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Au sein de l’entreprise horlogère Hublot, à Nyon, un employé sur dix est âgé de 65 ans ou plus. Un choix stratégique de la direction pour bénéficier des compétences acquises tout au long d’une carrière. Rencontre avec trois «retraités» très actifs.
Eh bien non! Même s’il a atteint 65 ans, le Nyonnais Philippe Jolidon ne prendra pas sa retraite pour autant. D’ailleurs, il est très occupé aujourd’hui. C’est tout juste s’il a le temps de répondre à nos questions: son travail requiert toute son attention. Responsable de la production au sein de l’entreprise horlogère Hublot, il assure la fabrication des montres, qu’il s’agisse de la mise au point ou du développement. «Voilà vingt-deux ans que je travaille pour Hublot. Le métier me plaît énormément. Lorsque la direction m’a demandé de rester, j’ai accepté. Je n’avais aucune envie d’arrêter.»
La pratique est courante chez le célèbre horloger: 10% des septante employés ont 65 ans passés. «Et ce taux va encore augmenter», affirme Jean-Claude Biver, directeur de l’entreprise. Et que fait-il des jeunes qui recherchent un emploi désespérément? «Les débutants ont tout à apprendre de leurs aînés: ils ne devraient pas les considérer comme des concurrents, mais plutôt comme des alliés.» Telle est la philosophie de Jean-Claude Biver: les personnes ayant atteint l’âge de la retraite possèdent un savoir-faire utile à l’entreprise. «Soit elles utilisent leurs compétences dans l’opérationnel, soit elles transmettent leurs connaissances à des plus jeunes.» Une partie du mandat de Philippe Jolidon, pour les mois à venir, sera de former son successeur. «Cela me permettra de diminuer progressivement mon taux d’activité, explique-t-il. Je ne voudrais pas continuer à long terme à 100%. Je ne sais pas encore combien de temps je continuerai à travailler: cela dépendra de plusieurs facteurs, comme mon état de santé. Et peut-être qu’un jour je ne serai plus motivé.»
Reprendre du service
Si Philippe Jolidon se contente de prolonger son contrat au sein de l’entreprise, il n’en va pas de même pour quelques autres «retraités». Certains, comme René Maillefer, ont passé la majeure partie de leur carrière ailleurs. Ce Vaudois a même fait une pause de quatre ans avant de recommencer à travailler. A 61 ans, il décide de prendre sa retraite anticipée, après avoir œuvré quinze ans au sein du groupe horloger Lémania Breguet. «Avec ma femme, nous souhaitions voyager. J’avais fait mes calculs: je n’y voyais aucun inconvénient financier.» L’Australie, le Groenland, la Sicile: autant de contrées qu’ils ont visitées. «Un projet me titillait: vivre un an dans un pays du Nord, pour voir les saisons se dérouler.»
Changement de cap
Pourquoi, alors, le retrouvons-nous à l’âge de 65 ans consultant indépendant chez Hublot? Le monde du travail lui manquait-il à ce point? «Je ne pensais jamais reprendre une activité professionnelle. Mais des problèmes familiaux m’ont poussé à revenir en Suisse. J’ai donc changé d’optique.»
Fin 2006, Jean-Claude Biver fait appel à lui. Il souhaite construire un nouveau bâtiment pour augmenter sa production de montres. René Maillefer ayant dirigé un même projet chez Lémania Breguet, il est l’homme de la situation. «Il faut avoir une certaine expérience, avoir évolué longtemps dans le milieu et en connaître les finesses pour mener à bien ce travail.» Il s’agit en effet de concevoir l’agencement intérieur du bâtiment, en tenant compte de la quantité de montres à produire, du nombre de personnes qui y travailleront, des conditions optimales de fabrication, de la climatisation, du degré d’humidité, etc. Des données avec lesquelles il a appris à jouer au cours de sa carrière.
«Au début, je devais me contenter de donner quelques tuyaux à Jean-Claude Biver. Finalement, je vais participer à la concrétisation du projet.» Les yeux de René Maillefer brillent. Il aime son milieu. On comprend qu’il ait du mal à le quitter. Il assure malgré tout vouloir conserver du temps pour ses loisirs. «Je fais de la moto, de la marche en montagne, du jardinage... Mon taux d’occupation chez Hublot varie, mais il ne dépasse pas 50%. Il est exclu que je travaille davantage.»
Tout autre son de cloche pour Jacques Tedeschi, 67 ans. Employé depuis deux ans chez Hublot, responsable des ventes du secteur Moyen-Orient, il affirme travailler à plus de 100%. «Je n’ai aucune envie d’arrêter. Lorsque à ma retraite Jean-Claude Biver m’a proposé cet emploi, j’ai accepté avec enthousiasme. Tant que je pourrais continuer à exercer mon métier, je le ferai.» Sa femme et ses deux enfants? Jacques Tedeschi certifie qu’ils n’y voient aucun inconvénient. Tout comme il assure qu’on ne l’a jamais accusé de voler leur place aux jeunes. Dans son secteur également, l’expérience acquise semble avoir son importance. Posséder un bon carnet d’adresses aussi. «J’ai toujours travaillé dans le milieu de la joaillerie et de l’horlogerie, dans le secteur de la vente. Je connaissais déjà la plupart des clients avec qui je dois traiter: cela facilite le contact. En plus, je connais bien la mentalité du Moyen-Orient: j’ai grandi en Egypte.»
A travail égal...
Même si les «retraités» engagés par Jean-Claude Biver touchent un salaire équivalent à celui des autres employés de Hublot – «à la différence que le taux d’activité est souvent moins important», précise le directeur – la question financière ne constitue en aucun cas un argument pour Philippe Jolidon, Jacques Tedeschi et René Maillefer. «J’ai suffisamment d’argent pour vivre», assure ce dernier. Outre une passion pour leur métier, leur longévité sur le marché du travail trouve son explication dans leur bonne santé. Une chose est sûre: les personnes de 65 ans sont aujourd’hui en meilleure forme qu’il y a quelques années. Et René Maillefer de confirmer: «Je me sens toujours jeune dans ma tête!»
Faut-il repousser l’âge de la retraite?
L’âge de la retraite devrait-il être repoussé? Selon René Maillefer, Philippe Jolidon et Jacques Tedeschi, tout dépend du métier exercé. Si eux ont éprouvé le désir de conserver une activité professionnelle à 65 ans passés, ils comprennent aisément que certaines personnes de leur génération préfèrent arrêter plus tôt, parfois même à 60 ans.
Une retraite à la carte entre 60 et 75 ans, voilà d’ailleurs ce que préconise Marc Comina, qui a publié en 2006 un ouvrage intitulé «L’or gris: comment, grâce aux seniors, renforcer l’économie en général et l’AVS en particulier». Cet essai s’inscrit dans une série d’études menées par la Fondation Avenir Suisse.
Principale conclusion de ces études: notre société a tout à gagner du prolongement de la vie active. La population vieillit. Les personnes issues du baby-boom de l’après-guerre arrivent à l’âge de la retraite. Leur départ créera un vide dans le monde du travail, que les générations suivantes ne parviendront pas à pallier. Par ailleurs, ce déséquilibre entraînera des problèmes au niveau du financement des pensions. D’où la nécessité d’introduire des modèles plus souples de retraites.
Migros Magazine |