Sur fond de guerre commerciale, la M-Watch passe de Migros à Manor
 
Le 11-10-2010

Après trente-cinq ans de collaboration, Mondaine, le fabricant de la M-Watch, est excédé par les pratiques de Migros. Un litige judiciaire est toujours pendant autour de la propriété de la marque. Mais la «montre du peuple» s’achète dès aujourd’hui chez Manor.

Je t’M, moi non plus. La M-Watch change d’adresse. N’y lisez plus «M» comme Migros mais comme Manor. Le groupe bâlois se chargera dès aujourd’hui de commercialiser la cultissime «montre du peuple», dont il s’est vendu pas moins de sept millions d’exemplaires en Suisse depuis 1983.

Accord avec Manor

Excédé par le géant orange, le groupe Mondaine, fabricant de la montre, l’annonce en exclusivité à la Tribune de Genève et au SonntagsBlick, comme nous le révélions hier sur notre site: il a conclu un partenariat avec Manor, qui déploie immédiatement ses effets. Cela bien que le conflit judiciaire autour de la propriété de la marque entre Mondaine et Migros ne soit pas encore terminé. Voilà qui en dit long sur la confiance qu’ont Manor et l’horloger quant à l’issue du litige. Vingt-sept ans après le lancement de la M-Watch, créée suivant le même esprit qui anima la Volkswagen, la voiture du peuple, les relations entre le grand distributeur et son fournisseur se sont dégradées progressivement depuis deux ans, avant d’être définitivement rompues en mai. «En 2008, Migros a essayé de s’assurer les droits de la marque dans notre dos», déplore André Bernheim, le PDG du groupe Mondaine, que nous avons rencontré à Zurich. La manœuvre tentée auprès de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle a toutefois échoué. Car la marque est enregistrée depuis 1985 sous le nom de Mondaine, «ce qui figure en toutes lettres sur l’emballage même des montres que Migros met en vente», poursuit-il.

Arguments écartés

Le distributeur a ensuite porté l’affaire devant le Tribunal du commerce de Zurich pour interdire à l’horloger de commercialiser son produit par Internet ou tout autre canal, toujours en vue d’obtenir les droits de la marque. Si l’affaire n’est pas encore close, «les arguments de Migros ont été écartés d’une façon qui ne laisse planer aucun doute», poursuit André Bernheim. En substance, les juges ont estimé qu’acheter pendant d’aussi longues années un produit à un fournisseur pour affirmer par la suite qu’il ne peut prétendre à aucun droit allait à rebours du bon sens et de la bonne foi. Dans leurs considérants, ils n’ont pas davantage accrédité la thèse selon laquelle Mondaine aurait imposé la désignation officielle de la M-Watch à Migros: «Le plaignant est un groupe de sociétés énorme et puissant. Qu’il se laisse dicter des conditions par un petit fournisseur paraît exclu.»

L’ère des technocrates

Un peu comme si David imposait sa loi à Goliath, plaisante André Bernheim. Pour sa part, Migros n’entend pas commenter cette action judiciaire en cours. Son porte-parole, Urs Peter Naef, précise néanmoins que le volet jugé ne concerne qu’une petite partie du conflit. On s’en doute, Mondaine renonce à regret à son partenariat avec le numéro un suisse de la distribution. «Ce n’était pas notre souhait. Mais l’époque de Pierre Arnold (ndlr: directeur général de la Fédération des coopératives Migros de 1976 à 1984) est révolue. Il était exigeant mais loyal. Aujourd’hui, il s’agit essentiellement de technocrates», affirme André Bernheim. En cause, les méthodes de Migros. Dans un communiqué daté du 11 mai, expliquant la fin des rapports contractuels, Mondaine déclarait: «Migros impose des conditions de livraison sans cesse plus rudes: baisse des prix d’achat, énormes sanctions tarifaires en cas de retard minime, rejet des risques publicitaires sur Mondaine et augmentation du prix de vente aux consommateurs.» Ce cas ne serait pas isolé, selon André Bernheim. Plusieurs sociétés lui ont écrit pour le féliciter d’oser affronter le géant de la distribution. «Certaines nous ont même acheté des montres par solidarité.» Urs Peter Naef réfute ces accusations: «Nous souhaitions plus d’innovations, des nouveaux modèles, mais on ne nous a pas fait de propositions satisfaisantes. Même s’il est vrai que cette collaboration a été très bonne pendant longtemps.» Quoi qu’il en soit, Mondaine considère ce partenariat comme un nouveau départ. «Manor possède 71 magasins dans tout le pays. Et nos produits seront mieux mis en valeur, même s’il est clair que la force de frappe sera moindre qu’avec Migros», précise le PDG du groupe basé à Zurich. Manor vend en outre déjà plusieurs marques de son groupe, comme Esprit ou Mondaine.

Migros: et toc!

Pour vendre, bien sûr, mais aussi pour dissocier le plus rapidement possible des esprits la «montre du peuple» de Migros, Mondaine et Manor lancent à partir d’aujourd’hui une grande campagne de publicité. S’il apparaît peu probable que la M-Watch renoue, comme à ses débuts, avec des ventes annuelles de plus de 300 000 montres, André Bernheim entend bien se rapprocher rapidement des deux tiers de ces records. L’an dernier, quelque 90 000 M-Watch ont été achetées. Entre mai et octobre, Mondaine a vendu son produit phare par Internet et par téléphone, avec un succès très relatif. Le groupe Manor n’a, lui, pas voulu révéler ses objectifs. De son côté, Migros s’est allié cet été avec l’horloger Tick Tack AG. Le nom de la montre? M-Watch, évidemment. «M» comme Migros ou «M» comme Manor? A la justice zurichoise de trancher.
Marc Guéniat avec Philippe Rodrik

Tribune de Genève

 

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