Les Prix Rolex récompensent cinq visionnaires de la biodiversité et de la santé
 
Le 15-06-2012

Habitant les cinq continents, les lauréats recevront chacun 100 000 francs pour la réalisation de leur projet censé répondre à des besoins urgents à travers le monde et accroître les connaissances et le bien-être de l’humanité

Protéger les tigres de Sibérie, préserver les ressources de l’océan Pacifique, sauvegarder la biodiversité andine, remplacer la vaccination par seringue et assurer des soins obstétriques dans les bidonvilles africains grâce à la télémédecine: les cinq lauréats 2012 des Prix Rolex à l’esprit d’entreprise, annoncés ce mercredi matin à Londres, ont tous pour ambition de réaliser des projets novateurs dans des régions reculées du monde.

Depuis 1976, l’entreprise basée à Genève remet régulièrement à cinq hommes ou femmes visionnaires dont les idées pourraient sauver des millions de vies et protéger des espèces sauvages et des écosystèmes menacés de disparition, une somme de 100 000 francs suisses. Les projets doivent concerner les problèmes les plus pressants de notre époque dans cinq domaines, rappellent les organisateurs du concours dans un communiqué: sciences et santé, techniques appliquées, exploration et découvertes, environnement et patrimoine culturel. Ils doivent être originaux et réalisables, susceptibles d’exercer un impact durable et, surtout, témoigner de l’esprit d’entreprise de leurs auteurs. Cette année, le jury indépendant les a choisis parmi plus de 3500 issus de 154 pays.

Sauver les tigres de Sibérie
Le premier d’entre eux est le Russe Sergei Bereznuk. Son ambition: protéger, contre le braconnage, les 350 à 500 tigres de l’Amour (ou «tigres de Sibérie», Panthera tigris altaica) qui peupleraient la région frontalière touchant la Chine et la mer du Japon. Cette espèce est «en danger», selon la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à Gland, mais reste très menacée. Sa population mondiale vivant à l’état sauvage est estimée à 4000 adultes, contre 100 000 en 1900. A la tête de l’ONG Phoenix Fund depuis douze ans, Sergei Bereznuk mène de front plusieurs actions, détaille le communiqué: soutien aux unités antibraconnage, sensibilisation de la population locale, lutte contre la réduction de l’habitat due aux incendies et à l’exploitation du bois, résolution des conflits entre l’homme et l’animal, indemnisation des dommages et surveillance des projets industriels invasifs dans la région.

Recenser les grands prédateurs marins
Le projet de l’Américaine Barbara Block vise, lui, à recenser sur leurs lieux de nutrition les grands prédateurs marins (requins et thons par exemple), habituellement difficiles à suivre, afin de sauvegarder le fragile équilibre des écosystèmes océaniques auxquels ils sont indispensables, et que menacent la surpêche, la destruction des habitats et la pollution. Professeure de biologie marine et codirectrice scientifique du programme Tagging of Pacific Predators entre 2000 et 2010, Barbara Block a conçu des techniques de marquage électronique innovantes qui permettent de suivre le parcours de ces poissons. L’objectif ultime du projet, sur la côte Ouest des Etats-Unis, est de créer de vastes zones protégées préservant leurs aires de nutrition et de frai.

Protéger le Gran Chaco
Ce que veut protéger la Bolivienne Erika Cuéllar, c’est le Gran Chaco, une région touchant la Bolivie, l’Argentine et le Paraguay. Habitée par des populations diverses – tribus autochtones, chasseurs-cueilleurs nomades, pêcheurs, agriculteurs et éleveurs –, cette région abrite, dans ses forêts et zones de brousse, 3400 espèces de plantes, 500 espèces d’oiseaux et 150 espèces de mammifères, dont beaucoup n’existent nulle part ailleurs, comme le jaguar ou le puma. Ce coin du monde est néanmoins bouleversé par plusieurs facteurs: une zone militaire née d’un long différend frontalier entre la Bolivie et le Paraguay, la construction d’un gazoduc entre le Bolivie et le Brésil, l’élevage extensif de bétail ou encore l’exploitation des nappes aquifères voisines. Pour lutter contre cette érosion humaine, Erika Cuéllar a mis sur pied plusieurs actions de sensibilisation de la population, dont un cours qui donnerait à des membres de trois groupes ethniques natifs du Gran Chaco (Guaraní, Ayoreo et Chiquitano) une formation de «parabiologistes». Dans le domaine de la conservation, la parabiologie est reconnue comme une méthode efficace et durable: une population locale apprend des techniques scientifiques et finit par avoir les compétences requises pour mener une action durable de protection de l’environnement.

Vacciner sans seringue, mais avec un nanopatch
En Australie, Mark Kendall, professeur à l’Australian Institute for Bioengineering and Nanotechnology de l’Université de Queensland, travaille à une nouvelle méthode pour vacciner simplement, sans seringue, de vastes populations. L’aiguille n’est en effet pas la méthode la plus efficace pour stimuler l’immunisation, car, injecté dans le muscle, le vaccin n’est pas appliqué au point le plus propice à cela. «De plus, la méthode est coûteuse et présente de nombreuses difficultés, comme la nécessité d’une conservation sous réfrigération», souligne le communiqué. Mark Kendall développe ainsi un nanopatch qui permettra d’éviter ces problèmes. Ce patch d’environ 1 cm2 dépose le vaccin directement, sans douleur, grâce à des microprojections, dans des zones riches en cellules immunitaires. Cela simplifiera et améliorera considérablement la couverture vaccinale dans des pays disposant de peu de ressources, assure le chercheur.

Un centre de télémédecine dans un bidonville
Aggrey Otieno travaille lui aussi dans le domaine médical, au Kenya, dans le bidonville de Korogocho, le quatrième par sa taille dans la capitale Nairobi, abritant 200 000 personnes dans de très mauvaises conditions d’hygiène et une extrême pauvreté. «On estime que chaque année, 300 femmes souffrent d’hémorragie post-partum et 200 nouveau-nés meurent sur ce territoire, du fait de l’absence de service d’obstétrique et de moyens pour gagner un hôpital, et parce que les accoucheuses locales auraient besoin d’aide dans les situations d’urgence. Le taux de mortalité maternelle à Korogocho est ainsi d’environ 700 sur 100 000, contre 13 pour 100 000 aux Etats-Unis», selon le communiqué de Rolex. Le but du projet de Aggrey Otieno, qui a fait ses études au pays de l’Oncle Sam: construire un centre de télémédecine doté d’un médecin de garde 24 heures sur 24 et d’une fourgonnette d’intervention, ce qui permettra d’éviter de nombreux décès. L’idée est également de former des accoucheuses à reconnaître l’apparition de complications, afin de pouvoir au besoin alerter le personnel du centre par SMS.

«Cette année, le jury a été frappé par la façon dont chacune de ces personnalités d’exception donne aux membres de sa communauté les moyens de prendre leur situation en main et de préserver le milieu naturel et la vie de ceux qui les entourent, déclare Rebecca Irvin, directrice des programmes philanthropiques de Rolex. Dans la plupart des cas, ils recourent aux techniques modernes pour sensibiliser l’opinion et faire bouger les choses.»

Une cérémonie en l’honneur des nouveaux lauréats rassemblera plus de 400 personnalités éminentes du monde entier à New Delhi (Inde) le 27 novembre.

Olivier Dessibourg
LE TEMPS

 

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