Révolution digitale
 
Le 05-10-2009

L'intérêt pour l'affichage digital s'est accru au cours des dernières années.

Si les montres dotées d’une indication digitale de l’heure ne représentent pas une nouveauté, la créativité des horlogers au cours des dernières années a conféré un intérêt accru au concept d’affichage digital.

Nous connaissons de longue date les garde-temps qui affichent l’heure à l’aide de chiffres qui se modifient plutôt que par l’entremise d’aiguilles et autres index car ils sont presque aussi anciens que l’horlogerie elle-même. Le regain de créativité enregistré dans ce domaine au cours des dernières années a montré avec éloquence que l’histoire constitue toujours l’une des sources d’inspiration les plus riches pour les designers contemporains qui ont l’ambition de façonner les montres de l’avenir.

S’il est sans doute exact que le rythme d’une innovation incessante s’est quelque peu ralenti à la suite des récents changements socio-économiques et du rôle tenu par les cadrans à l’apparence classique dans la création de garde-temps à la grande variété de fonctions et à la séduction durable, les meilleurs horlogers ont amplement apporté la preuve au cours des derniers siècles qu’un style novateur qui se rit des canons de la mode ne constitue pas la chasse gardée de la montre ronde à affichage analogique. Loin de faire figure de réalisations au caractère exceptionnel, les garde-temps mécaniques à indication digitale de l’heure incarnent désormais un segment permanent du paysage horloger, qui connaît actuellement un vigoureux essor.

L’histoire du changement instantané

Plusieurs manières d’afficher l’heure coexistent dans le domaine des mécanismes contemporains à affichage digital : de simples indications sautantes à des variations exotiques où la construction utilisée pour indiquer le temps rivalise ou dépasse en complexité le rouage même de la montre.

Les garde-temps qui recourent à une forme ou à une autre d’affichage analogique ou d’indication instantanée (sautante) font, à l’évidence, partie du panorama horloger depuis longtemps. Les montres à heures sautantes ont rencontré la faveur d’un public averti au cours des années folles jusqu’à l’apparition de la grande dépression de 1929. Elles ont connu un bref regain de popularité au cours de la décennie 1970, même si les réalisations de l’époque s’apparentaient davantage à des gadgets mécaniques à la construction fascinante plutôt qu’à des instruments de qualité dotés d’un affichage original de l’heure.

Les montres digitales de Chronoswiss

Dans l’ère mécanique qui s’est ouverte après la révolution du quartz, l’une des premières réalisations horlogères véritablement originales était la Delphis de Chronoswiss. Lors de sa présentation en 1996, elle a suscité l’enthousiasme des critiques car elle incarnait une approche complètement différente de l’affichage de l’heure et associait deux combinaisons intéressantes : les heures sautantes et une aiguille rétrograde pour les minutes. Si ce modèle s’écartait avec bonheur des montres de la même période, qui cherchaient pour la plupart à se distinguer des garde-temps à quartz et s’attachaient ainsi à refléter des valeurs plus conventionnelles, il peut également se targuer d’avoir donné naissance à un intéressant événement à la portée historique. En effet, la montre était équipée d’une version profondément modifiée du classique calibre Enicar 165, présenté en 1967. Chronoswiss a doté le mécanisme d’une finition raffinée et, outre l’adjonction des heures sautantes et de l’aiguille des secondes rétrogrades, a apporté d’autres perfectionnements techniques au point qu’aujourd’hui encore cette montre demeure dans son parfait équilibre et sa pureté stylistique l’un des plus beaux exemples de montre-bracelet à heures sautantes.

Chronoswiss produit aussi la Digiteur, qui abrite, à l’instar de la Delphis, un mouvement vintage (en l’espèce, le calibre de forme fef 130 qui a vu le jour en 1933) combiné avec un élégant boîtier à la taille de guêpe et deux disques rotatifs pour les minutes et les secondes en complément de l’indication des heures sautantes.

L'art des indications rétrogrades par Gérald Genta

Un autre adepte célèbre des heures sautantes est, naturellement, Gérald Genta. Tant la ligne de haute horlogerie Octo Retro de la marque que les amusantes créations horlogères qui mettent le personnage de Mickey à l’honneur comportent une combinaison d’affichages rétrogrades pour les minutes et la date ainsi qu’une indication sautante de l’heure. Il est plaisant de se souvenir aujourd’hui qu’au moment où Gérald Genta a présenté sa première montre “ Mickey Mouse ” lors de la foire de Bâle en 1984, les organisateurs de la manifestation l’ont vivement prié de quitter l’enceinte du salon afin d’exposer son garde-temps iconoclaste dans d’autres lieux.

