A l’est, tout reste à faire
 
Le 19-10-2009

Spécialiste de l’ex-URSS, Alexandre Schwab évoque la complexité de la distribution en Russie ainsi qu’en Asie centrale.

Ancien Directeur Commercial de la manufacture Parmigiani Fleurier, Alexandre Schwab a créé Forum Distribution en 2001 pour représenter la marque Corum dans les pays de l’est. Depuis, il a étoffé son offre et distribue également Graham et Arnold & Son (British Masters), Chronoswiss, Concord, Cvstos, JeanRichard, Manufacture Contemporaine du Temps (MCT), Louis Moinet, Volna et Wyler. Il emploie 10 personnes en Suisse et 12 en Russie.

Vous travaillez avec des détaillants russes depuis presque 10 ans. Que retenez-vous de vos relations avec eux ?
Les Russes ont souvent l’image d’un peuple rustre mais la réalité est plus complexe. Ce sont des gens instruits et professionnels qui tiennent parole. La confiance et l’honneur sont extrêmement importants dans les affaires. En 9 ans, nous n’avons eu aucun impayé. C’est assez rare en Europe, et ailleurs dans le monde.

Les Russes sont donc loin des caricatures faciles qui circulent à leur propos…
Si l’on considère que ce peuple a été privé pendant 60 ans de biens auxquels nous avions accès en Europe occidentale, on comprend pourquoi ils sont fiers de montrer leur réussite sociale. Pour eux, rien n’est assez beau.

Cela a-t-il changé avec la crise ?
La bourse de Moscou a chuté d’environ 70% sur les 12 derniers mois. Mais les clients - dont certains ont perdu 30 à 40% de leur fortune - peuvent encore se faire plaisir. Concrètement, la demande a baissé pour les produits entre 100'000 et 150'000 francs suisses, mais elle reste stable pour les pièces à plus de 200'000 francs suisses. Au moment où la spéculation connaît l’une des crises les plus graves de son histoire, la matérialité de la montre semble rassurer.

Est-ce à dire que les Russes considèrent la haute horlogerie comme un investissement ?
C’est possible, bien que j’aie toujours été dubitatif sur la notion d’investissement. Excepté pour une ou deux marques, bien entendu.

Comment la distribution a-t-elle évolué en Russie ces dix dernières années ?
Toutes les marques sont aujourd’hui présentes en Russie, souvent à travers des filiales, qui sont apparues avec les grands groupes à la fin des années 90. Pour ma part, je pense que c’est une erreur stratégique car, outre le coût de création et de gestion des boutiques, il faut compter avec l’instabilité politique, les droits de douanes, les lois qui évoluent en permanence et deux ou trois subtilités qui ne sont pas écrites dans les manuels.

C'est-à-dire ?
Certaines règles du jeu demeurent officieuses. Quand on sait comment ça fonctionne, on préfère utiliser un intermédiaire plutôt que de s’exposer directement.

Vos rapports avec les marques ont-ils changé ?
Il y a vingt ans, les contrats de distribution s’étalaient sur 10 à 15 ans. Aujourd’hui, les marques proposent un contrat de trois ans. Comment voulez-vous créer un réseau de distribution en si peu de temps ? Même dans le cas d’un succès tel que Corum - 30 points de vente ouverts dans une douzaine de villes depuis 2001 -, il faut compter au moins cinq ans d’investissement avant que la marque ne devienne rentable. Dans ces conditions, le distributeur risque d’adopter un comportement opportuniste et de concentrer ses investissements sur les marques qui lui donnent des assurances à long terme.

Quelles autres difficultés rencontrez-vous sur le terrain ?
Les douanes, car les formalités sont longues et pénibles. Mais depuis la crise, on doit également faire face au manque de liquidités, aux stocks et à la pression que les grands groupes sont tentés d’exercer sur les détaillants pour qu’ils favorisent leurs marques au dépend des nôtres.

Et les prix ?
Il y a effectivement un problème de prix car les taxes restent élevées en Russie (30% de droits de douanes et 20% de TVA). Mais le jour où le pays entrera dans l’OMC les prix s’adapteront. C’est une question de temps.

Quelle est votre stratégie anti-crise ?
Notre objectif est de renforcer notre réseau de distribution. Pour cela, nous visitons nos points de vente le plus souvent possible pour leur montrer que nous sommes un partenaire fiable, même dans les moments difficiles. Pour cela, nous avons baissé nos dépenses en communication mais maintenu les frais de déplacement et de formation. De plus, je prospecte d’autres villes que Moscou et Saint-Pétersbourg, qui représentaient 80% des affaires il y a encore 6 à 7 ans. Je visite des villes de province comme Rostov ou Kazan, capitale de la république musulmane du Tatarstan, qui compte plusieurs millions d’habitants. Nous n’y vendrons probablement pas de grandes complications comme à Moscou, mais la classe moyenne qui s’y développe constitue un réel potentiel pour la distribution locale. Enfin, nous nous déployons dans des pays en transition comme l’Arménie et là où les réserves de pétrole et de gaz sont importantes, comme au Turkménistan.

Pourquoi est-ce stratégique?
En dehors des oligarques locaux qui sont toujours des clients potentiels, ces pays font partie de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) et ont signé des accords de libre-échange avec la Russie (Ukraine, Kazakhstan, Tadjikistan …). Si je prends l’exemple de Corum, nous devons éviter qu’un Tadjik achète des pièces en direct à Bâle et les revende à Moscou 30% moins cher. En verrouillant ces territoires, nous protégeons le réseau des revendeurs officiels. En somme, nous faisons un peu la police.
Propos recueillis par Anaïs Georges du Clos

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