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D’excellents résultats 2011 démentent les prévisions catastrophiques de cet automne. Les raisons de cette prospérité.
Par Mary Vakaridis, Dino Auciello et Jean-Philippe Buchs, le 14 mars 2012
«La Suisse va mieux qu’on ne le pense», sourit Anton Affentranger, CEO du groupe de construction Implenia. Son entreprise a réalisé en 2011 un bénéfice record, en progression de 20%. Le groupe a amélioré sa rentabilité pour la sixième année consécutive. «Notre carnet de commandes nous permet d’être optimistes pour l’exercice 2012.» Anton Affentranger n’est de loin pas le seul patron à se féliciter de l’exercice écoulé. Certes, les revers essuyés par Bobst et Kudelski ont frappé les esprits. Fin 2011, le fabricant de machines annonçait 420 suppressions de postes et l’entreprise technologique, 270. Toujours dans le canton de Vaud, le spécialiste des périphériques informatiques Logitech perdait de son côté près de 30 millions au premier trimestre 2011-2012. Mais ces firmes restent des cas particuliers qui souffrent chacune de difficultés liées à leur histoire propre.
Les affaires reprennent
Car une multitude de sociétés, notamment celles qui sont actives sur le marché local, se félicitent de l’exercice écoulé. L’immobilier va très bien, à l’instar du groupe Mobimo qui détient la dynamique zone du Flon à Lausanne. Le bénéfice de l’entreprise lucernoise grimpe de 20%. Chez le genevois Affichage Holding, le volume des affaires réalisées en Suisse progresse de 8,3%. Après des années de crise, la firme technologique schwytzoise OC Oerlikon améliore sa rentabilité et renoue avec le versement d’un dividende. Quant au fabricant de sous-vêtements Calida, il affiche d’excellents résultats grâce à la marque française Aubade, qui a subi un traitement de choc de la part du groupe lucernois. Nestlé, ABB ou Gategroup sont en pleine forme. Novartis gâte ses actionnaires avec une quinzième augmentation consécutive du dividende. La plupart des sociétés du SMI ont revu leurs dividendes à la hausse, à l’exception notable du groupe biotech Actelion, qui reste, lui, dans les chiffres rouges. De son côté, l’horlogerie caracole avec insolence de record en record. «La crise? J’aimerais bien savoir où elle est cette crise. Si je regarde dans le monde, les consommateurs continuent un peu partout à acheter des montres. C’est le cas en Asie ou aux Etats-Unis. La situation est plus difficile en Grèce ou en Espagne», déclarait à RTS-La Première Nick Hayek, patron du Swatch Group. Même le tourisme d’achat lié à la force du franc ne produit pas les ravages promis. Credit Suisse estime les pertes liées à ce comportement à seulement quelque 5% des ventes annuelles du commerce de détail.
Les défis futurs de la fiscalité
L’imposition des entreprises constitue un atout indéniable.
Dans tous les classements publiés par les cabinets de conseil, elle se classe mieux que ses principaux concurrents. Selon l’étude «Paying Taxes 2012» de PricewaterhouseCoopers, notre pays figure à la sixième place européenne avec un taux d’imposition totale pour une entreprise de 30,1%. Soit un niveau inférieur à celui de l’Allemagne (46,7%), de la Suède (52,8%) ou de la France (65,7%).
En plus d’un taux favorable, la Suisse offre aux personnes morales une sécurité juridique appréciable. Elles savent ainsi, avant d’y développer une quelconque activité, les conditions dans lesquelles elles seront traitées par le fisc. L’octroi d’exonérations fiscales pour une période de cinq ou dix ans favorise aussi l’implantation de multinationales créatrices de milliers de nouveaux emplois. Mais à trop vouloir attirer les entreprises internationales sur son territoire et à permettre à ces dernières de rapatrier leurs bénéfices dans leurs filiales helvétiques, la Suisse doit répondre de concurrence fiscale dommageable. Pour éviter de perdre une partie importante de son attractivité en raison des pressions étrangères, les autorités politiques planchent sur un abaissement des taux d’imposition de façon à mettre toutes les entreprises, qu’elles soient suisses ou étrangères, sur un pied d’égalité. Le canton de Neuchâtel sert d’exemple avec la modification récente de sa législation. Mais une telle solution diminuerait fortement les recettes de cantons comme Genève ou Vaud.
