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La grand-messe horlogère bâloise ouvre ses portes aujourd’hui. Près de 2000 exposants sont présents. Certaines enseignes prestigieuses ont dépensé plusieurs millions de francs pour des stands démesurés. - L’année 2010 devrait être meilleure que l’an dernier, mais la reprise varie fortement selon les entreprises.
Visiter Baselworld, c’est comme se rendre, en une journée, sur les Champs-Elysées, chez Harrods à Londres et sur la 5e Avenue de New York. Des enseignes prestigieuses se succèdent, le luxe s’affiche sans complexe, les vitrines attirent l’œil et un sérieux mal de pied s’invite en soirée. Entre les artifices et les paillettes, on oublierait presque qu’on se trouve dans la plus importante messe horlogère du monde. Car, bien plus que des montres, la foire bâloise, qui commence aujourd’hui, doit vendre des réputations. Et pour faire partie des meilleures, les marques n’hésitent pas s’offrir des stands qui se chiffrent en millions.
Officiellement, le prix du mètre carré n’a pas bougé depuis des années. Il est de 350 francs pour tous les exposants. Mais en plus de la location, il faut ajouter le prix des structures créées par de grands architectes, les salaires des employés, les nuits d’hôtels, etc. Des montants qu’aucune marque ne souhaite dévoiler.
Jusqu’à 20 millions?
«Pour 20 000 francs, on a tout juste une table dans un coin, indique toutefois un horloger romand qui ne vient plus à «cette foire de l’argent». Pour 100 000 francs, on peut obtenir quelque chose de correct. Mais il faut compter minimum un million pour être bien placé.»
Etre «bien placé», c’est-à-dire se trouver dans la halle 1, près de Rolex, Swatch ou Chopard. La salle est potentiellement visitée par quelque 100 000 personnes, dont bon nombre de détaillants. «Mais pour y figurer, la liste d’attente est longue», note Massimo Rossi, manager de Cuervo y Sobrinos, La Habana 1882. Cette marque horlogère suisse aux origines cubaines a passé deux ans dans la halle No 5, avant d’entrer en 2009 dans la salle principale, grâce «à de bonnes relations» et «des performances économiques reconnues».
Cette promotion lui permet désormais de remplir son carnet d’adresses. Mais elle lui coûte aussi un million de francs tout compris. Une somme «raisonnable» quand on entend, indiscrètement, qu’à quelques pas de là, Breitling aurait payé entre cinq et sept millions rien que pour la structure de son stand. Et ce n’est rien à côté de ceux dont la rumeur dit qu’ils lâcheraient 20 millions pour une exposition de huit jours.
Un investissement
Démesurée, la Foire horlogère de Bâle? «C’est cher, c’est vrai, reconnaît Didier Nisenbaum responsable du stand Hermes, dont la toile bordeaux tout en longueur repose sur une estrade construite sur mesure. Mais c’est nécessaire pour être de la partie. Et c’est un investissement de longue durée.»
Un stand est utilisé en moyenne trois ans. «Et son impact sur les visiteurs peut durer tout une vie», entend-on dans les couloirs feutrés de Baselworld, qui demeure une vitrine incontournable pour l’horlogerie suisse.
Nadine Haltiner
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Véritable reprise ou frémissement?
Certes, 2010 s’annonce sous de bien meilleurs auspices que 2009. Mais difficile encore de jauger de la vigueur de la reprise, qualifiée au mieux de «fragile», ou de «frémissement» par les plus mesurés, en particulier les sous-traitants pour qui l’an dernier était cauchemardesque – jusqu’à –60% de revenus pour certains. Chez Certina, marque sportive appartenant au groupe Swatch, l’année a démarré en fanfare. «Nos ventes ont bondi de 25% en janvier et février, se réjouit Adrian Bosshard, son CEO. Et nous nous acheminons tout droit vers une année record!»
Le bling-bling, c’est fini
Un enthousiasme partagé par Jean-Claude Biver, le dirigeant de Hublot, pour qui le dernier trimestre 2009, ainsi que le début 2010, ont constitué également un record. De quoi aborder le futur avec mordant. Reste que cette bonne fortune n’est, de loin, pas représentative de l’ensemble de la branche, qui s’accorde toutefois à dire que l’ère bling-bling s’est éteinte!
