Le scénario horloger qui donne le vertige
 
Le 31-10-2011

Le défi, gérer des exportations qui passeront de 18 à 23 milliards en dix ans

A quoi ressemblera l’horlogerie suisse dans une décennie? La question est moins anodine qu’il n’y paraît car l’avenir doit impérativement se préparer aujourd’hui, surtout qu’au niveau industriel, les investissements ne déploient leurs effets qu’à moyen terme.

A défaut de boule de cristal, recourir aux taux de croissance composés et leurs effets multiplicateurs permet d’apporter des éléments de réponses. C’est du reste la méthode qu’a employée HSBC pour décrypter récemment le devenir du commerce mondial. Faisons donc le même calcul pour ce secteur – actuel fer de lance des exportations helvétique – mais en y intégrant une variable récession plus contraignante que ce que n’a fait la banque britannique.

5 milliards d’export en plus

Durant ces dix dernières années, malgré deux périodes de forte contraction conjoncturelle (2002 et 2009), les exportations de montres suisses ont crû en moyenne annuelle de 6%. En projetant un scénario presque identique, mais prudemment de 5%, cela catapultera dans une décennie les exportations de la branche à hauteur de 28 milliards de francs, contre probablement près de 18 milliards cette année. Soyons plus parcimonieux et partons sur la moitié – donc une hausse annuelle de 2,5% – puisque d’inévitables aléas conjoncturels ne manqueront pas de survenir. Résultat, il s’agira tout même de 23 milliards de francs. Soit 5 milliards de plus que maintenant. Ou 500 millions par an.

Parmi d’autres facteurs, il suffit que l’Inde et le Brésil abaissent leurs taxes pour que ce chiffre n’augmente encore vertigineusement. Sans parler de l’émergence d’une classe moyenne dans des économies comme le Vietnam, l’Indonésie ou le Mexique. Et comme l’horlogerie est devenue un symbole de réussite professionnelle… Les experts de Credit Suisse prévoient d’ailleurs une hausse de 50% de la fortune mondiale à l’horizon 2016. La Chine, déjà l’eldorado de l’horlogerie, devrait devenir le deuxième pays le plus riche à cette date, à la place du Japon.

Cette hypothèse des 5 milliards de croissance, qui reste à vérifier mais est jugée plausible par plusieurs horlogers contactés par le Temps, ne va toutefois pas sans poser une kyrielle de problèmes et de questions. Ne serait-ce qu’en termes de capacités de production, de main-d’œuvre; alors que déjà aujourd’hui des goulots d’étranglement se font sentir sur nombre de composants.

Avec de telles perspectives, nombre d’investisseurs voudront s’arroger une part du gâteau et les capitaux ne devraient pas faire défaut. Mais seront-ils vraiment investis dans des sites de production, dans la recherche et le développement? Jusqu’ici, aveuglés par les profits immédiats, bon nombre d’acteurs privilégiaient le seul marketing, comme l’a cruellement mis en lumière la récession de 2009.

Un avenir sans les composants de Swatch

De plus, les horlogers devront tôt ou tard apprendre à vivre sans les composants de Swatch Group, qui a exprimé son désir de cesser à terme ce type de livraisons à la majorité des tiers. Dans ce contexte, les quérulents qui ont recouru auprès du Tribunal administratif fédéral pour s’opposer aux premières décisions allant dans ce sens se trompent de cible. Le train est en marche et la fin effective du supermarché horloger n’est qu’une question d’années. Le lock-out pourrait d’ailleurs intervenir bien plus tôt que ne l’imaginent les horlogers.

Prenons l’exemple de Breitling. La marque de Granges a pris son destin industriel en main en lançant son mouvement maison. Ou alors Chopard. La maison genevoise pourrait dégager une rentabilité nettement supérieure mais elle a fait le choix de la manufacture, c’est-à-dire de devenir industriellement la plus indépendante possible. Ce qui a un coût.

Les petits acteurs du secteur, faute de moyens suffisants, ne parviendront pas à accroître massivement leurs capacités de production. La profession a intérêt à prendre son avenir en main. Plusieurs pistes sont possibles. Par exemple, mutualiser la fabrication d’un certain nombre de composants. Si ce n’était pas le cas, il y aurait le danger de forcer certaines marques à s’approvisionner en composants ou mouvements à l’étranger pour des raisons de coûts. Et de pénurie de produits. L’horlogerie joue sa fortune. Pas dans dix ans. Mais hic et nunc. L’échelle et l’étendue du défi sont énormes.

Bastien Buss
LE TEMPS

 

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