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Les difficultés que rencontrent actuellement les banques privées suisses ne sont pas insurmontables. L’exemple des fabricants de montres atteste que le renouveau d’un secteur passe par l’acceptation du changement
Si l’année 2012 a commencé sous les meilleurs auspices pour la branche horlogère, ce succès industriel contraste avec les difficultés rencontrées par le secteur bancaire suisse, particulièrement dans la banque privée.
Depuis plus de trois ans, la place financière helvétique est sous pression. Les attaques répétées contre le secret bancaire ont nettement réduit l’accès au marché offshore. Les divers scandales et excès des grandes banques internationales ainsi que la mise en circulation de produits toxiques et frauduleux ont porté atteinte à la réputation de l’ensemble des acteurs sans distinction. Les nouvelles régulations qui en découlent, l’augmentation des frais de compliance qui en résultent, la force du franc et la concurrence acharnée des places financières internationales laissent peu de répit au secteur. Pour survivre, les banques privées doivent changer pour ne pas disparaître, ou plutôt changer sans disparaître.
L’enjeu est triple pour ces établissements centenaires. Il consiste à adapter au nouveau contexte leur mode de fonctionnement, leur gestion, ainsi que leur organisation. Ceci sans pour autant renier leurs valeurs ni mettre en péril la qualité de la relation avec la clientèle tout en apportant à cette dernière un surplus de valeur ajoutée et de qualité permettant une véritable différenciation.
Imaginons une fiction dans laquelle le secteur horloger subirait des difficultés analogues.
Le franc fort mis à part, imaginons que la concurrence horlogère lance une attaque structurée contre le label «Swiss made» (secret bancaire). Par analogie à ce qu’a vécu la banque privée, l’utilisation de composants étrangers défectueux (produits toxiques et frauduleux) entraîne une baisse importante de la qualité suivie par des retours de garantie en masse. Afin de protéger la clientèle, les autorités compétentes imposent un démontage/remontage de toutes les montres par un organisme indépendant afin de s’assurer de la conformité des composants (régulation et frais de compliance). Il y aurait là de quoi dévaster le secteur.
Ce scénario catastrophe permet d’illustrer la crise existentielle dans laquelle se trouve la banque privée. La pression est très forte. Néanmoins ces difficultés ne sont pas insurmontables.
Dans le contexte – réel cette fois – de la crise horlogère des années 1970 et 1980, les parts de marché de l’horlogerie suisse baissaient de manière significative. Pour Pierre-Yves Donzé, chercheur associé à l’Université d’Osaka, les causes sont multiples. Dans son analyse parue dans Le Temps du 18 janvier 2011, le chercheur relève que le secteur était à l’époque très fragmenté et que chaque acteur tentait de couvrir tous les segments du marché. A cela s’ajoutait la concurrence progressive des montres à quartz et la force du franc. Néanmoins, la cause première de cette crise était liée à un manque de rationalisation des systèmes de production.
Les horlogers ne pouvant agir sur l’aspect monétaire, ils ont été amenés à revoir leur stratégie en concentrant leurs efforts sur un nombre réduit de modèles (au début des années 80, Omega commercialise plus de 1600 modèles). Mais c’est la concentration des acteurs d’une part, puis la rationalisation et la modernisation de leurs systèmes de production d’autre part, qui ont permis à l’industrie son renouveau et lui ont permis de repartir à la conquête des marchés. C’est parce qu’elle a su se réinventer que l’on peut lire aujourd’hui que «le marché de la haute horlogerie ne marque aucun signe de ralentissement».
Quels enseignements la banque privée peut tirer de la renaissance horlogère des années 1970 et 1980? Premièrement, et c’est très important pour la branche, il faut considérer le futur avec optimisme, source d’opportunités. Les années fastes sont derrière nous, cependant l’exemple horloger – secteur pourtant très conservateur – nous montre que la première phase du renouveau bancaire passe par l’acceptation du changement.
Deuxièmement, la concentration du secteur semble inéluctable avec la pesanteur des nouvelles régulations et la baisse de rentabilité qui en découle. Ce mouvement s’observe dès aujourd’hui. Cependant, tout rapprochement visant à créer des entités de plus grande taille ne suffira pas s’il n’y a pas une rationalisation des pratiques et des modes de gestion de «l’outil de production» bancaire.
Enfin, le recentrage sur son savoir-faire traditionnel et ses valeurs, ainsi que l’innovation dans les services à la clientèle à forte valeur ajoutée permettront à la banque privée de rebondir. A la suite des fleurons de l’horlogerie suisse, le secteur pourra alors nettement se différencier des autres places financières et ainsi répondre aux enjeux liés au recul du secret bancaire.
La période difficile par laquelle passe la banque privée est une fenêtre d’opportunité pour renaître plus forte. Gageons que d’ici à quelques années, nous pourrons à nouveau lire que le secteur de la banque privée ne marque aucun signe de ralentissement.
Edgar Brandt
LE TEMPS
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