Quand la joaillerie devient accessoire de mode
 
Le 10-07-2007

En souhaitant faire découvrir leur univers, les joailliers de la place Vendôme, à Paris, valorisent des collections plus accessibles et plus actuelles.

Après les sacs, les bijoux entrent dans la mode. Pour mieux marquer ce phénomène naissant, les joailliers de la place Vendôme ouvrent leurs portes jusqu'au 15 juillet à une exposition baptisée « Des Joyaux et des Femmes » et clôturent ainsi de manière subliminale les défilés de haute couture. Chacun pratique l'art de la mise en scène comme Chaumet, qui célèbrait lors de la soirée de lancement mercredi soir sa montre « Vivid Blue Beach » par un cocktail« Sea Songs and Sun by Béatrice Ardisson », ouFred, qui offrait à ses invités des sorbets aux couleurs de pierres précieuses, désireux de mettre l'eau à la bouche des visiteurs au propre comme au figuré. « C'est un moment de relations publiques important pour nos marques, car toute la presse internationale est à Paris pour les défilés », souligne Thierry Fritsch, PDG de Chaumet.

En retard sur la maroquinerie
Le marché de la joaillerie avoisine les 100 milliards d'euros. Par comparaison, l'horlogerie haut de gamme tourne autour de 20 milliards et une centaine de marques s'y livrent déjà une belle bagarre. Mais côté bijoux précieux, on en compte à peine une vingtaine et aucune d'entre elles n'émerge réellement, le marché étant à 80 % « sans marque ». « Lorsque vous faites l'inventaire des bijoux d'une femme, en majorité, ils ne sont d'aucune maison en particulier. C'est le dernier secteur du luxe dans lequel les marques n'ont pas encore pris pied. Le potentiel est énorme et la clientèle en plein renouvellement », expose Thierry Fritsch. « La joaillerie a quinze ans de retard sur la maroquinerie », confirme, de son côté, la nouvelle présidente de Fred, Natalie Bader.

Un joli terrain de conquête à l'assaut duquel se lancent depuis quelques années la plupart des acteurs de la place Vendôme. Une course aux parts de marché derrière les leaders Cartier et Tiffany, le suisse Chopard et l'italien Bulgari, soutenue par les géants du luxe au travers des marques qu'ils ont rachetées : Chaumet et Fred pour LVMH, Boucheron pour PPR, Van Cleef pour Richemont. Auxquels il faut ajouter les grandes griffes de la couture comme Chanel ou Dior, qui font une percée de plus en plus dynamique en joaillerie.

Des tarifs plus abordables
La stratégie de séduction passe par de nouvelles collections aux tarifs plus abordables (aux alentours de 1.500 à 2.000 euros, parfois même démarrant à 500 euros) et déclinées en gammes aux noms évocateurs mais aussi identifiées, comme dans le parfum, par le recours à des égéries.

Premier à s'adonner aux techniques marketing, Mauboussin a propulsé ses bagues « berlingots » au rang de « must have ». Van Cleef & Arpels lui a emboîté le pas avec sa ligne de bijoux Alhambra, dont les Asiatiques raffolent. Chez Chaumet, la collection « Attrape-moi si tu m'aimes », dont le principe stylistique reprend la toile arachnéenne, a d'abord été inventée en haute joaillerie pour être déclinée en prêt-à-porter. Quant à la ligne « Lien », lancée à grands renforts de publicité par le slogan « Un amour de lien », elle figure déjà au rang de best-seller de la marque. Pour Fred, Natalie Bader est bien décidée à en faire un joaillier du quotidien avec des bijoux qui démarrent à 450 euros et personnalisables à l'envi. Témoin, la gamme Tag « pour filles et garçons », des plaques ornées d'un diamant à porter autour du cou et affichant au gré des humeurs des messages, dates fétiches ou encore signes du zodiaque. « Pour les nouvelles générations, le bijou est moins sacralisé et plus masculin », estime la dirigeante, qui fait appel à différents designers, pas forcément spécialistes du bijou, et a repensé entièrement les magasins Fred de façon à s'y sentir plus décontracté. A la rentrée, elle ouvrira un « bar à montres » aux Galeries Lafayette. « Tout dans notre offre et notre présence doit donner envie aux femmes de changer », estime celle qui cherche à réveiller le marché.

