|
Les signes de convergence se multiplient à l’échelle de l’industrie. On s’attend à une affluence de capitaux chinois.
Les liens entre la Chine et l’horlogerie haut de gamme pratiquée en Suisse ont toujours existé. Le métissage est même beaucoup plus important qu’il n’en paraît. La journée du marketing horloger tenue hier à La Chaux-de- Fonds a dressé le décor d’une proximité que l’on imagine volontiers unidirectionnelle, comme si l’Asie (la Chine) ne pouvait ou ne devait être qu’un client. La réalité est évidemment plus nuancée et l’influence asiatique touche toutes les fonctions de l’industrie, sous-traitance, distribution, partenariat, participations croisées.
James Carter, spécialiste M & A chez KPMG, porte l’analyse un cran plus loin et annonce un nouveau point de convergence. Les signes se multiplient en faveur de ce qui pourrait être une phase de normalisation des rapports entre l’horlogerie suisse et la Chine. Le débat est déjà ancien et les rapprochements existant ou ayant existé connaissent des sorts très contrastés, avec des réussites comme Milus, Jean d’Eve, Bertolucci ou Bédat, des semi-échecs façon Vulcain ou Peace Mark-Soprod, voire des échecs patents dans le genre Universal, Leonard. Difficile de donner la mesure exacte des rapprochements en cours, qui concernent avant tout les sociétés privées.
Ce type de comptabilité n’est d’ailleurs pas très éclairant et ce n’est pas le propos de James Carter, qui se tient en équilibre entre intuitions et recoupements d’éléments objectifs. Parmi ces derniers, l’émergence de la classe moyenne chinoise reste la motivation principale. De même son corollaire politique, la volonté du gouvernement de favoriser la réponse domestique à la demande domestique. L’expert précise que le processus est à large spectre et que le luxe demeure un thème d’investissement périphérique. La tendance générale en Chine, après la vague d’acquisitions dans les matières premières, est pour l’instant surtout concentrée sur les biens de consommation courant, alimentaire et pharma. La Suisse ne figure pas non plus en tête des cibles, même si les opérations commencent à être visibles, à l’instar de Nycomed ou Addax.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour l’horlogerie? D’une part que le rythme des acquisitions ou des prises de participation chinoises dans l’horlogerie suisse devrait s’accélérer à moyen, voire court terme. D’autre part que les opérations devraient être beaucoup plus qualitatives que ce qui a pu se présenter dans le passé. Faut-il craindre le pire? James Carter se montre au contraire rassurant sur le potentiel de bonnes surprises. «L’investisseur chinois est d’une certaine manière obligé de respecter la culture domestique s’il veut réussir en Suisse.»
Pour l’instant, le secteur n’en est pas encore là et les relations avec les capitaux asiatiques alimentent plutôt les pulsions protectionnistes et les craintes de disqualification. Dernier cas en date avec les montres Eterna, reprise par le groupe China Haidian en juillet dernier.
James Carter n’en fait pas un cas d’école de cette transaction, qui reste marginale à l’échelle de l’industrie (la marque a été acquise pour 23 millions de francs). Elle illustre néanmoins le nouveau genre d’approche. China Haidian, coté à Hong Kong, arpentait depuis quelque temps déjà l’industrie horlogère suisse à la recherche d’une cible. Il faut souligner le caractère stratégique (versus le simple placement de capitaux) de l’opération. China Haidian possède deux marques moyen de gamme en Chine et un réseau de distribution bien développé à l’échelle domestique. Eterna représente l’entrée idéale sur l’horlogerie qualitative, avec toute la légitimité historique et technologique qui caractérise le haut de gamme. Les critères de sélection sont essentiels. James Carter souligne qu’Eterna était loin d’être la seule marque en quête de capitaux depuis la crise du luxe.
Quel enseignement tirer d’Eterna? Il est multiple. L’aspect stratégique, la recherche de synergies est bien compréhensible: l’accès au premier marché mondial demeure une clé de lecture centrale. Pour l’acquéreur chinois, c’est aussi la possibilité d’augmenter dans des proportions importantes la marge brute. La notion de légitimité horlogère ensuite peut paraître commune. Elle suggère pourtant une approche sophistiquée, s’agissant d’acquérir sans diluer l’ancrage culturel de la marque (versus un label fashion ou une jeune marque, par exemple, plus tolérant à l’absorption), seule option possible pour rester visible au niveau global et pas seulement en Chine.
Le montant de l’opération signale aussi une bonne connaissance de l’industrie et de la valeur des marques. «L’investisseur chinois n’est plus prêt à acquérir n’importe quoi à n’importe quel multiple.» C’est encore l’illustration parfaite d’une relation interdépendante, vouée à se renforcer entre les marques (surtout hors des groupes), et les capitaux asiatiques. Quand la question est de s’ancrer au premier débouché du monde sans se surexposer, l’alliance paraît s’imposer naturellement. Cumulé à une position financière de plus en plus incertaine pour beaucoup de marques indépendantes, on peut s’attendre à une multiplication des prises de participation.
AGEFI - 4 novembre 2011
Stéphane Gachet
|