Montres Journe - L’ataraxie de François-Paul Journe
 
Le 02-10-2009

La manufacture genevoise Montres Journe n’est pas ébranlée outre mesure par la récession. La société continue même de recruter. Avec des effectifs en hausse de plus de 10% sur un an.

Très rares sont les maîtres-horlogers qui dirigent leur propre entreprise. François-Paul Journe fait partie de ce cénacle des plus fermés. Et avec succès. Il a parcouru un chemin impressionnant en dix ans avec sa société Montres Journe, manufacture établie au coeur de Genève. C’est en effet en 1999 qu’il présente sa première collection signée de sa devise latine «Invenit et Fecit», avec en vedette, son déjà fameux «Tourbillon Souverain». Depuis, ce Marseillais truste les prix, avec notamment trois fois l’Aiguille d’Or du Grand prix de l’horlogerie de Genève. Dans le métier, c’est ce qu’on appelle un vrai artisan, un pur horloger. Malgré la crise, François-Paul Journe continue d’investir et même, exception notoire dans un secteur très chahuté, de recruter du personnel.

Quel tribut payez-vous à la crise?
Il est évident que nous ressentons les aléas conjoncturels, mais les abordons avec une certaine sérénité. Notre situation n’a pas changé du tout au tout. Un effort particulier est certes fait au niveau des dépenses mais cela n’a eu aucune incidence sur le personnel.

Pas de réduction d’effectifs chez vous, alors que de nombreuses entreprises licencient?
L’ensemble de notre personnel travaille. Nous avons même recrutés treize employés ces derniers mois. Nos effectifs s’élèvent désormais à 120 personnes, dont 60 au siège à la rue de l’Arquebuse à Genève. Le reste est réparti dans notre propre réseau de distribution et au sein de nos filiales actives dans les cadrans et les boîtiers.

Est-il désormais plus facile de recruter des horlogers qualifiés?
Etonnamment non, malgré les licenciements qui ont été prononcés depuis une année. Nos produits étant hautement complexes, nous sommes toujours à la recherche d’horlogers très expérimentés. Cela dit, comme la période s’avère plus calme, nous pouvons davantage former notre personnel à l’interne. Nous avons énormément misé sur la formation cette année.

Malgré l’orage conjoncturel, vous continuez d’investir dans vos propres boutiques…
En effet. Début novembre, nous inaugurons deux nouveaux points de vente Montres Journe. Le premier à New York sur Madison Avenue. Les prix de location y sont devenus très raisonnables (rires). Le deuxième à Pékin. Au total, nous disposerons alors de sept boutiques, dont une en franchise, celle de Boca Raton. Singapour pourrait suivre prochainement, un projet pour l’heure gelé. C’est un processus qui prend du temps. Si trouver un emplacement ne représente pas de difficultés particulière, on ne peut pas faire de compromis sur la formation.

Les détaillants sont-ils réellement à l’origine de la crise, comme on l’entend souvent dire?
La responsabilité est partagée, autant par les détaillants que par certains horlogers. Pour les premiers, leur attitude s’est avérée bien souvent passive. Ils n’ont pas cherché à construire leur clientèle, comme le fait par exemple Patrick Cremers à l’Emeraude à Lausanne. De plus, ils ignorent souvent la substance des produits qu’ils vendent. Mais comment peut-il en aller autrement, lorsque vous proposez quarante marques, alors qu’il est déjà difficile d’en connaître une seule? Nous avons d’ailleurs cessé notre relation avec certains détaillants et cet assainissement va se poursuivre dans la durée.

Et les horlogers?
Beaucoup de détaillants ont été grugés, parfois laissés exsangues suite à la perte de raison des grands groupes. Ces derniers inondaient tous les marchés de milliers de pièces, qui désormais dorment dans les stocks. Mais il fallait faire du chiffre à tout prix, embellir les comptes, séduire les actionnaires. Ce monde de l’illusion est en train de s’écrouler.

La relation détaillants-sociétés horlogères va-t-elle changer?
Le processus est déjà en cours. Tout va, ou devrait pour le moins, repartir sur des bases plus saines. D’ailleurs de nombreux détaillants ne veulent plus travailler avec les grands groupes, préférant désormais établir des relations solides avec les marques indépendantes. J’y vois une des grandes leçons de la récession actuelle.

Y en aura-t-il d’autres?
La deuxième sera la forte diminution, voire la disparition, de l’ostentatoire. En d’autres termes la fin du règne du bling-bling. Le client exige désormais de la substance et non plus des montres fabriquées comme des jouets. Conséquence de ces deux éléments, l’industrie ne va pas retrouver ses niveaux d’avant la crise. Du moins pas de sitôt.

Combien de pièces avez-vous écoulées l’an passé? Quel objectif pour 2009?
Nous avons produit 850 montres en 2008. Cette année, comme déjà évoqué, l’accent a été mis sur la formation à l’interne, avec un soin tout particulier apporté à nos nouveaux produits, comme le Centigraphe ou la Répétition Minute. Ou encore la Vagabondage 2 qui arrivera sur les établis dans un mois et qui est, dans un premier temps, réservé aux détenteurs de la première version. Les collectionneurs lui ont conféré un excellent accueil. Tout cela pour dire que la production en 2009 sera légèrement inférieure, même s’il est impossible de donner un chiffre précis.

D’autres projets dans le pipeline?
C’est une évidence. Et même pour plusieurs années. D’ailleurs, chacun d’entre eux prend beaucoup de temps, jusqu’à sa réalisation finale. Nous travaillons actuellement à une nouvelle collection exclusivement féminine, la première pour notre société. Selon nos principes, notre philosophie, nous lançons cette gamme parce que nous avons quelque chose de différent, de nouveau à apporter.

L’indépendance, toujours le maître- mot?
Bien sûr. C’est notre mode de vie. Seule cette liberté permet à la marque de mener à terme ses projets. Beaucoup seraient impossibles à réaliser au sein d’un groupe. Nous ne voulons pas d’un développement anarchique. Nous nous hâtons lentement. Notre première préoccupation consiste à maîtriser la qualité et la quantité, puisque notamment notre clientèle est très haut de gamme, avec un prix moyen de 60 000 francs.

Vous avez un projet d’extension de votre siège…
En effet. Nous souhaitons construire un étage supplémentaire. Nous avons besoin de davantage de place pour nos différents ateliers. Je caresse toujours l’espoir de fonder un jour une école d’horlogerie. Les travaux pourraient débuter l’année prochaine, si toutes les autorisations sont obtenues. Or, ce sont des paramètres qui nous échappent complètement.
Interview Bastien Buss

AGEFI

 

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