Dans l’environnement horloger contemporain où la liberté semble ne plus connaître de limites, il paraît difficile d’imaginer que les fabricants horlogers souhaitaient, en des temps relativement proches, donner d’eux-mêmes une image empreinte d’un tel sérieux au point de bannir de l’Olympe de l’horlogerie un esprit talentueux et novateur qui avait commis pour seul crime l’abominable forfait de faire preuve d’inventivité et, Dieu puisse-t-il lui pardonner, d’une certaine ironie en matière de design. Il en était pourtant bien ainsi et Gérald Genta a personnellement confirmé la véracité de l’anecdote. Les années ont passé depuis que Genta était associé avec la marque qui porte toujours son nom (devenue depuis lors la propriété du groupe Bulgari), mais les montres rétro Fantasy qu’il a créées demeurent l’un des rares exemples d’un design horloger qui associe tout à la fois un affichage inhabituel de l’heure et un délicieux sens de l’humour.

Les radicales machines spatiales d'Urwerk

Nul ne s’étonnera que les méthodes originales pour afficher l’heure exercent une forte attraction sur les horlogers dont l’esprit est naturellement enclin à rechercher des solutions peu conventionnelles et à souhaiter frapper les esprits par des réalisations au caractère avant-gardiste. Et même si d’un strict point de vue horloger il s’agit davantage de mécanismes à heures mobiles qu’à heures sautantes, les montres Urwerk créées par Felix Baumgartner et Martin Frei sont incontestablement devenues des classiques modernes par leurs modes inédits d’affichage de l’heure.

Pierre angulaire des efforts en design d’Urwerk, la UR-202 recourt à un système de cubes rotatifs montés transversalement sur des aiguilles télescopiques qui progressent à travers le secteur des minutes tout au long de l’arc de cercle emblématique situé sur le bas du boîtier. Plus récemment, Urwerk a démontré une autre variation fascinante de l’utilisation d’un affichage de la date non traditionnel : la Urwerk CC 1 “ King Cobra ” se fonde sur un prototype réalisé à la fin des années 1950 par l’horloger Louis Cottier pour Patek Philippe, qui décida en fin de compte de ne pas donner suite au projet. Sur cette montre extrêmement originale, deux fenêtres disposées de manière linéaire affichent les minutes et les heures – les minutes sont indiquées par une ligne noire qui s’allonge et se déplace à l’intérieur de la fenêtre des minutes (la ligne qui s’allonge est une illusion donnée par la rotation d’un cylindre avec une forme de spirale sombre), les heures sont indiquées par un autre cylindre qui saute quand l’heure avance. La CC 1, qui associe des indications linéaires, analogiques et sautantes, restera probablement un cas unique dans l’histoire de l’horlogerie.

La Manufacture Contemporaine du Temps, une collaboration entre Jérôme Marcu, Eric Giroud et Denis Giguet, a réalisé une montre-bracelet qui, à l’instar de la CC 1, défie toute catégorisation évidente. La Sequential One de MCT n’est ni une montre à heures mobiles, ni à heures sautantes dans le sens habituel du terme. Elle présente quatre éléments pour afficher l’heure, disposés autour du cadran, dont chacun est en mesure d’afficher l’un de trois chiffres, car ils sont composés d’éléments rotatifs de section triangulaire qui tournent lentement au fur et à mesure du passage des heures, de sorte qu’au moment où la 60e minute est atteinte, l’heure correcte s’affiche. Le dévoilement de l’indication est effectué par un cadran à saut instantané, dans lequel une ouverture de 90 degrés pratiquée dans l’échelle des minutes, qui permet la lecture de l’heure, saute en position par un pivotement d’un quart de tour dans le sens antihoraire – ce mouvement repositionne le point zéro de l’échelle des minutes sous l’aiguille des minutes, qui poursuit sa course dans le sens horaire.

Christophe Claret et Harry Winston

Si le chronographe Dualtow de Christophe Claret n’est pas une montre à heures sautantes au sens strict du terme, la première montre produite sous son nom par le célèbre spécialiste des complications à l’occasion du vingtième anniversaire de son activité de création horlogère, possède un affichage de l’heure qui ne ressemble à aucun autre. Il est en effet constitué de deux courroies qui se déplacent verticalement de part et d’autre d’un cadran rectangulaire, montrant le passage de l’heure par le déplacement des chiffres sous un cadre métallique. Même si la première raison d’être de la Dualtow réside dans un remarquable mécanisme de chronographe novateur, l’affichage inhabituel du temps contribue dans une large mesure à son apparence étonnamment futuriste.

