussi sur la manufacture de l’Orient et sur Eric Coudray, le père des Gyrotourbillons I et II de Jaeger-LeCoultre. C’est l’un des meilleurs horlogers de Suisse. Quand je l’ai rencontré, à Bâle, un journaliste s’est agenouillé à ses pieds devant une dizaine de personnes. C’était très impressionnant.

Pouvez-vous préciser votre concept de « maison d’édition » pour les horlogers indépendants ?
Je me suis inspiré du monde de la musique et de l’édition de livres, que je connais bien. Ils m’ont servi de modèle dans mon association avec Jean-François Ruchonnet et la reprise de Cabestan. Quand je l’ai rencontré, j’ai vu tout de suite que c’était une rock-star : il est bourré de talent et il donne le sentiment d’être toujours sur scène. Mais un horloger peut être très doué pour la création et la technique et ne pas savoir vendre ses montres ou gérer une entreprise. C’est exactement comme les écrivains et c’est pour cela que les maisons d’édition existent.

Telle que vous la décrivez, cette démarche n’a pas d’équivalent dans l’industrie horlogère…
Je ne dis pas que c’est applicable à tous les secteurs. Mais dans le cas de l’horlogerie, où le personnage du créateur est important, ça joue.

Quelle réponse faites-vous à ceux qui douteraient de votre réussite?
Nous souhaitons faire différemment des autres sans partir sur des idées farfelues qui nous mèneraient droit dans le mur. Nous formons une équipe de professionnels expérimentés qui se complètent parfaitement. C’est de cette complémentarité que peut naître le succès.

Allez-vous racheter d’autres entreprises ?
Je prends mon temps. Si je réussis avec Cabestan, d’autres artistes se manifesteront d’eux-mêmes, parce que le modèle aura fait ses preuves et les intéressera.

Quelle est votre stratégie commerciale ?

Nous visons une clientèle exclusive. Pour l’essentiel, des passionnés qui cherchent un produit différent à fort ADN, sans être un ovni. Le Cabestan Winch Tourbillon Vertical existe en différentes versions personnalisables. Son prix public est d’environ 350'000 francs suisses. Nous travaillons avec plusieurs distributeurs spécialisés : Yafriro en Asie, Seddiqi à Dubaï, Temps & Passions à Monaco, Chronopassion à Paris et Les Ambassadeurs à Genève.

Combien de montres avez-vous vendues et livrées?
A ce jour, nous avons vendu 45 pièces, qui sont en cours de livraison.

Le contexte actuel vous inquiète-t-il ?
Non, même s’il rend les clients frileux.

Avez-vous eu des annulations de commandes ?
Seulement des reports.

On trouve sur le marché des produits qui partagent le même ADN que le Cabestan Winch Tourbillon Vertical : le V4, initialement conçu par Jean-François Ruchonnet et développé par Tag Heuer, qui l’a récemment présenté à Only Watch, ou la série limitée éditée par Romain Jérôme. Ne craignez-vous pas une certaine confusion ?
Au contraire, ça montre l’intérêt pour la pièce. A Only Watch, Jean-François était le seul créateur représenté deux fois.

Quelle est la suite du programme pour Cabestan ?
Nous pensons produire une quarantaine de Cabestan Winch Tourbillon Vertical par an. A Bâle, nous présenterons plusieurs variantes et d’autres innovations. Nous préparons notamment un tourbillon hydrochrono doté d’un système de freinage à disque breveté par Jean-François. Beaucoup pensent que c’est impossible à réaliser mais nous y travaillons déjà. Pour le reste, j’ai découvert que l’industrie horlogère n’était pas réglée comme une horloge…

C'est-à-dire ?
Nous avons eu quelques surprises pour les délais, qui ne sont pas acceptables à ce niveau de prix. Nous avons donc acheté une machine outil, pour mieux maîtriser notre production et notre développement technique. A l’heure où d’autres entreprises licencient, nous allons même embaucher un 6ème horloger.

Anaïs Georges du Clos

Worldtempus

 

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