Chez Boucheron, si la ligne « Quatre Ors » avec des anneaux de formes et de couleurs d'or différentes vise elle aussi à rendre la marque plus accessible, la stratégie reste cependant beaucoup plus haut de gamme. Ici, ni égérie ni grandes campagnes de mise en avant d'une ligne, mais le parti pris de laisser venir le client vers la création. « Nous ne voulons pas être dans la frivolité de l'acte d'achat. La joaillerie a forcément un cycle plus lent que celui de la mode et doit le conserver. Notre marque offre une alternative à toutes les autres et cultive sa part d'intime. Ce n'est pas une marque qui se livre », souligne Jean-Christophe Bédos, le PDG. De fait, l'entrée de gamme chez Boucheron est deux fois plus élevée que chez ses voisins. Il n'empêche : même si le patron dit ne pas l'avoir cherché, les couples japonais s'offrent mutuellement la « Quatre Ors », avec diamant pour la femme.

L'avènement des ultra-riches
L'horlogerie n'échappe pas non plus à la mode. Ainsi de la fameuse « J12 », de Chanel qui s'affiche au poignet des « hype » ou dans le même esprit, la « Class One » de Chaumet. Avant elle, la montre Poiray « Ma Première » et la « Reflet » de Boucheron, avec leurs bracelets interchangeables, ont eu et continuent d'avoir leurs heures de gloire. De même, Cartier, dans les années 1970, avec ses trois anneaux avait été précurseur et visionnaire. « Mais il ne s'agissait pas du même phénomène. A l'époque, c'était le symbole de la victoire des classes moyennes. Aujourd'hui, il s'agit plutôt de l'avènement d'une classe d'ultra-riches qui cherchent à multiplier les plaisirs. Pour preuve, il y a dix ans, on célébrait une vente à 150.000 euros trois à quatre fois par an. Aujourd'hui, on n'ouvre plus le champagne à moins de 1 million d'euros », témoigne Jean-Christophe Bédos, ancien de Cartier. Il se souvient, l'an passé, d'une plume de paon pavée de pierres précieuses vendue plus de 1 million et partie en quelques jours après avoir été installée dans la vitrine du magasin Boucheron de Cannes.

Si chez Chaumet ou Boucheron on garde quelques salons particuliers pour une clientèle qui apprécie encore la confidentialité, on ne s'étonne plus d'en voir certains acheter en cinq minutes un joyau de grande valeur sur une des tables de la boutique. La maison Chaumet avait ainsi deux vitrines place Vendôme, selon le niveau de classe sociale des clients : une pour la haute joaillerie et l'autre pour les bijoux. Aujourd'hui, les deux ne font plus qu'une, remise au goût du jour par l'architecte Jean-Michel Vilmotte. Les comptoirs de luxe installés dans les grands magasins de la capitale et à l'étranger participent de cette nouvelle physionomie du marché.

« La clientèle rajeunit et s'internationalise », souligne Thierry Fritsch. Il suffit de franchir le seuil de Chaumet pour le constater : en pleine semaine, trois jeunes Américaines essayent des bagues en riant, et une Japonaise de moins de trente ans - la cliente emblématique du luxe d'aujourd'hui - se fait passer un anneau de diamant au doigt par son amoureux. « Nous avons énormément investi dans la formation de nos vendeurs et dans l'accueil en boutique. Nous les invitons à n'avoir aucun préjugé sur les clients, car il n'y a plus aucune logique d'âge, de sexe, de race ni même de look vestimentaire. Plus le client est riche, plus il est casual. Et lorsqu'il arrive, vous ne savez pas s'il va dépenser 500 euros ou 2,5 millions », poursuit le dirigeant.

L'enjeu autour des apparats féminins est donc désormais le même que celui dont fait l'objet la maroquinerie : amener la consommatrice à des produits de style visible et reconnaissable, bref à afficher une marque. Le flagship de Chaumet ouvert en septembre dernier à Honk Kong sur 500 mètres carrés, avec un musée consacré aux joyaux de la marque au sous-sol, prouve aussi clairement que, si les racines de ces maisons restent place Vendôme, leurs ramifications affichent d'autres ambitions.

Les echos

 

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