Pourquoi la catastrophe n’a pas eu lieu
Flash-back. Courant 2011, l’association faîtière des grandes entreprises promet la suppression de 25 000 emplois en raison du franc fort. L’Union syndicale suisse et Swissmem, l’industrie des machines, évoquent le spectre de délocalisations massives. Or, même s’il n’y a pas de quoi sauter de joie, force est de constater que le désastre n’a pas eu lieu. Les chiffres conjoncturels des instituts misent sur le temps maussade. Le Secrétariat d’Etat à l’économie table sur un ralentissement de la croissance économique qui chuterait de 1,8 à 0,5% en 2012. Quant au taux de chômage, il doit stagner à hauteur de 3,6% en 2012. Le nombre d’inscrits au chômage en février dernier a même diminué de 7% par rapport à la même période en 2011. Que s’est-il passé? D’abord au niveau international, l’Allemagne, notre premier partenaire commercial, se montre en grande forme, avec une croissance de 3% pour 2011. Autre gros marché, les Etats-Unis ont connu un rebond lors du dernier trimestre 2011 avec 3% de croissance. L’économie américaine s’est remise à créer des emplois. Le chômage est tombé en janvier à 8,3%, son plus bas niveau depuis trois ans. Et puis la Suisse dispose de remarquables avantages concurrentiels: «Main-d’œuvre qualifiée, flexibilité, ressources en capital, taux d’intérêt bas, stabilité politique et partenariat social», résume Anton Affentranger. Des éléments auxquels s’ajoutent une monnaie forte, des finances saines ainsi qu’un bon niveau de vie. Sans oublier la force d’innovation: la Suisse a déposé en 2011 près de 4000 demandes de brevets (+7,3%). Un chiffre qui la situe au 8e rang mondial des dépôts de brevets, après le Royaume-Uni et devant les Pays-Bas. Novartis (200 demandes), Hoffmann-La Roche (189), Nestlé (186) se placent parmi les cent premiers déposants.
«Face au renforcement du franc, l’industrie a su limer ses coûts et améliorer sa productivité. L’élément clé de la résilience de nos entreprises est leur capacité à réagir très rapidement», analyse-t-il. «La flexibilité du travail et les bonnes relations partenariales constituent un atout majeur de la Suisse», renchérit Yves Serra, CEO du groupe industriel Georg Fischer. L’entreprise de Schaffhouse arbore une augmentation de 31% du bénéfice en 2011 et une productivité en hausse. Yves Serra relate: «De septembre à décembre 2011, les employés de la filiale Agie Charmilles ont accepté de travailler 43 heures au lieu de 40. Une telle mesure aurait été beaucoup plus difficile à faire passer en France ou en Allemagne.» L’ensemble des patrons loue un droit helvétique du travail peu contraignant ainsi que la possibilité de chômage partiel comme d’augmentation des horaires.
Le franc fort n’est plus la préoccupation majeure des PME
Nonante-deux pour cent des entreprises non cotées se disent satisfaites de leur situation commerciale.
Comment les PME ont-elles surmonté le choc du franc fort? «Grâce à un financement adapté, à des fonds propres importants et à une opération de réduction de coûts mise en place depuis quelques mois», détaille Pierre-Alain Cardinaux, partenaire et responsable de la région romande chez Ernst & Young. En janvier dernier, la société d’audit a effectué un sondage auprès de 700 patrons d’entreprises non cotées (lire ci-dessus). Principal constat: le franc fort n’est plus la préoccupation majeure des entreprises. Or c’était le cas lors du sondage précédent datant de juillet 2011, avant que la Banque nationale suisse ne fixe son taux plancher à 1,20 franc pour un euro.
«La crise de la dette européenne inquiète aujourd’hui nos entreprises, poursuit Pierre-Alain Cardinaux. Elle déstabilise les relations des entreprises suisses avec leurs fournisseurs et leurs clients.» Pour faire face, les PME multiplient les mesures: suspension des investissements, couverture des risques de change, pression accentuée sur les fournisseurs… Dans le sondage, 92% des entreprises se disent satisfaites de leur situation commerciale actuelle. «Et particulièrement sur l’arc lémanique, toujours plus dynamique et attractif, souligne Pierre-Alain Cardinaux. Mais bien que les résultats soient positifs, la Suisse romande reste plus pessimiste que la région alémanique en termes de prévision.» Pour maintenir leur positionnement privilégié, les PME doivent bénéficier d’une aide plus conséquente de la part du secteur public, selon Pierre-Alain Cardinaux. «Moins de bureaucratie et plus d’investissements favoriseraient l’avenir des entreprises. Les mesures déployées ne suffisent pas. La recherche et le développement doivent bénéficier d’un encouragement fiscal.»
