LEUR MEILLEUR ÉCHEC - J’ai regretté d’avoir vendu Blancpain
 
Le 28-09-2011

Jean-Claude Biver, CEO de Hublot, se raconte à Bilan.

Ce mardi matin vers 6h30 je fais un mail à Jean-Claude Biver pour lui demander de m’accorder un moment afin de l’interviewer dans le cadre de ma rubrique. Moins de trois minutes plus tard, je reçois sa réponse: «aujourd’hui 14 h au Beau- Rivage Lausanne». Et j’adapte aussitôt mon emploi du temps pour rencontrer cette personnalité tellement vivante et positive. Je suis – exceptionnellement – très à l’heure, je m’installe sur la terrasse et observe de loin mon invité qui est encore à table et qui s’agite avec ses interlocuteurs et pratiquement tous les clients qui passent…

Deux SMS et vingt minutes plus tard, il s’installe à mes côtés et nous rentrons dans le vif du sujet. «C’est génial ta rubrique». Notre discussion, ses mots devrais-je dire, s’engage sur le descriptif du début de la vie de chacun. Pour Biver, la vie commence par des échecs. Lorsque nous faisons nos premiers pas, nous ne sommes qu’au début de tout ce que nous rechercherons durant toute notre vie, l’équilibre. Ce sont toutes nos chutes et pleurs qui nous permettent d’analyser et de trouver le meilleur angle pour avancer, pour passer de la position couchée dans notre couffin à, quelques dizaines de mois plus tard, courir dans la cour de l’immeuble. Et d’enchaîner sur le sport «combien de fois Federer ou Killy ont-ils échoué avant de gagner? Des milliers de fois!»



"Il ne faut pas sanctionner l'échec"


Biver fait parfois les questions et les réponses mais sa générosité et son intelligence font passer outre. Tomber, échouer, se ramasser est le SEUL moyen d’accéder au succès, à la performance. Il faut considérer l’échec et ne pas le sanctionner! «Lorsque je reçois un CV chez Hublot, je suis naturellement attiré vers les candidats qui se sont ramassés. Ceux qui ont surmonté des échecs professionnels ou des faillites ont cent fois plus d’expérience acquise par ces événements que des parcours sans faute, lisses; ces derniers s’effondrent aux premiers obstacles allant jusqu’à mettre fin à leur vie». Et de rebondir sur la scolarité et les avantages de redoubler: «mieux vaut faire deux fois la même année et retenir le 100% que de passer à la limite et se rappeler du 60%! Soudainement, Biver s’arrête et précise que «erreur, échec, OUI, mais à répétition, NON»; l’erreur n’a d’intérêt que si elle ne se répète pas! «Patrick, note bien cet échange entre Einstein et un journaliste, quelques années avant la fin de sa vie». Il lui fut demandé ce qu’il souhaitait le plus jusqu’à sa mort. A quoi Einstein répondit «me tromper le plus souvent possible car faire des erreurs est proportionnel à son volume d’activité», à quoi Einstein rajouta «mais aussi que les conséquences de chacune de mes erreurs soient moins importantes que la précédente»… Belle leçon de vie et venant d’Albert Einstein ça ne peut naturellement être que juste!

Et Jean-Claude Biver s’emporte à nouveau, comme toujours avec enthousiasme. «On fait faux faux faux, on est obsédé par la réussite, on ne donne pas droit à l’erreur et ce faisant, on étouffe la créativité» que ce soit pour un enfant ou un collaborateur.



Parler de ses erreurs

Après l’analyse de l’échec au sens large, je lui demande quel est son «meilleur échec» à lui? La réponse surgit à la vitesse d’un éclair. Et il m’explique avec humilité que pendant les huit ans qui ont suivi la vente de Blancpain à Swatch Group, il est resté figé par la culpabilité de ne pas avoir gardé cette société pour la transmettre à ses enfants, il est resté bloqué par des regrets, des peurs et des angoisses. C’est comme dans une rupture sentimentale… Pour y survivre, il a accepté de rentrer dans la direction générale de Swatch surtout pour «rester proche de son bébé». Il se rassurait en se disant qu’il vivait une expérience extraordinaire aux côtés de feu Nicolas Hayek et qu’il avait fait fortune. Mais c’était sans compter sur la maladie. Une légionellose le foudroya et le cloua chez lui pendant des mois. Juste le temps nécessaire ou plutôt le «déclencheur» pour réaliser la chance de vivre tout court et la volonté de vivre sa passion, celle d’innover, d’entreprendre, de créer, de vendre. Ce fut le début d’une aventure qui lui permit de réaliser la renaissance de la société Hublot, une marque agonisante, de transformer en un peu plus d’un an le chiffre d’affaires en bénéfice net. Avant de revendre la société pour près de 500 millions de francs à LVMH, vingt fois plus que Blancpain! Et de conclure qu’il faut parler de ses erreurs, de ses fautes; qu’il ne faut pas en avoir honte. Que c’est un devoir de partager ses erreurs, tout simplement pour le bien de son prochain. Après quarante-cinq minutes d’entretien avec un des meilleurs «marketing guy» du monde, on ressort gonflé à bloc avec une envie folle de…faire des erreurs.

Patrick Delarive
BILAN

 

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