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Le Neuchâtelois (1747-1823) a fait fortune à Paris avec des montres révolutionnaires. Plates et sans ornements. Il a séduit Marie-Antoinette, puis Napoléon.
Le drapeau suisse flotte entre ceux de Vaud et de Genève. Annexe romande du Musée national suisse de Zurich, le Château de Prangins revendique sa double origine. Les deux cantons s’étaient associés pour que l’institution se fasse. Les travaux prirent, rappelons-le, un temps indu. La restauration, puis l’aménagement du bâtiment firent causer d’eux pendant une bonne dizaine d’années.
Comme tout musée, le Château de Prangins a besoin d’expositions temporaires pour créer l’événement. Cet été, il présente les collections de la maison Breguet. Il s’agit d’une reprise. En 2009, le Louvre montrait dans sa chapelle ce célèbre ensemble de montres. La chose avait fait jaser en France. S’il semblait normal que Breguet devienne le mécène de la restauration du Petit Trianon, la firme pouvait-elle sponsoriser une exposition à sa propre gloire dans «le premier musée de France»?
Collection d’entreprise
Décédé l’an dernier, Nicolas Hayek avait voulu que l’exposition se voie reprise par le Musée suisse, à Prangins, puis à Zurich. C’est aujourd’hui chose à moitié (Zurich c’est cet automne) faite. De grosses vitrines, dans les salles temporaires, présentent les joyaux de ce patrimoine, enrichis par des prêts du Louvre ou d’autres musées d’horlogerie. Prangins a quelque chose à offrir. Le Château possède en propre la pendulette de voyage de Napoléon, achetée par le futur empereur en 1798.
Mais qui était Abraham-Louis Breguet? Un Neuchâtelois, et donc un sujet du roi de Prusse. Né en 1747, l’homme part très jeune par Paris. C’est là qu’il établit sa réputation. Il ne quitte d’ailleurs la capitale que sous la Révolution, entre 1793 et 1795, pour revenir à Genève et à Neuchâtel. Le terrain est devenu brûlant pour un homme à la fois lié à l’ancienne Cour et à son compatriote Marat, l’ultra-gauchiste.
Quarante-quatre ans pour une montre!
A ce moment, Breguet a déjà imposé sa conception révolutionnaire de la montre. Aux oignons bien épais, chargés d’or, d’émaux et de diamants (dans la version de luxe, bien sûr!), il a substitué des objets plats et sans le moindre ornement. Avec un goût que l’on qualifiera de protestant, il donne en quelque sorte des montres design, Un beau cadran, bien lisible. Rien de plus. Tout l’art réside dans la technique, de plus en plus complexe. Marie-Antoinette en fera les frais, si l’on ose dire. Commandée en 1783, sa montre ne sera prête qu’en 1827, quarante-quatre ans après sa décapitation, et quatre après la mort (plus confortable) de Breguet.
Sans esprit courtisan, le Neuchâtelois sait néanmoins plaire à la famille Bonaparte. Il fournit l’empereur, ses frères, ses sœurs, Joséphine et Marie-Louise (les deux épouses). Pour Caroline, promue reine de Naples, Breguet fournit un bijou inconnu voué à un bel avenir. Il s’agit d’une montre-bracelet. La montre bague, créée plus tard pour le prince Alexandre Demidoff, connaîtra une moins longue postérité.
La Russie et la Turquie
Breguet fournit toute l’Europe. Enfin, quelques élus! La production annuelle ne dépasse pas une centaine de pièces. La clientèle russe s’affirme très fort, après 1814. Celle d’Istanbul est apparue dès l’Empire. Il faut bien combler les vides. Les années 1810 à 1814 sont économiquement catastrophiques en France.
L’exposition s’arrête plus ou moins avec Abraham-Louis. Son fils continue sur sa lancée. Son petit-fils diversifie la maison, en lançant des séries. La démocratisation, déjà… Notons pour finir que la collection Breguet s’agrandit toujours, comme le font celles des maisons Dior, Cartier ou Vuitton. L’an dernier a ainsi pu se voir acquis, en vente publique, le manuscrit du grand-livre d’Abraham-Louis. Un texte d’autant plus précieux que, jamais terminé, il n’a comme de juste jamais paru…
Pratique
«Breguet, L’horlogerie à la conquête du monde»», Château de Prangins, jusqu’au 19 septembre. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h. Site www.chateaudeprangins.ch Somptueux (et coûteux) catalogue.
Etienne Dumont
Tribune de Genève
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