MOUVEMENTS - «Sellita est devenue importante, elle gêne, c’est évident»
 
Le 05-09-2011

Ivan Radja: Miguel Garcia, selon un récent article du Temps, la Fédération horlogère (FH) vous accuse de livrer des dizaines, voire des centaines de milliers de mouvements en Asie. Que répondez-vous?
Miguel Garcia: Il existe un marché pour les assortiments, un pour les mouvements et un pour les montres. Sellita est active sur le marché des mouvements mécaniques. Sur le marché hongkongais, les mouvements Swiss made mécaniques d’excellente qualité sont très demandés. Il est capital de pouvoir alimenter ce marché asiatique, mais aussi les marques suisses qui ne font pas partie du Swatch Group. Les livraisons de mouvements à Hongkong existent depuis des décennies et ne sont pas le fait de Sellita uniquement, mais de tous les fabricants de mouvements quartz et mécaniques suisses.

La FH dit que sur 1,17 million de mouvements vendus à Hongkong, l’essentiel viendrait de votre usine…
Ce qui me frappe, c’est que l’on fait semblant de découvrir ce chiffre global. En 2001 – et je cite les chiffres de la FH –, ce sont 1,206 million de mouvements mécaniques qui ont été exportés par la Suisse. Avec quelques écarts, ce million se retrouve chaque année, tout le monde le sait et il n’y a là rien d’illégal. Et les mouvements à quartz? 4,6 millions ont été exportés l’an passé, et personne n’y trouve à redire.

Combien en livrez-vous?
J’ai communiqué ces chiffres à la Commission de la concurrence (Comco, ndlr) et au Tribunal administratif fédéral, mais il ne convient pas de les divulguer ici. Une grande partie des mouvements mécaniques exportés à Hongkong reviennent en Suisse sous forme de kits comprenant mouvements, boîtes, cadrans et aiguilles fabriqués en Chine. En Suisse, les entreprises de marques suisses exécutent l’emboîtage et le contrôle final. On doit ajouter que bien des entreprises horlogères suisses – dont certaines appartiennent au Swatch Group – achètent certains composants chinois, en particulier des boîtes, des cadrans et des aiguilles. C’est une pratique bien établie dans les secteurs industriels suisses et étrangers: d’innombrables produits fabriqués en Suisse contiennent des composants achetés à l’étranger, et d’innombrables produits fabriqués à l’étranger contiennent des composants fournis par des fabricants suisses. Les mouvements qui ne reviennent pas sont insérés dans des montres de marques étrangères, qui veulent utiliser un mouvement de qualité suisse, mais non pas produire une montre Swiss made.

Et vos clients suisses?
Jusqu’à maintenant, j’ai pu honorer les commandes de nos clients suisses et étrangers. Mais au cas où le Swatch Group serait autorisé à réduire dès le début 2012 les livraisons d’assortiments Nivarox et de mouvements mécaniques ETA, Sellita ne pourrait fournir que d’une manière très limitée des mouvements mécaniques à ses clients, que ce soit en Suisse ou à l’étranger.

N’êtes-vous pas autonome? Vous avez créé six mouvements Sellita…
Oui, grâce à des efforts très intenses et très coûteux. Pour les fabriquer, nous avons encore besoin d’assortiments Nivarox. Dans la mesure où nos clients suisses et étrangers commandent des mouvements en calibres non encore produits par Sellita, nous devons acheter des mouvements ETA que nous leur fournissons, modifiés selon leurs souhaits ou inchangés. Il faut se rappeler que dès la fin 2010, ETA ne livre plus d’ébauches. Mais en 2009, Nicolas Hayek a annoncé qu’il avait l’intention de stopper les livraisons de mouvements mécaniques. L’annonce de la volonté de réduire les livraisons d’assortiments Nivarox est encore plus récente.

Et pourtant, vous vous agrandissez?
Oui, tant pour la production que pour la recherche et le développement. Il est vital pour Sellita de ne plus être dépendant du Swatch Group. En 2011, nous allons produire 800 000 pièces, mais nous devons augmenter nos volumes, car Sellita est un partenaire très important pour les horlogers indépendants.

Combien de clients avez-vous?
Environ 200, dont une trentaine à l’étranger. Le reste, ce sont des marques suisses, établies en Suisse, dont certaines très connues, et des dizaines d’autres, plus petites, qui constituent le tissu horloger et qui ne peuvent pas s’approvisionner chez ETA, leurs commandes étant trop petites.

En somme, Sellita et ETA ont tout pour s’entendre?
Nous sommes partiellement des concurrents, partiellement complémentaires. Sellita livre là où le Swatch Group ne veut plus le faire. En plus, Sellita fournit des mouvements mécaniques à beaucoup de marques qui fabriquent des montres concurrentes de marques du Swatch Group. Il nous faut encore du temps pour atteindre l’autonomie. Or, en ayant accepté les réductions des livraisons d’assortiments et de mouvements proposées par le Swatch Group dès janvier 2012, la Comco nous met dans une situation extrêmement pénible.

On vous coupe les ailes?
C’est paradoxal: en 2004, l’accord entre la Comco et le Swatch Group concernant les ébauches nous assignait, en quelque sorte, la mission de développer une alternative au Swatch Group, pour le bien du secteur horloger. Or, maintenant, en autorisant le Swatch Group à réduire les livraisons d’assortiments Nivarox et de mouvements mécaniques ETA, la Comco nous met des bâtons dans les roues.

Etes-vous devenu dangereux?
Je pense en effet que Sellita s’est développée plus vite que ne l’imaginait le Swatch Group. Nous avons atteint de gros volumes, nous gênons, c’est évident. D’où cette polémique sur les exportations, pour nous discréditer aux yeux de la Comco et du Tribunal administratif fédéral.

Quel chemin parcouru depuis vos débuts au bas de l’échelle…
Oui, j’ai commencé en 1987 comme simple employé de fabrication. Pierre Grandjean, qui avait fondé Sellita en 1950, s’est pris d’affection pour moi. J’ai gravi les échelons, jusqu’à devenir directeur en 1995. Depuis que j’ai racheté l’entreprise en 2003, le personnel est passé de 140 à 270 personnes. C’est dire si les enjeux sont énormes. Ce sont des familles entières qui vivent de ça, tant chez Sellita, chez nos fournisseurs que chez nos clients.

En dates

1966 - Naissance A Madrid.
1987 - Débuts. Il arrive dans l’horlogerie chez Sellita, par hasard, comme simple employé, «au bas de la pyramide». Pour tout bagage, l’école normale et une année d’école de commerce.
1995 - Directeur Le fondateur de Sellita, frappé par la maladie, le propulse aux commandes.
2003 - Rachat. Il rachète l’entreprise, et décide de réaliser ses propres mouvements.
2011 - Agrandissement. Projet d’un nouveau bâtiment, pour la production, la recherche et le développement.


LE MATIN

 

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