Fondée sur des principes semblables, l’Opus 9 de Harry Winston recourt également dans une surprenante coïncidence à deux courroies pour indiquer le passage des heures et des minutes. cependant, sur l’Opus 9, ce sont les indicateurs (constitués par des diamants baguette blancs et des grenats pour indiquer l’endroit où lire l’heure sur l’échelle mobile) qui se déplacent plutôt que les chiffres. Au cours de la dernière décennie, Harry Winston a été l’un des pionniers des indications horaires peu conventionnelles, depuis l’Opus 3 aux six indications sautantes que le monde horloger attend depuis fort longtemps jusqu’aux “ satellites horaires ” de l’Opus 5, en passant par le mécanisme original des pixels sur l’Opus 8, où l’heure exacte est révélée par la pression d’un poussoir disposé dans le bracelet.

Dubois Dépraz n° 14400

La complication de l’heure sautante n’est pas destinée à figurer uniquement sur des calibres de manufacture. A un niveau nettement plus accessible, il importe de mentionner le numéro 14400 du catalogue Dubois Dépraz – un module d’heure sautante développé pour le calibre Eta 2892. Avec la fiabilité et la souplesse qui ont fondé la renommée du fabricant horloger, ce mécanisme confère une dimension additionnelle aux avancées de design d’une large gamme de manufactures, à l’instar de Baume & Mercier ou Edox, tout en ajoutant variété et intérêt à leurs collections principales.

Audemars Piguet, Vacheron Constantin, Jaquet Droz

Assurément, les manufactures à l’orientation plus classique (ce qui ne signifie aucunement en ce cas conventionnelle) n’hésitent pas à se tourner également vers l’héritage séculaire de l’affichage des heures sautantes pour mettre en valeur leurs créations horlogères. Dans la version de 2008 au cadran fermé et de 2009 avec un cadran ouvert dans une exécution artistique à couper le souffle, la Répétition Heures et Minutes Sautantes Jules Audemars d’Audemars Piguet, l’un des plus grands spécialistes des complications de haute horlogerie (et un créateur depuis des décennies de divers modèles de montres à heures sautantes), incarne l’illustration d’un raffinement hors pair qui atteste de l’observation d’une exquise tradition horlogère.

La collection Métiers d’Art “ Les masques ” de Vacheron Constantin représente un autre exemple où les propriétés des affichages numériques (en ce cas non-instantanés) sont utilisées pour un obtenir un effet artistique inhabituel et spectaculaire. Libérées des aiguilles qui encombrent le cadran, les montres de la série “ Les Masques ” deviennent une toile sur laquelle prennent naissance d’authentiques miniatures artistiques sur des réalisations de haute horlogerie.

Jaquet Droz a aussi présenté en 2009 une version émaillée noire de sa montre à heure universelle Douze Villes, une pièce puriste qui rend soudainement obsolète le vocabulaire pléthorique de tant de montres modernes par son absolue et superbe simplicité.

La Zeitwerk de A. Lange & Söhne

Il importe naturellement de ne pas oublier la nouvelle montre Zeitwerk. Il s’agit de la première montre de A. Lange & Söhne à posséder un affichage entièrement digital sur lequel toutes les indications (les chiffres des heures et des minutes) sautent de manière instantanée. La Zeitwerk n’est pas uniquement une réalisation exceptionnelle d’un point de vue technique, mais aussi une affirmation éloquente de la volonté pour la manufacture de prendre des risques tout en respectant les plus hauts standards d’exécution et de finition qui ont caractérisé les réalisations de la marque depuis la Lange 1.

La Meccanico de Grisogono

Finalement, il ne saurait être question de refermer le chapitre des indications mécaniques digitales sans faire mention, une fois encore, de la superbe réalisation présentée par de Grisogono lors de Baselworld 2009 sous la forme d’un prototype entièrement fonctionnel de sa montre mécanique digitale Meccanico. La transition sans le moindre accroc de l’affichage du temps est un témoignage éloquent de l’opiniâtreté démontrée par de Grisogono et son propriétaire Fawaz Gruosi pour parvenir à développer et mener à bien cette construction d’une profonde originalité.
Jack Forster

Worldtempus

 

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