Henri Duvoisin - Quand d’anciens mouvements prennent enfin vie
 
Le 06-10-2009

La marque neuchâteloise doit sa résurrection au hasard et à la ténacité de deux amis.

Dans les tiroirs des horlogers dort un trésor insoupçonné. Riche d’innombrables mouvements inutilisés, il constitue un patrimoine largement inexploité et souvent menacé. Mais l’horlogerie de niche réserve parfois des surprises, à l’instar de la marque neuchâteloise Henri Duvoisin qui doit sa résurrection au hasard et à la ténacité de deux amis.

« Rien ne se serait passé si je n’avais pas découvert ces anciens mouvements assemblés par Henri Duvoisin chez un fabricant de Porrentruy », raconte Jean-Dominique Cornu, 63 ans, instigateur du renouveau de la marque et patron de la société Valrutech.

Soixante ans, c’est l’âge des mouvements que cet entrepreneur de Chézard, dans le Val-de-Ruz (NE), a déniché pour en faire 60 montres uniques au design classique et très tendance. Le rachat de la marque à André Duvoisin en 2001 ne fut que le début de ce concours de circonstances qui l’a mené lui et son complice Jean-Marc Breguet, photographe de montres de luxe de 55 ans, dans cette aventure horlogère. Passionnés de leur produit, tous deux veulent rester fidèles à sa mémoire et à ce plateau au-dessus de Neuchâtel où l’entreprise s’était implantée jadis.

Une saga familiale et le renouveau

A la fin du XIXe siècle, le village de Geneveys-sur-Coffrane compte une brasserie, une herboristerie, une fabrique de pâtes alimentaires, deux de cadrans et une de ressorts ainsi qu’une usine de meubles. Ne manque plus qu’une fabrique de garde-temps. Après quelques tentatives qui se soldent par des échecs, Paul-Fritz Duvoisin, horloger de son état à Courtelary (BE), y ouvre un atelier d’horlogerie en 1904.

L’entreprise Duvoisin & Cie fait du montage de mouvements et manufacture ses propres montres. Deux descendances poursuivront l’œuvre de l’aïeul jusqu’en 1996, exportant en Europe et en Amérique latine. Avant son décès en 2004, André Duvoisin souhaite que la marque lui survive et incite son client et ami Jean-Dominique Cornu à reprendre le flambeau. Ce sera chose faite, d’abord avec le rachat de la marque, mais surtout avec la récupération d’un lot de 60 mouvements de la Fabrique d’ébauches de Fleurier assemblés par Duvoisin & Cie.

Un travail d’artisans chevronnés

Ce trésor oublié, de l’âge d’or final de la montre mécanique, va donner naissance à deux séries limitées de montres qui seront commercialisées à partir de 2008 et présentées à Baselworld. La version classique, produite à 35 exemplaires numérotés, coûte 11'500 francs pièce tandis que les 25 modèles dits "Régulateur" se négocient 14'500 francs. Les deux garde-temps frappent de par leur dimension avec un boîtier avoisinant les 50 mm de diamètre. Les deux responsables du renouveau de la marque Henri Duvoisin & Cie ont avant tout voulu rechercher la qualité et la réalisation de la belle pièce en quantité limitée qui séduise le collectionneur averti.

A cet effet, ils se sont reposés sur le savoir-faire essentiel d’artisans horlogers très expérimentés, notamment de deux Biennois, Eric Furrer et William Béguelin, respectivement termineur et rhabilleur-restaurateur. En tout, ce sont trois corps de métier, soit six à sept personnes, qui sont parties prenantes au projet. Ce sont elles qui ont donné aux deux premières montres leur valeur ajoutée en rénovant les mouvements et en les intégrant dans un emballage soigné, le tout garanti 100% suisse. 



Juste un coup d’essai ?

Aujourd’hui, plus d’un tiers de la production est déjà écoulée, principalement par le bouche à oreille et sans véritable distribution. Si tout pourrait s’arrêter là, d’autres projets cogitent dans l’esprit de ce duo aux connaissances éclectiques. La marque a d’ailleurs déjà poursuivi sur sa lancée en enrichissant sa collection d’une nouvelle série limitée à trois exemplaires avec son chronographe monopoussoir. Celui-ci comprend un mouvement historique de la « mythique » manufacture Valjoux des Bioux (VD), datant des années 1910 à 1929, restauré à l’ancienne et anglé à la main durant plus de 60 heures. Prix : quelque 53'000 francs.

La prochaine étape prendra la forme d’un quantième perpétuel grâce à 8 mouvements « Cal. Omega 716 » de l’époque Louis Brandt (2e moitié du XIXe siècle). 



Revaloriser tout un patrimoine

La reprise d’une marque et de son héritage est chose courante dans le monde horloger. L’intégration de pièces anciennes dans de nouvelles montres, comme le fait Henri Duvoisin, l’est beaucoup moins. Les deux amateurs d’un produit bien fait et respectueux de la tradition l’ont bien compris.

Jean-Dominique Cornu, plongé depuis plusieurs décennies dans le bain de l’industrie horlogère, regrette que les vieilles générations d’horlogers laissent leurs pièces de côté et ne les transmettent pas à la nouvelle, voire les éliminent. C’est seulement grâce à ses relations qu’il a pu mettre la main sur les mouvements anciens qui ont permis de relancer la marque.

Le duo envisage toutefois d’utiliser des mouvements contemporains pour créer des montres dans une gamme de prix plus basse, mais « hors des influences des grands concurrents, notamment du groupe Swatch », précise le neuchâtelois. Celui qui fut à l’origine en 1985 du prototype de la montre CFF espère ainsi que l’industrie horlogère revienne à plus de technique et moins de luxe. Il reste toutefois lucide en estimant que « dans l’horlogerie, il faut avoir la tête et les reins solides. » Et son collègue Jean-Marc Breguet de renchérir: « Si ça peut aller plus loin, tant mieux. » Gageons que les dizaines de milliers de pièces qui dorment dans les tiroirs ont de beaux jours devant elles.
Nicolas Paratte

Worldtempus

 

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