L’inventivité nécessaire des microsociétés
Du côté des petites sociétés horlogères, la retenue est de mise. C’est le cas d’Atlantic, petite firme de 15 employés à Lengnau (BE) — production annuelle de 70 000 à 80 000 montres — dont le chiffre d’affaires s’est affaissé de 20% l’an dernier. Son directeur, Juerg Bohne, attend avec impatience de discuter avec les acheteurs venus à Baselworld avant d’évaluer la situation, notamment des pays de l’Est, principal marché de ses modèles se positionnant dans le moyen de gamme.
Quant à Pascal Huguenin, responsable marketing de Schwarz Etienne, une «microsociété horlogère de 10 employés» à La Chaux-de-Fonds, également très éprouvée par la crise, fait un pari audacieux sur le futur. La petite marque indépendante produit cette année son propre mouvement horloger – 8000 par an au maximum, confie le Neuchâtelois – rejoignant le cercle très restreint des fabricants capables de fournir cette pièce maîtresse mais si complexe. Une initiative qui tombe à point nommé, à l’heure où Swatch menace de couper l’approvisionnement de composants aux marques concurrentes…
Elisabeth Nicoud, Bâle
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«Ma principale préoccupation: l’emploi»
François Thiébaud, comment percevez-vous ce cru horloger 2010?
Tout comme la météo, après un hiver rigoureux, place enfin au printemps! Dans l’horlogerie suisse, après un effondrement l’an dernier des exportations de 22,3%, une timide reprise s’est amorcée depuis novembre, renforcée dans les statistiques de janvier (+2,7%). Et j’ai bon espoir que ce mouvement encourageant se poursuive. J’en veux pour preuve le tonus retrouvé par les pays asiatiques ces derniers mois ainsi que des stocks, trop importants dans le passé, qui semblent s’amenuiser chez les détaillants.
Quelles tendances observez-vous parmi les exposants?
Après une progression fulgurante de la branche de 2003 à 2008, où les exportations suisses atteignaient un montant record de près de 17 milliards de francs, on redevient plus raisonnable. A savoir aussi bien dans les prix, devenus abusifs parmi certaines marques durant la période d’euphorie, que dans les valeurs véhiculées par les montres elles-mêmes. Je constate, par exemple le retour en force du classique, des modèles plus petits pour les femmes, avec des matières comme le titane ou la céramique. Et les acheteurs seront au rendez-vous à Baselworld, même si cela n’est pas comparable à 2008. Car après quinze mois de récession, ils ont besoin de s’approvisionner, si ce n’est pas en commandes fermes, au moins en nouvelles idées!
Et au niveau de l’emploi?
Là réside ma principale préoccupation. Outre les suppressions d’emplois, l’an dernier (ndlr: qui restera dans les annales comme la pire depuis les années 70, avec un taux de chômage dans la branche qui a atteint 13,1% à fin décembre) marque encore les esprits. Les horlogers ne vont pas repourvoir leurs effectifs ou créer des emplois tant que la reprise ne sera pas plus solide. C’est particulièrement le cas chez les producteurs de composants, les plus durement affectés par la crise.
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Chiffres clés
- La 38e édition du 18 au 25 mars au Centre de Foires à Bâle (Messe Basel). C’est le conseiller fédéral Moritz Leuenberger qui inaugurera aujourd’hui le salon.
Baselword, c’est:
- 1915 exposants (contre 1952 l’an dernier), soit 592 horlogers, 759 joailliers et 564 autres métiers liés à ces branches;
- 456 marques suisses, dont 292 horlogères qui représentent 90% des exportations de la branche;
- 160 000 m2 de surface d’exposition, dont près de 62% consacrés aux marques horlogères;
- 45 pays représentés dans les stands. Les marques européennes restent les poids lourds, avec 80% de surface d’exposition et 64% des marques présentes au salon;
- 100 000 visiteurs attendus, en provenance de 100 pays;
- 2900 journalistes environ, en provenance de 70 pays.
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