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Avec le ralentissement de la croissance économique mondiale et l’arrivée de nouvelles capacités, il faut s’attendre à une phase de consolidation du secteur. L’image de marque et le marketing demeureront essentiels pour tenir le rythme et ajuster le positionnement
Depuis ses débuts à Genève au milieu du XVIe siècle, l’industrie horlogère s’est hissée au rang de troisième industrie d’export suisse avec 95% de la production, soit 30 millions d’horloges et de montres d’une valeur estimée à 19,3 milliards de francs en 2011, selon la Fédération de l’industrie horlogère suisse, FH. La région Asie-Pacifique absorbe près de la moitié des exportations en valeur et reste le plus gros marché pour les montres suisses. En Suisse, le secteur emploie près de 40 000 personnes dans 600 entreprises. La fédération évalue la production mondiale de montres à 1,2 milliard de pièces par an, 90% des exportations mondiales provenant de producteurs situés en Grande Chine, principalement pour le segment à très bas prix.
En moins de 100 ans, les montres-bracelets ont stimulé l’innovation comme avec les montres à quartz (1967) puis les affichages électroniques dans les années 1970. Pourtant, comme les appareils photo, elles ressemblent étonnamment à celles produites il y a 50 ans. L’histoire du secteur de la photo peut nous éclairer sur le futur de l’horlogerie. Le numérique a sonné le glas de la domination d’Eastman Kodak et de Fuji lorsque leur marché traditionnel des pellicules s’est évaporé. Eastman Kodak lutte pour sa survie, et les ventes d’appareils numériques chutent alors que les consommateurs leur préfèrent les appareils intégrés aux smartphones et tablettes qui s’améliorent rapidement. Serait-ce le sort qui attend l’industrie horlogère, maintenant que de nombreux appareils remplissent sa fonction initiale? Il faut donc s’interroger sur le rôle de la montre dans la société moderne et les perspectives de cette industrie. Malgré leur popularité incontestable tous prix confondus, on pourrait faire valoir que les montres sont plus un accessoire de mode qu’autre chose. De plus, les téléphones et autres appareils portables qui accompagnent la plupart des consommateurs intègrent tous des horloges, quel est donc l’intérêt de posséder un accessoire distinct dont la fonction principale est de donner l’heure?
Les appareils électroniques ont remplacé de nombreux objets conventionnels, comme les agendas et calendriers, qui ont presque disparu des bureaux. Récemment, on a vu certains fabricants riposter face à cette menace technologique. La gamme T-Touch de Tissot commence par exemple à brouiller les frontières entre la montre-bracelet et d’autres appareils avec sa glace tactile qui affiche des fonctions numériques: thermomètre, altimètre, météo, boussole, chronomètre et alarme.
La notoriété reste un facteur clé de différentiation qui a permis aux fabricants européens, et surtout suisses, d’élever leurs produits au-delà du marché de masse et d’en faire des objets de collection très désirables, symboles de statut pour leurs possesseurs. Les montres bas de gamme se sont largement banalisées avec les affichages digitaux. La survie des fabricants passe par la conquête de niches ou de marchés différenciés. De nombreuses marques appliquent cette stratégie avec succès depuis un certain temps, travaillant leur image et faisant appel à des célébrités pour séduire des consommateurs aux désirs spécifiques. Hublot (sports auto, polo, navigation), Rolex (tennis), Corum (navigation), Tissot (sports auto) et TAG Heuer (multisport) ont développé des campagnes marketing centrées sur certains sports. Même si les campagnes publicitaires impliquant des vedettes de cinéma ou des sportifs comme Cameron Diaz (TAG Heuer), Thomas Luthi (Tissot), George Clooney et Nicole Kidman (Omega) restent incontournables, ces dernières années les ambassadeurs de marques comptent de plus en plus de célébrités originaires des marchés émergents comme Zhang Ziyi, Michelle Wie ou Deepika Padukone, ce qui témoigne de l’importance commerciale croissante des consommateurs de ces marchés.
Les marchés occidentaux étant arrivés à maturité depuis longtemps, l’industrie cherche à croître sur les marchés émergents. Largement responsable de la nouvelle demande sur le segment des montres à prix intermédiaire à élevé ces 5 dernières années, le marché chinois est celui qui croît le plus vite. Ce n’est pas un hasard si les fabricants de produits de luxe comme Richemont et Swatch utilisent leurs ressources pour accroître leur distribution dans la région AsiePacifique, qui représentait respectivement 48 et 54% des ventes en 2011, sans compter les touristes de cette région qui achètent en Europe. La croissance des ventes dans la région devrait se stabiliser à un rythme plus durable de 20-30%, un taux non négligeable qui sera tout de même difficile à maintenir même à moyen terme. En 2011, les horlogers ont augmenté leurs prix avec un taux à un chiffre dans le milieu ou le haut de la fourchette, ce sera plus difficile en 2012 en raison d’une demande moins forte due à des économies au ralenti et à la chute des prix immobiliers.
L’évolution reste nettement favorable à l’industrie suisse, qui se concentre sur les montres de luxe plutôt que sur le marché de masse asiatique. Avec le ralentissement de la croissance économique mondiale et l’arrivée de nouvelles capacités, il faut s’attendre à une phase de consolidation du secteur.
L’image de marque et le marketing demeureront essentiels pour tenir le rythme et ajuster le positionnement des montres. La marque Swatch, qui domine le marché de masse, innove constamment et son système de production ultra-efficace lui donne un avantage compétitif certain sur ses pairs. Swatch utilise également ses prouesses industrielles pour dominer la production des composants et des mouvements en termes d’efficacité comme de coûts. D’autres horlogers ont choisi des stratégies différentes, ciblant des niches et des marques différenciées, bien que la compétition ait été atténuée par la forte expansion du marché et les contraintes du côté de l’offre, autant d’opportunités pour les nouveaux entrants et les petits fabricants. Lorsque le marché entrera dans une nouvelle période de maturation et avec l’arrivée de nouvelles capacités, une nouvelle phase de consolidation est possible, mais pas avant plusieurs années.
Kevin Lyne-Smith
Head of Global Equity, Credit Suisse
LE TEMPS
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