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L'horlogerie suisse fait figure d’exception à moult égards. Une santé de fer, des commandes en croissance à Baselworld après une année de référence en 2011, des perspectives à court terme tout à fait enviables et des projections à l’avenant
Nul besoin de prolégomènes. L’horlogerie suisse fait figure d’exception à moult égards. Une santé de fer, des commandes en croissance à Baselworld après une année de référence en 2011, des perspectives à court terme tout à fait enviables et des projections à l’avenant. Pourtant, sans doute plus que jamais, l’horlogerie vit une période de profonde mutation. «La concentration des forces de production autant que celles de la distribution est en passe de modifier profondément les habitudes de nos branches», estime Jacques Duchêne, président des exposants à Baselworld et l’une des éminences grises du secteur. Chacun doit prendre en compte cette nouvelle réalité et devra encore faire preuve de flexibilité, de créativité et de compétence pour s’y adapter dans les années à venir. «Dans un monde et une économie toujours davantage globalisés, nous devons nous investir tout en gardant nos spécificités. C’est sans doute l’une des clés pour conforter nos succès futurs», poursuit-il. Tour d’horizon des principaux défis.
La production
Près de 30 millions de montres écoulées l’an dernier. Une progression sur les deux dernières années de 45,7% en valeur et de 37,2% en volume après le passage à vide de 2009. Sur dix ans, les exportations ont ni plus ni moins doublé. Et d’après beaucoup de professionnels, ce n’est qu’un début. Ainsi, Jean-Claude Biver, président de Hublot, estime que la branche a encore le potentiel de doubler ce chiffre d’ici à une quinzaine d’années. Il faudra donc répondre et digérer une demande de 20 milliards de francs supplémentaires avant 2030. Soit après-demain en termes industriels, d’investissements, de mise en place de l’outil de production. Surtout que Swatch Group va graduellement continuer à diminuer ses livraisons de composants au tiers (mouvements, organes réglants, etc.). La Commission de la concurrence lui a autorisé cette première étape. A n’en pas douter, elle sera suivie d’autres. Pour faire face à la demande future, il convient de trouver des succédanés. La voie de la mutualisation est par exemple encore largement sous-exploitée dans la branche.
S’affranchir de Swatch Group
Il y a dix ans, Nicolas Hayek avait lancé le premier coup de semonce. Son groupe n’officiera plus comme supermarché pour l’horlogerie suisse. Peu d’horlogers ont semblé se rendre compte du changement structurel profond et définitif que cela devait induire. Une vraie révolution. Depuis, ETA, sa fabrique de mouvements, a déjà commencé à fermer le robinet. Pour les professionnels qui n’auraient pas encore compris que le train était en marche et que plus rien ne pourrait l’arrêter, il suffisait de se rendre à Baselworld. ETA ne tenait tout simplement plus salon. Enième preuve que le bras industriel du numéro un mondial de l’horlogerie ne cherche plus de clients. Il n’y a donc plus des millions de solutions. Il convient d’investir encore et toujours dans l’appareil de production. La plupart le font, ceux qui en ont les moyens. Selon un décompte du Temps, environ 1 milliard de francs sont actuellement investis ou en passe de l’être par une trentaine de marques. D’autres rachètent des fournisseurs. Les objectifs sont souvent doubles. D’abord assurer son propre approvisionnement. Ensuite, mettre plus rapidement sur le marché de nouveaux produits.
Accélérer les processus
L’horlogerie doit vivre avec son temps, s’adapter à l’excellence industrielle. Et, pour ce faire, réduire le fameux «time to market», le temps qu’il faut entre
la première idée et la mise sur
le marché du produit. La branche a pris du retard, mais elle
en a conscience. Ainsi, chez
TAG Heuer, on affirme développer de nouvelles montres comme on développe un Airbus. Grâce à l’assistance par ordinateur, toutes les phases ont été réduites. Auparavant, il fallait quatre à cinq ans pour développer un nouveau calibre. Maintenant, il suffit de deux ans. Cela ne suffit pas encore à Luc Perramond, directeur général de La Montre Hermès: «Deux ans, c’est long, le double d’ailleurs de l’industrie automobile.» Et de souligner l’importance de cet aspect dans une branche hautement sensible, d’habitude, aux cycles économiques. Cette accélération est rendue d’autant plus vitale que l’horlogerie s’apparente toujours plus à la mode, avec ses codes urgents et éphémères.
La formation
C’est le challenge numéro un dans les années à venir, met en garde Marc Alexander Hayek, en charge des marques Blancpain, Breguet et Jaquet Droz au sein du Swatch Group. Et il sait de quoi il en retourne. Il a engagé plusieurs centaines de personnes l’an dernier et est à la recherche, en 2012, pour les trois marques de 100 nouveaux collaborateurs. Si quelques sociétés horlogères affirment vouloir maintenir un taux de frontaliers stable, d’autres sont forcées de recruter toujours plus loin des forces vives. De plus, il n’est pas toujours facile d’embaucher. Avec une inévitable inflation des salaires, même si parfois, par région, plusieurs acteurs signent des accords de non-concurrence en la matière. Elles éviteraient ainsi de débaucher, surtout pour les postes clés. Pour anticiper les ralentissements conjoncturels, les sociétés recrutent en outre toujours plus pour des durées déterminées. Ce qui leur permet davantage de flexibilité même si la démarche est également contre-productive au niveau de la culture d’entreprise et de la fidélité à un employeur. Beaucoup d’entreprises qui s’étaient targuées, lors de la précédente récession, de n’avoir pas licencié, n’avaient tout simplement par reconduit ce type de contrat.
Le moyen de gamme
La Suisse ne peut se permettre d’avoir une horlogerie exclusivement active dans le luxe. Le pays doit conserver sa place dans l’entrée et le milieu de gamme, secteur où une concurrence existe. Ce segment permet des volumes nécessaires pour investir et est générateur d’emplois. C’est là aussi que se situe l’écrasante majorité des clients potentiels. Ils constituent par ailleurs souvent des produits d’appel. Un consommateur, après avoir acquis une montre accessible, aspire souvent par la suite à posséder une montre plus onéreuse.
Bastien Buss
LE TEMPS
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