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En vendant en 2006 la marque qui porte son nom au groupe américain Timex, l’artiste horloger des hauts de La Chaux-de-fonds n’en a pas pour autant perdu sa liberté. A la tête de la manufacture avec le directeur Herbert Gautschi, il a au contraire renforcé son image de créateur reconnu cultivant son image.
Worldtempus - Que représente cette inauguration pour vous ?
Vincent Bérard - Cette manifestation est l’aboutissement de plusieurs années d’un énorme travail. J’ai enfin la sensation d’avoir terminé ma maison acquise en 1993. C’est comme un livre qui se ferme et aussi l’occasion, bien évidemment, de faire connaître la marque.
Pourquoi avoir décidé de vendre votre marque ?
J’ai créé ma marque en 2003, juste avant d’achever mon mouvement et de passer à la phase des prototypes. J’ai été passablement sollicité avant que Timex ne me fasse une offre de rachat il y a trois ans par le biais d’Herbert Gautschi qui connaissait le groupe. A ce stade, j’avais le choix de continuer seul et de réaliser des pièces pour les autres tout en rénovant ma maison, peignant et sculptant. Mais cette option ne comblais pas un grand besoin de reconnaissance, surtout après avoir été blessé par des mandataires peu scrupuleux qui se sont appropriés mes réalisations. J’ai donc décidé de faire des choses pour moi-même, de former des jeunes, mais pour cela il me fallait des fonds à hauteur de millions que seul un grand groupe pouvait me fournir.
Pourquoi avoir vendu au groupe américain Timex ?
Timex, c’est le grand frère. Un climat de confiance s’est rapidement instauré entre nous et j’ai senti qu’ils ne voulaient pas m’arnaquer ou cadenasser ma liberté. De plus, il s’agissait d’une société vieille de 150 ans exclusivement spécialisée dans les montres et en mains d’une famille ayant une grande sensibilité à l’art. Je leur ai vendu la marque tout en gardant la ferme dont j’ai financé la rénovation. Mon contrat de collaboration s’étend sur 15 ans, mais je peux partir quand bon me semble. Ce rachat a finalement été le moyen de garder le plus de liberté possible.
Vous fonctionnez en binôme à la tête de la manufacture avec votre directeur Herbert Gautschi. Comment se passe le partage des responsabilités ?
Herbert Gautschi me fait confiance dans mes choix créatifs. Nous fonctionnons comme deux capitaines avec des tâches bien distinctes mais complémentaires. C’est la configuration idéale : lui fonctionne en tant qu’ambassadeur de la marque et voyage énormément tandis que j’endosse le costume de l’artiste-horloger. Sans lui, je me retrouverais comme Pierre Jaquet-Droz avec ses automates à la cour du roi d'Espagne. Je me voyais mal frapper à la porte d’un cheikh pour vendre mes quatre montres carrosse, c’est un autre métier.
Vous avez troqué votre statut d’indépendant pour faire partie d’une grosse structure. Comment le vivez-vous ?
Timex m’a donné carte blanche. C’est clair qu’il faut trouver des compromis, car je ne travaille plus seul. Mais j’ai posé des principes et des règles. Pour moi, les détails ont une très grande importance : leur respect débouche sur un produit final de haute qualité. J’ai toutefois plus de tâches et de sollicitations à honorer, ce qui m’empêche de créer dans de bonnes conditions. C’est pourquoi, chaque mois, je pars une semaine dans un rayon de 500 km avec ma voiture et mon ordinateur. C’est la seule façon de m’immerger complètement dans mon travail et de trouver l’inspiration nécessaire pour mes prochaines réalisations.
Propos recueillis par Nicolas Paratte
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