L'incompréhensible bataille de la Comco contre Swatch
 
Le 14-12-2009

Swatch Group ne manque pas d'arguments pour se défendre contre l'enquête lancée à l'égard d'ETA par l'autorité anticartellaire. Des éléments de bon sens, économiques, structurels. Et concurrentiels même.

Comme il semble désormais de coutume dans une longue série de décisions peu compréhensibles, la Commission de la concurrence (Comco) n'aura peut-être rien à redire à la fusion d'Orange et de Sunrise. Elle n'avait pas davantage bronché, ou à peine, lors des nombreuses fusions et acquisitions intervenues dans le secteur de la grande distribution. Idem pour la reprise des activités suisses du groupe Edipresse par Tamedia.

On s'interrogerait donc d'autant plus si elle décidait de sévir dans le cadre de son enquête contre la manufacture horlogère ETA, filiale et bras industriel de Swatch Group, pour un éventuel abus de position dominante. Tant le dossier paraît vide. Après une procédure initiale de près de onze mois, l'autorité de la concurrence a débuté une enquête formelle le 9 septembre dernier, qui devrait encore durer environ neuf mois. Quatre experts y travaillent. Des effectifs assez conséquents par rapport aux autres investigations.

Rappelons qu'elle tire son origine d'une hausse des prix décidée en novembre 2008 par ETA, de 8 à 12% sur certains de ses produits, ainsi que de nouvelles conditions de paiement (suppression des 3% d'escompte).

A première vue, ce combat horloger peut paraître futile. Il n'en est pourtant rien. Il s'agit même de la clé de voûte de toute l'industrie. Son miroir en quelque sorte. Car aucun horloger suisse ou presque n'est entièrement, à 100%, indépendant, même si Rolex ou encore Patek Philippe y travaillent assidûment. Tous doivent passer par un des pôles industriels de Swatch Group, qu'il s'agisse des mouvements, des ébauches de mouvements, ou encore des différents organes réglants. L'enquête de la Comco porte sur les mouvements mécaniques. Une investigation toutefois complètement inutile. Et cela pour un florilège de raisons.

Quelques chiffres pour se rendre compte des enjeux et de la réalité. La Suisse produit bon an mal an cinq millions de montres mécaniques (sur un total de 26 millions). Soit autant de mouvements de ce type. On ne connaît pas les chiffres précis des différents producteurs de mouvements, vu la légendaire discrétion des horlogers. Il est toutefois possible de procéder à des estimations, validées par plusieurs professionnels. Sur ces cinq millions de mouvements, ETA en produirait 2,73, Sellita (La Chaux-de-Fonds) environ 1 million et Rolex (Bienne) quelque 770 000. Entre les différents producteurs indépendants comme Dubois Dépraz, Lajoux Perret, Soprod et les marques Audemars Piguet, Girard-Perregaux, etc., ainsi que certaines entités du groupe Richemont (et beaucoup plus marginalement LVMH), environ 400 000 mouvements seraient élaborés annuellement. Le conflit ne porte donc que sur 55% de la production totale. Peut-on dès lors parler de monopole?
Analyse: Bastien Buss

Les prix en question

Le premier grief de la Comco, soit celui de la hausse des prix des mouvements mécaniques de montres, n'a aucune raison d'être. Ainsi, le prix moyen d'une montre mécanique suisse a augmenté de 333% en 17 ans, alors que sur la même période la hausse pratiquée chez ETA s'est élevée à 70% (pour un Valjoux 7750). Un faux procès donc. Les quelque trente à quarante francs supplémentaire facturés par ETA - pour le client il s'agira au final d'environ 200 francs - ne mettent certainement pas en péril l'horlogerie dans son ensemble, puisque les montres mécaniques atteignent déjà en boutique plusieurs milliers de francs. Avec à la clé des marges substantielles pour les marques qui ne font qu'assembler, ou presque, leurs montres dotées d'un mouvement ETA.

Il existe bien sûr des exceptions, comme Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet, etc. D'autres ont également partiellement enlevé leur manteau de butineuses et produit leur(s) propre(s) mouvement(s), tels Breitling, Hublot, Maurice Lacroix, Cartier ou encore C.F. Bucherer.

Mieux encore, certaines sociétés comme Chopard investissent massivement depuis plus d'une décennie dans un outil de haute horlogerie, bien avant la première décision de la Comco concernant les ébauches horlogères. Ou Jaeger-LeCoultre qui a développé un nombre impressionnant de calibres, tout comme Roger Dubuis. Mais ils restent l'exception dans un environnement d'environ 400 marques en Suisse.

Trois scénarios sont désormais possibles

Première possibilité: la Comco décide de classer l'enquête. Deuxième issue possible: un accord à l'amiable est trouvé. Comme une prorogation (deux à trois ans) de la hausse des prix. Troisième scénario: la Comco trouve en fin de compte des poux dans la tonsure d'ETA (ici un calibre). Dans ce cas de figure, des sanctions directes sont prévues. Les deux premières hypothèses semblent cependant nettement plus plausibles.
Bastien Buss

Arcinfo - L'Express / L'Impartial

 

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