Scandale Eternit: la première grande victoire des victimes de l’amiante
 
Le 14-02-2012

Le tribunal de Turin a rendu un verdict favorable aux 6000 plaignants. En Italie, l’enquête aura duré cinq ans, le procès trois. Des actions ont aussi été lancées en France

Stephan Schmidheiny, 65 ans, industriel suisse et ancien patron du groupe Eternit, ainsi que Jean-Louis de Cartier, 90 ans, baron belge et actionnaire minoritaire dans la filiale italienne sise à Gênes, feront appel. Ils ont été condamnés lundi à 16 ans de prison par un tribunal de Turin pour homicide volontaire. Les deux hommes étaient accusés de la mort de 3000 personnes en Italie, ouvriers et habitants des villes où Eternit avait des usines. Le juge Giuseppe Casabore les a aussi condamnés à verser des dizaines de millions d’euros aux parties civiles pour avoir provoqué «une catastrophe sanitaire et environnementale permanente» et enfreint les règles de la sécurité au travail. Au total, 6000 personnes, en majorité des victimes de l’amiante ou des proches de décédés, réclament un dédommagement.

Aucun des deux accusés n’était présent à l’audience du tribunal de Turin. Le procès en appel peut aussi avoir lieu en leur absence. «De toute façon, la Suisse n’extrade pas ses citoyens (Art. 25 de la Constitution), mais l’Italie peut exiger que Stephan Schmidheiny purge sa peine en Suisse pour autant que toutes les voies de recours sont épuisées et que la condamnation est confirmée», explique un juriste. Selon lui, l’Italie peut aussi lancer un mandat d’arrêt international. Un pays peut effectivement arrêter le «fugitif» et l’extrader en Italie si tant est que les conditions d’une extradition soient remplies. S’exprimant sur les ondes de la RSR, un autre juriste suisse a estimé que, pour le même délit en Suisse, la peine ne dépasserait pas quatre ans et demi de prison.

C’est au terme de cinq ans d’enquête et de trois ans de procès que le verdict est tombé hier en présence de nombreuses familles, notamment de la ville de Casale Monferrato où Eternit avait une usine qui utilisait l’amiante dans les produits préfabriqués de la construction. Ce produit provoque le cancer de la plèvre ou le mésothéliome qui peut se déclarer même quarante ans après avoir été exposé à l’amiante.

La plainte pénale avait été déposée en 2003. Auparavant, en novembre 2001, un procureur turinois avait bénéficié d’une entraide judiciaire de Berne. Les avocats des plaignants avaient réclamé 20 ans de prison alors que la défense estimait que l’industriel suisse, un philanthrope reconnu, n’était pas directement responsable du drame. Eternit (Italie) a cessé ses activités en 1986, soit six ans avant l’interdiction de l’amiante dans la Péninsule. Mais la défense a fait comprendre que l’entreprise était déjà au courant des risques posés par ce matériau.

Stephan Schmidheiny avait hérité du groupe Eternit en 1984 alors que le groupe Holderbank, rebaptisé Holcim, allait à son frère Thomas. Dans sa biographie officielle, Stephan Schmidheiny signale avoir été lui-même exposé au poison, mais à l’époque les scientifiques n’étaient pas encore affirmatifs sur les risques. Après avoir cédé Eternit Suisse en 2004, Stephan Schmidheiny, dont la fortune est estimée entre 3 et 4 milliards de dollars selon Bilan, se consacre aux projets de développement durable, principalement en Amérique du Sud. Dans une interview à la TSR dimanche, son avocat affirmait que l’ancien industriel avait fait don de plusieurs dizaines de millions d’euros pour la recherche scientifique en Italie.

Le jugement de Turin a été accueilli avec joie non seulement en Italie, mais également dans d’autres pays où les victimes de l’amiante tentent de se faire entendre. En Belgique, la justice a condamné Eternit à un dédommagement de 250 000 euros à une famille victime en novembre. Elle a reconnu que l’amiante avait été responsable du décès d’un ingénieur, mais aussi de sa femme et de leurs deux fils.

«Nous attendions avec impatience le jugement et nous demandons aux autorités françaises d’en tirer les conséquences.» Telle a été la réaction d’un avocat français dont les clients, anciens employés d’Andeva, ont déposé plainte en 1996 et qui attendent encore réparation. Au Japon, une loi adoptée en 2006 prévoit des compensations aux familles victimes des maladies liées à l’amiante.

Ram Etwareea
LE TEMPS

 

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