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Rodolphe Cattin rebondit. Quatre mois après avoir quitté les sociétés qu'il avait fondées, il s'apprête à «repartir à zéro», selon son expression, en ouvrant un bureau de design à Neuchâtel. Rencontre.
Son téléphone portable ne cesse de sonner. Dans le lot, il y a certes l'un ou l'autre appel concernant le Hockey club La Chaux-de-Fonds, dont il est le vice-président. Mais pour quelqu'un qui, comme il le dit, «ne touche plus de salaire depuis quatre mois», les journées sont visiblement bien remplies...
En face de nous, un Rodolphe Cattin que l'on qualifiera de Janus, du nom de la divinité romaine représentée avec une tête, mais deux visages opposés, un devant, l'autre derrière. Deux visages parce que le cœur du designer horloger balance: il ne s'en cache pas, il vit encore très douloureusement son départ - volontaire - des deux sociétés qu'il avait fondées. «Je dois faire le deuil de ce que j'avais mis vingt ans à construire. J'éprouve le sentiment d'un immense gâchis. Ça me fait vraiment mal au cœur de passer devant mes anciens locaux...»
Dans le même temps, il estime avoir fait les bons choix à l'époque. D'abord celui de s'associer au groupe Franck Muller. Ensuite celui de claquer la porte de ce même groupe. C'était en octobre de l'année dernière. Mais il y a aussi le Janus-qui-rit: le visage de Rodolphe Cattin s'illumine lorsqu'il évoque l'avenir. «Ce n'est pas facile de tout recommencer, mais je fourmille d'idées! Car tout n'a pas encore été fait, loin de là. Je dirais même que tout est à faire, dans la nouveauté comme dans la mise au goût du jour de choses anciennes. Et puis, ça fait maintenant trois mois que je n'ai rien créé. C'est très frustrant!» La notoriété - internationale - du designer l'a bien aidé à se relancer. Aussitôt son départ connu, il a été contacté par bon nombre de marques. «Il y avait un peu de tout, j'ai dû trier...»
Résultat? «D'ici un à deux mois, je vais ouvrir un bureau de design à Neuchâtel. Il aura pour nom Rodolphedesign SA. Je repars donc à zéro.» Avec Rodolphe Cattin, ce bureau comptera quatre personnes, «une avec laquelle je travaille depuis longtemps et deux nouvelles que je vais apprendre à connaître.»
Au programme, quatre secteurs d'activité: l'horlogerie-bijouterie, la lunetterie, la maroquinerie et les objets d'écriture. Un contrat a d'ores et déjà été signé avec quatre clients. Ils sont basés à Genève (pour deux), Barcelone et Los Angeles. «Dans les quatre cas, le marché concerné est mondial. Il s'agit de haut et moyen de gamme, ainsi que de fashion.»
Mais le patron de Rodolphedesign n'est pas parti pour faire le même chemin que ces vingt dernières années: «Je n'ai plus l'âge, ni la motivation, pour suivre plein de mandats en même temps. Je souhaite travailler de manière plus ciblée, plus spécifique. Je ne souhaite pas non plus remonter un bureau de trente personnes. Ça sera dix au maximum, avec des jeunes. Et surtout, dans une ambiance au sein de laquelle les rapports humains seront importants.» Façon de dire qu'ils ne l'étaient pas assez, à ses yeux, dans son ancien groupe...
Le principal atout de Rodolphe Cattin? «Dans ce métier, il faut avoir deux coups d'avance. Sur ce plan, je crois que je me débrouille pas trop mal.»
Un produit d'ici avec des gens d'ici
Rodolphe Cattin, que pensez-vous de la crise que connaît le secteur horloger?
Elle m'attriste. Au-delà de la crise financière et de ses conséquences économiques, je crois qu'il y a eu trop d'arrogance, d'arrivisme, d'argent facile, d'opulence... Nous avons perdu le contact avec la réalité, avec ce que nous sommes fondamentalement et ce que nous savons faire.
Expliquez-vous...
En tant qu'enfant de La Chaux-de-Fonds, je constate qu'il n'y a pour ainsi dire plus aucune entreprise qui appartient à des gens de la région. Elles sont presque toutes la propriété de personnes qui sont basées à l'étranger, ou alors ailleurs en Suisse. Or je crois que nous aurions les moyens de faire quelque chose qui soit entièrement «de chez nous».
Avez-vous un projet allant dans ce sens?
Oui et non. Il y a dans la région des personnes qui ont des moyens financiers et le goût de l'entreprise, d'autres qui ont des compétences dans tel ou tel domaine, d'autres encore qui ont des réseaux, bref, il y a des personnes complémentaires les unes aux autres. Pour ma part, je suis un créatif, un «artiste», et non pas un manager. J'aimerais bien réunir toutes ces compétences autour d'une table et lancer quelque chose avec des gens attachés à ce coin de pays.
Deux locataires dans le bâtiment
Un bar En ville de Neuchâtel, qui dit Rodolphe dit surtout le bar du même nom, aménagé dans le bâtiment propriété des sociétés Rodolphe. Le départ de Rodolphe Cattin, suivi de la réduction des surfaces occupées par les deux sociétés (lire ci-contre), ont-ils des conséquences sur cet avant-club? «Absolument pas», répond Jean-Marc Rohrer, propriétaire du fonds de commerce. «Nous sommes au bénéfice d'un long bail, et quoi qu'il se passe à l'avenir, nous resterons. De même, il n'y a aucune raison que nous changions de nom. Il est bien ancré dans la population neuchâteloise et au-delà.»
Une holding Autre locataire du bâtiment de la place Pury: Alpiq. Née du rapprochement d'EOS et d'Atel, toutes deux actives dans le secteur de l'énergie, cette société a choisi Neuchâtel pour le siège de sa holding. Alpiq, qui emploie plus de 10 000 personnes, est présente dans trente pays européens (lire notre édition du 22 janvier).
Les sociétés Rodolphe & Co (design) et Rodolphe Montres et Bijoux (commercialisation) occupaient trois étages au no 11 de la place Pury, à Neuchâtel (ex-bâtiment du Credit Suisse). Désormais, elles s'étendent sur un seul étage.
«Nous sommes en train de nous restructurer», explique Gabriel Guidi, administrateur et ancien associé de Rodolphe Cattin. «Nous quitterons peut-être ce bâtiment, dont nous sommes propriétaires, mais rien n'est encore décidé. Et si nous le quittons, il est possible que nous le vendions. Des acheteurs potentiels ont d'ores et déjà manifesté leur intérêt.»
Comment se portent les sociétés Rodolphe économiquement? «Nos résultats 2009 sont conformes à ce que nous avions budgété», répond Gabriel Guidi. «Nous n'avons eu ni de mauvaise, ni de bonne surprise.»
Les sociétés Rodolphe & Co et Rodolphe Montres et Bijoux sont propriétés du groupe genevois Franck Muller Watchland. Les produits Rodolphe sont confectionnés à Genthod (GE), au siège du groupe. Les deux sociétés Rodolphe collaborent avec une autre société, CPL design, basée également à Neuchâtel (Monruz 2). Au total, ces trois entreprises emploient 24 personnes à Neuchâtel.
Pascal Hofer |