Les exportations bougent
CEO des capteurs de température Rüeger, à Crissier (VD), Bernard Rüeger apporte un bémol à ce bel optimisme. «Nos usines aux Pays-Bas, en Malaisie et en Chine vont bien. En revanche, notre fabrique en Suisse souffre de la force du franc face à la concurrence internationale. Nous avons dû baisser nos prix de 20%. Quant à notre carnet de commandes, il ne s’étend guère au-delà du premier semestre 2012.» Ce sentiment d’incertitude se retrouve chez l’ensemble des exportateurs qui usent volontiers de l’euphémisme suivant: «Nous manquons de visibilité en raison de la crise européenne de la dette.» Si l’industrie d’exportation échappe au désastre annoncé, c’est aussi parce qu’elle a réussi à accroître la part de ses ventes dans les marchés émergents. Un déplacement qui la rend moins dépendante de la zone euro, tout en lui donnant accès à des marchés en pleine croissance. Ainsi, en 2011, les exportations ont augmenté de 19% vers la Chine et Hongkong, de 15% vers l’Inde et de 13% vers la Russie. En quelques années, la part de l’Union européenne a reculé de 67 à 60%, selon les statistiques du commerce extérieur. La proportion des exportations suisses vers les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) est passée de 7,6% en 2010 à 8,4% l’an dernier.
Georg Fischer illustre cette évolution. En 2011, deux nouvelles usines ont ouvert en Chine, ce qui porte leur nombre à quinze dans le pays. D’ici à cinq ans, la firme compte y exploiter 25 à 30 usines. «La Chine est aujourd’hui le premier marché mondial dans l’automobile, la machine-outil et dans les systèmes d’adduction et de traitement des eaux, soit les trois principaux secteurs d’activité de Georg Fischer. Sa part dans notre chiffre d’affaires atteint maintenant 13%, soit davantage que les Etats-Unis. Le fruit d’efforts poursuivis durant les vingt dernières années. Il faut recruter, former les collaborateurs et puis surtout veiller à les garder. Sur place, nous veillons à bien couvrir le territoire localement et à développer des produits adaptés à la demande», relève Yves Serra. Seul un cinquième des 13 700 employés du groupe travaille en Suisse, produisant 30% de la valeur ajoutée. Les postes sont moins menacés de délocalisation car l’entreprise a limité l’impact de la force du franc en s’approvisionnant en matières premières en euros. Avec une part de 37% du chiffre d’affaires, l’Allemagne conserve son rôle prépondérant dans les activités de sous-traitance automobile de Georg Fischer, en raison du poids des constructeurs de véhicules d’outre-Rhin. Yves Serra se veut confiant: «On assiste certes à un tassement de la croissance mondiale depuis le deuxième semestre 2011. Mais la situation actuelle n’est pas comparable avec la crise de 2008-2009.»
Les Romands sont mieux formés
La Suisse alémanique est-elle vraiment supérieure économiquement?
N’en jetez plus! S’il fallait encore une étude pour démontrer la supériorité économique de la Suisse alémanique, elle provient d’UBS et porte sur un nouvel indicateur de compétitivité des cantons. Amenant de l’eau au moulin de la Weltwoche accusant les Romands d’être les Grecs de la Suisse, le classement met Zurich, Bâle-Ville et Zoug sur le podium (lire ci-contre). Quant aux derniers de la classe, il s’agit du Valais, du Jura et d’Uri. Des résultats établis en corrélant structure économique, entreprises, emplacement, population et Etat.
La Suisse romande se distingue dans les branches à haut potentiel que sont les banques, l’horlogerie et les technologies de pointe. «Par rapport à l’ensemble de la Suisse, le niveau de formation y est plus élevé. Vaud et Genève sont en outre bien diversifiés et résistent mieux aux fluctuations économiques», répond Thomas Veraguth, économiste chez UBS Wealth Management Research. L’étude indique en contrepartie que le marché du travail reste structurellement plus faible de ce côté-ci de la Sarine. Le chômage y est plus élevé, surtout dans les catégories «jeunes actifs» et «longue durée». Le volume des rentes d’invalidité y est aussi objectivement plus haut. Quant à l’Etat, Thomas Veraguth se montre implacable: «La fiscalité des entreprises est moins avantageuse en Suisse romande, ce qui pèse sur le potentiel de création de valeur ajoutée.»
Mais parole à la défense: comme le souligne le conseiller national Vert Antonio Hodgers, la Suisse romande réalise depuis dix ans un taux de croissance du PIB supérieur de 0,5% à la moyenne nationale. De quoi assurer le liant de la sauce confédérale.
Illustration: Duo Studio/Corbis, photos: Dr
Par Mary Vakaridis, Dino Auciello et Jean-Philippe Buchs
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