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Les derniers chiffres communiqués dans la nuit sont symptomatiques de la méforme de l’économie chinoise. Professeur à l’IMD, Jean-Pierre Lehmann en tire les conséquences.
Les exportations chinoises ont augmenté de 4,9% en avril sur un an, a-t-on appris dans la nuit. Le marché attendait 8 à 9%.
Quand aux importations, elles ont stagné (+0,3%). Les analystes interrogés par l’agence Bloomberg escomptaient 10,9%.
Ces chiffres sont-ils alarmants?
Jean-Pierre Lehmann: Oui. Il y a deux choses. La Chine ne réussit pas à régler le problème de ses déséquilibres. D’autre part, elle passe par une période de trouble au niveau de sa gouvernance.
La transition est en cours, de nouveaux dirigeants vont prendre le pouvoir. Mais en l’absence de transparence, on n’est pas très sûr de la manière dont est gérée l’économie dans ce contexte de tumulte politique.
Le 12e plan quinquennal a débuté. Il est assez ambitieux. Il envisage un accent beaucoup plus fort sur la consommation intérieure, très basse. Mais jusqu’à présent, aucune indication ne permet de dire que ces objectifs se concrétisent.
La Chine a vécu trente années glorieuses, avec une croissance économique considérable. A partir de maintenant, les choses se compliquent. Il va falloir plus d’innovation, plus de valeur ajoutée dans la production, plus de services. Choses qu’on n’est pas vraiment en train de voir…
Comment expliquer ces chiffres?
J-P. L: Il faut y voir l’impact des économies faibles dans les principaux marchés chinois. Et d’abord aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. Il y a un problème de demande.
S’agissant des importations, pour que les Chinois se mettent à consommer davantage, il faudrait des mesures sociales - retraites, santé, éducation. Pour l’instant, elles n’existent pas.
Le taux d’épargne reste donc extrêmement élevé. Les Chinois ne vont pas tout à coup se mettre à consommer tant qu’un problème de santé ou leur retraite leur coûte cher.
Les marchés financiers restent assez stoïques face à cette situation. Ils semblent s’attendre à des mesures de relance. Faut-il leur faire confiance?
J-P. L: Je suis plutôt prudent. La Chine a une technocratie extrêmement capable. Mais il y a des interférences politiques, avec ce qui se joue actuellement au sein du parti communiste.
Ce que redoute aussi le pouvoir, c’est le chômage et les troubles sociaux. Le système actuel rapporte peu en termes de valeur ajoutée. Mais les emplois sont sûrs.
Il est donc juste de dire que le pouvoir actuel n’a pas les moyens d’éviter un atterrissage brutal de l’économie?
J-P. L: Pour le moment, les indications ne sont pas particulièrement encourageantes.
Quel avenir voyez-vous pour la croissance économique chinoise?
J-P. L: C’est le grand tournant. Ils sont passés de 500 dollars par habitant en 1979 à 6000 aujourd’hui. C’est impressionnant. Mais ce n’est pas la partie la plus difficile.
Beaucoup de pays sont passés de pratiquement rien à cinq, six, sept mille dollars. Et n’ont pas réussi à aller au-dessus. Les seules économies qui sont parvenues à franchir le cap des 20'000 dollars par habitant sont la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour. Pas un seul autre pays n’est passé du tiers-monde au premier monde.
Les Chinois ne vont pas pouvoir continuer à baser leur économie sur la compétitivité dans le bas de gamme. Au plan économique mais aussi de la fierté nationale.
L’IPad par exemple se vend 500 dollars aux Etats-Unis. Il est écrit made in China mais les chinois n’en tirent que cinq ou six dollars. Les Chinois ne veulent pas rester l’usine du monde. C’est un discours fréquent en Chine. Une question de fierté nationale.
Mais cela demande plus d’efforts dans la recherche et l’innovation. Ça demande aussi un système sociopolitique différent. J’ai des relations assez proches avec certains membres du parti communiste chinois. Tous soulignent l’exigence de réformes.
Mais ceux que je ne connais pas, peut-être plus nombreux, sont les conservateurs, qui souhaitent conserver avantages et privilèges. La transition à laquelle on va assister sera passionnante.
24heures
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