Moins d’entreprises en Suisse à cause de la loi sur les faillites!
 
Le 13-03-2012

Après trois ans de discussions, il n’y a toujours pas d’accord sur les créances de la filiale suisse de Lehman Brothers. C’est l’occasion d’analyser les conséquences de la nouvelle loi suisse sur les faillites

La plus grande faillite de l’histoire, celle de Lehman Brothers est réglée dans tous les pays sauf un, la Suisse. Après trois ans de discussions, il n’y a toujours pas d’accord sur les créances de la filiale suisse (LBF). En janvier 2012, le juge américain James Peck, responsable du processus aux Etats-Unis, a averti que la résolution complète ne pouvait être accomplie que si celle de LBF était réalisée. Et vendredi dernier, à Zurich, Robert Shapiro, conseiller économique au FMI et ancien sous-secrétaire d’Etat américain avec Bill Clinton, en a tiré les conséquences: «Si la Suisse demeure une exception, sa réputation et l’image de sa place financière pourraient souffrir et provoquer une diminution des investissements directs dans le pays.» L’expert s’exprimait lors d’un séminaire du Liberales Institut à Zurich sur le droit suisse des faillites.

L’origine de cette réglementation mérite d’être rappelée. La loi suisse est la conséquence directe du sauvetage d’UBS. Mais tandis que les partis bourgeois se concentraient sur le sauvetage de la grande banque pour assurer la stabilité de la place financière, les partis de gauche ont pointé un doigt accusateur en direction du marché et immédiatement exigé une nouvelle loi. «Nous subissons une tendance au romantisme institutionnel qui voudrait qu’une loi puisse empêcher une crise», estime fort justement Hans-Ulrich Bigler, directeur de l’USAM. Mieux vaudrait déréglementer, réduire le nombre de lois, mais en proposer de meilleures, selon lui. A l’évidence, le parlement prend une autre direction, celle que propose le parti socialiste, fort de ses 18,5% de voix aux élections, et adoptée par d’innombrables autres parlementaires.

La révision 2011 de la loi suisse sur les faillites constitue globalement un progrès, dans le sens où elle diminue la probabilité d’un sauvetage par l’Etat. Mais ses déficits sont sous-estimés. Certains ne sont d’ailleurs pas spécifiques à la Suisse.

La faillite de Lehman Brothers montre que la globalisation ne s’est pas accompagnée d’une réponse internationale satisfaisante, selon Robert Shapiro. Peut-on se satisfaire de solutions disparates d’un Etat à l’autre? En cas de conflit de normes, ne risque-t-on pas que le droit d’un grand pays soit privilégié au droit suisse? Les conflits juridiques entre pays font partie des points qui ne sont pas résolus par la révision de 2011 de la loi suisse, écrit dans un rapport Urs Birchler, professeur à l’Institut de banque et finance, à Zurich, et ancien membre de la direction de la Banque nationale. L’approche suisse des filiales bancaires («single entity») diffère par exemple de celle des Etats-Unis («separate entity»). La position de la Suisse est d’autant plus délicate que les filiales étrangères de banques suisses ont davantage investi aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, qu’elles n’ont obtenu de capitaux dans ces pays.

Urs Birchler et Robert Shapiro critiquent surtout la détérioration de la protection des intérêts des créanciers et des actionnaires avec la révision de la loi suisse sur les faillites en 2011. En effet, sans aucune remarque ni commentaire, «on a omis la provision existant dans la loi de 2003 qui soulignait la nécessité de maximiser et protéger les intérêts des bénéficiaires», estime Robert Shapiro. «La révision de la loi suisse affaiblit la sécurité légale des créanciers lors des faillites financières», a conclu ce conseiller du FMI.

Robert Shapiro regrette une autre tendance regrettable, «la politisation du droit suisse des faillites». En effet, le rôle de la Finma s’est massivement accru mais sans définir ses objectifs. Est-ce qu’en cas de conflit d’intérêts, l’autorité de surveillance devrait privilégier les intérêts des créanciers, des déposants ou des débiteurs? De même, la Finma reste libre de privilégier une solution suisse, l’emploi, ou la solvabilité d’autres banques. C’est grave, car la procédure indiquée par la loi conduit à une atteinte aux droits de propriété. Il serait bon d’entrer dans les détails.

La loi sur les faillites modifie les comportements, par le biais des incitations, et influence indirectement la croissance et la compétitivité, observe Urs Birch­ler. Elle a un effet préventif positif, selon cet ancien directeur de la BNS. Elle n’intervient donc pas dans le système économique seulement au moment d’une procédure de faillite. Mais la loi n’offre pas pour autant une protection à 100%. Elle ne fait que réduire la probabilité d’un sauvetage par l’Etat.

Malgré ses atouts, la révision de 2011 fait parfois fausse route. Une faiblesse majeure du droit suisse se situe dans l’illusion qu’elle crée avec son concept de «bonne banque» et «mauvaise banque», qui consiste à conserver les actifs sains dans une banque et déplacer les pertes dans une autre. «Leur transfert ne transforme pas les pertes», selon Urs Birchler. Elles sont toujours aussi lourdes et leur sort ne fait guère de doute. Elles sont finalement reprises par l’Etat. «La loi ne s’occupe pas de ce qui se passe avec la «mauvaise banque», affirme Hans-Ulrich Bigler. On rend encore moins attractif le sauvetage du segment qui accuse les pertes.

Une autre illusion doit être dénoncée: la protection des déposants, selon Urs Birchler. Dans les grandes banques, le montant assuré ne représente qu’une petite partie des dépôts. La limite maximale est de 6 milliards. Mais sept banques dépassent ce montant et les deux grandes banques vont au-delà de 55 milliards de francs…

Cette fausse protection,
qui s’ajoute au principe du «premier arrivé, premier servi»,
incite l’épargnant à courir à la banque pour retirer son épargne. La protection des dépôts conduit alors à l’inverse du but recherché.

Enfin, un autre casse-tête pour les praticiens s’annonce avec les produits dérivés, selon Urs Birch­ler, non seulement sous l’angle de leur évaluation, mais aussi du fait que ces contrats comprennent souvent des causes particulières en cas d’insolvabilité.

Emmanuel Garessus
LE TEMPS

 

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