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De passage à Genève pour l’inauguration d’une nouvelle boutique, Patrick Thomas, gérant du groupe français, déclare que la société ne vise pas d’acquisition. Selon lui, «la croissance externe est un aveu de faiblesse»
Le Temps: Le chiffre d’affaires du groupe s’est élevé à 683,2 millions d’euros au troisième trimestre, affichant une progression de 16%. Qu’en est-il du quatrième trimestre?
Patrick Thomas: De manière générale, tout continue à très bien se dérouler pour nous, sur les mêmes bases. Nous sommes raisonnablement confiants et optimistes. Nous bénéficions clairement d’une nouvelle tendance qui émerge dans notre univers.
– Laquelle?
– Le luxe pur, les produits glamour au contenu qualitatif un peu douteux, a tendance à souffrir un peu. Au profit des univers et des produits de belle facture. Il se trouve que nous évoluons dans cette catégorie. Aujourd’hui, notre taux de croissance est nettement supérieur à celui que l’on qualifie de luxe. C’est une tendance durable qui va aller en s’accélérant.
– Pas de préoccupation pour l’année prochaine, donc…
– Cela n’empêche pas que les soubresauts macroéconomiques, notamment monétaires, puissent nous affecter d’une certaine manière. Dans notre secteur, la confiance des consommateurs joue un rôle important. Mais il y a une grande différence entre acheter un objet que l’on va jeter dans trois mois et l’achat d’un article destiné à durer 40 ans et que l’on pourra transmettre à ses enfants. Nous évoluons dans la deuxième catégorie. De moins en moins, les clients chercheront la nouveauté pour la nouveauté. Dans ce sens, nous ne sommes pas une maison de mode. L’aspiration de bien vivre et de la qualité de vie va gagner en importance. Le luxe ostentatoire, qui nous est étranger, va s’étioler.
– L’horizon économique s’assombrit. Le luxe n’est-il pas à son tour rattrapé par la crise?
– Pas en ce qui nous concerne. Pour 2012, nous pouvons tabler, en étant prudents, sur une bonne croissance, de 10%. Sous réserve bien sûr d’une récession majeure au niveau mondial. C’est d’ailleurs plus ou moins notre objectif de progression, bon an mal an. Après deux années consécutives à 20%, on peut se permettre un exercice avec une croissance un peu plus modérée. Cela nous permettra de souffler.
– C’est-à-dire?
– De toute manière, nous ne pourrions pas maintenir ce rythme en raison de capacités de production limitées. Nous connaissons des goulots d’étranglement sur nombre de produits. Avec un essor de l’activité de près de 50% en deux ans, nos ateliers n’arrivent plus à suivre. Raison pour laquelle nous allons ouvrir trois nouveaux sites de production d’ici au premier trimestre 2012 en France. Hermès augmentera ses capacités de production de 8 à 9%. Actuellement, le groupe compte 33 manufactures sur 27 sites de production, la plupart en France. Mais en Suisse aussi, avec l’horlogerie qui est produite à Nidau (BE). Toujours est-il que nous préférons limiter nos volumes pour conserver la qualité. Ne jamais faire de compromis.
– Cela limite toutefois votre croissance.
– Oui, car à l’heure actuelle, nous pourrions vendre sans problème 20 à 30% de produits en plus dans nos magasins s’ils étaient disponibles. Surtout dans la maroquinerie et les textiles. L’exclusivité doit également être préservée.
– La Chine est-elle toujours l’eldorado de la croissance?
– Oui, en effet. Ce pays se développe à un rythme incroyable pour nous. Mais il existe un phénomène que je trouve plus intéressant. C’est le formidable développement des marchés dit matures, comme l’Allemagne, la Suisse, les Etats-Unis ou l’Italie où nous connaissons des taux de progression de 20% et plus. C’est un signe formidable de vigueur de la marque. Cela signifie qu’Hermès répond à l’aspiration de la clientèle. Là aussi, nous profitons de l’arbitrage entre la qualité et le luxe.
– Qu’en est-il de votre croissance externe?
– Nous n’avons absolument pas besoin de croissance externe, l’interne que nous dégageons nous suffit amplement. D’ici cinq à dix ans, Hermès n’a aucun risque d’avoir une croissance insuffisante, tant la demande est élevée. Le potentiel de la maison dans ses lignes existantes est encore considérable.
– Vous n’êtes fondamentalement pas très favorable à des acquisitions
– En effet. Les fusions et acquisitions échouent souvent, la plupart du temps pour des raisons culturelles, philosophiques. La croissance externe est un aveu de faiblesse, de problème ou de faille dans ses propres capacités.
– L’arrivée à la hussarde de LVMH il y a un an à hauteur de 21,4% du capital est-elle digérée ou êtes-vous toujours sonnés comme on l’a affirmé?
– C’est fini. L’affaire est terminée. On n’en parle plus. Notre holding familiale est désormais sous toit. Tous les membres des trois familles propriétaire du groupe ont apporté une partie de leurs actions (ndlr: le principal actionnaire du groupe Nicolas Puech qui détient 6% du capital ne s’est pas joint au groupe). Cette holding regroupe désormais 50,2% du capital détenu par les héritiers du fondateur Thierry Hermès. Ils se sont engagés à ne pas y toucher durant vingt ans. Il s’agit tout de même de 12 milliards d’euros.
– Quelle est la leçon à tirer de cette tentative de fragilisation ou de contrôle?
– C’est une victoire de l’unité familiale contre LVMH. Les familles Puech, Dumas et Guerrand sont restés unis en tout temps et les événements survenus depuis des mois les ont soudées. Elles ont donné un exemple de durabilité, de pérennité, dans un univers où le système libéral est décrié. La famille affirme ainsi que la qualité du projet d’entreprise est plus importante que le patrimoine qu’elle détient. Chapeau, c’est ça la belle leçon.
– Mais ce n’était pas qu’un problème financier.
– En effet, les divergences culturelles avec LVMH auraient été insurmontables. Il n’y a pas de compatibilité possible entre l’univers de LVMH ou de tout autre groupe financier et nous. Nous sommes des artisans créateurs, axés sur la croissance organique. |