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Devenue un modèle iconique de l’horlogerie digitale, la G-Shock a été développée dans le plus grand secret il y a plus de 20 ans.
Vendue à près de 50 millions d’exemplaires dans le monde, la Casio G-Shock fête son quart de siècle. A l’occasion d’une soirée mémorable organisée au Musée de l’Homme à Paris mi-octobre, nous avons rencontré l’inventeur de cette montre culte: Kikuo Ibé, un ingénieur japonais de 57 ans à l’allure d’éternel adolescent.
Interview exclusive.
Paul Miquel: Comment est née la G-Shock?
Kikuo Ibé: Pendant longtemps, j’ai porté une montre que mon père m’avait offerte. Je ne peux pas vous révéler la marque mais elle était mécanique et, par inadvertance, je me souviens l’avoir fait tomber. Elle s’est alors cassée. J’avais été très peiné et je m’étais secrètement promis de fabriquer, un jour, une montre incassable, impossible à détruire. A l’époque, j’étais déjà ingénieur chez Casio où j’avais été embauché en 1976. Cinq ans plus tard, le projet fou de réaliser une véritable montre incassable devenait réalité.
Vos directeurs étaient-ils convaincus de l’intérêt commercial d’un tel projet?
Oui, mais ils attendaient de voir. Les persuader n’était pas vraiment un problème car Casio était et continue d’être une entreprise très libérale, ouverte aux bonnes idées. J’étais ingénieur en recherche et développement et j’avais reçu une note de production plutôt précise: concevoir une montre-bracelet qui résiste aux chocs, aux chutes et aux vibrations. Au début, je pensais que ce serait facile mais, dès les premiers tests, j’ai compris que ce projet allait prendre plusieurs années. De plus, en interne, ce projet était classé «secret défense» et il fallait être très discret dans nos bureaux de Tokyo. Par exemple, pour les tests de chute, j’étais obligé de monter dans les toilettes du troisième étage et de jeter par la fenêtre les premiers prototypes qui se fracassaient invariablement au sol.
Etiez-vous seul à travailler sur le projet?
Jusqu’à ce que la structure de la montre soit complètement définie, je travaillais effectivement en solo. J’ai ensuite été rejoint par un autre inventeur de la maison, Takashi Nikaïdo, et une équipe a été constituée. En attendant, les tests préliminaires étaient de véritables casses-tête. Je plaçais des amas d’élastiques autour des prototypes qui faisaient la taille d’un gros bol! Il y avait toujours un élément de la montre qui se cassait. Pendant des mois entiers, j’avais l’impression d’être dans une impasse. Et puis, c’est en voyant des enfants jouer dans un parc avec un ballon et le faire rebondir, que j’ai trouvé la solution: une structure flottante permettant, entre des points fixes, de supporter les composants.
Quel fut l’accueil réservé aux premiers modèles?
A son lancement, en 1983, presque tout le monde la trouvait moche et personne n’y croyait. Au Japon, les distributeurs, les horlogers et même certains de mes collègues se montraient très dubitatifs sur le potentiel commercial d’une telle montre. Il a fallu une plus d’une dizaine d’années pour qu’elle commence à trouver un public.
Comment s’est produit le déclic?
En 1995, un importateur américain a introduit plusieurs modèles G-Shock dans un catalogue de vente, spécialisé à l’origine dans des produits de la culture de rue comme les skateboards, les pantalons baggy ou les casquettes. Presque immédiatement, les mordus du skateboard se sont approprié cette montre avec laquelle ils pouvaient continuer à faire les 400 coups sur leur planche à roulettes. La mode est donc partie des Etats-Unis via les skate-parks, les magasins spécialisés et le bouche-à-oreille dans la rue. La G-Shock fut d’abord populaire en Amérique avant de l’être au Japon et en Europe.
Techniquement, les modèles les plus récents de G-Shock ont sensiblement évolué avec la technologie radio-pilotée et l’énergie solaire sans jamais perdre une once de leur signature esthétique originelle. Comment voyez-vous la G-Shock du futur?
Je la vois très communicante, forcément. J’imagine deux personnes dans une rue portant une G-Shock et activer une fonction permettant à leur montre respective d’échanger des informations. L’avenir de l’horlogerie sera, je crois, informationnel.
Serait-il un jour possible d’intégrer un mouvement mécanique dans le boîtier d’une G-Shock?
Techniquement, cela devrait être possible mais Casio ne fabrique que des montres à quartz. Je vois mal un tel projet aboutir.
Percevez-vous personnellement des royalties sur chaque G-Shock vendue?
(Il éclate de rire) Non, et c’est dommage puisque, à ce jour, nous en avons vendu 48,5 millions dans le monde! Ma mission était de concevoir une montre extrêmement robuste. Et, même si j’ai failli abandonner plusieurs fois, je suis satisfait d’être allé au bout de ce projet.
Propos recueillis par Paul Miquel
G-SHOCK – Une montre extrême
Le modèle phare de Casio protège son mouvement par une construction complexe faisant appel à plusieurs matériaux différents.
Inutile de la présenter, la G-Shock est LA montre préférée des baroudeurs. Digitale, massive et souvent colorée, elle est portée par les commandos de marine français mais aussi par les aventuriers urbains et les night-clubbers. Pour tout dire, la G-Shock est désormais devenue un accessoire unisexe branché et relativement bon marché. Sa réussite tient bien évidemment à son look mais surtout à son procédé de fabrication qui en fait une montre – presque – incassable. «Le mouvement est encastré dans un réceptacle d’acier entouré d’une enveloppe de polyuréthane haute densité et protégé par des plaques de caoutchouc amortissantes, explique-t-on chez Casio. Tous les chocs et vibrations sont ainsi amortis. La lunette en polyuréthane ultrarésistant protège l’affichage et les poussoirs des coups et des éléments extérieurs. La montre est étanche à l’eau et à la pression, aux poussières, au sable et à la boue.» La prouesse fut de transformer cette tocante tout-terrain en objet de mode. Pour fêter les 25 ans de cette montre à quartz tout en surfant sur la tendance, les têtes pensantes de Casio ont mis les petits plats dans les grands. Depuis l’année dernière, une dizaine de soirées extravagantes ont été organisées aux quatre coins du globe - Londres, Tokyo, Shanghai, Hong Kong, Taipei, Barcelone ou encore Berlin - à la gloire de ce morceau de plastique iconique.
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