PME: comment choisir quels chiffres divulguer?
 
Le 15-06-2012

Les petites et moyennes entreprises ne sont pas tenues aux mêmes obligations légales que les firmes cotées. Si la transparence est encouragée, jusqu’où faut-il aller afin d’éviter les conflits?

Un jour ou l’autre, beaucoup de PME seront appelées à grossir. D’inévitables questions de gouvernance ne manqueront alors pas de se poser, par exemple en matière de transparence. Est-il judicieux de rendre publique à tous les collaborateurs la grille complète des salaires ou la situation financière de la société dans ses moindres détails? C’est pour répondre à ce type d’interrogations – et à beaucoup d’autres – que le Centre patronal et la Fédération des entreprises romandes Genève ont décidé, en association avec la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud et la Haute Ecole de gestion de Genève, de publier une brochure consacrée à la thématique de la gouvernance à l’intention des petites et moyennes entreprises. Ce document de 52 pages*, rempli de témoignages et muni d’un questionnaire d’autoévaluation, se veut un guide de bonnes pratiques destiné en priorité aux responsables d’entreprises familiales et aux sociétés non cotées en bourse. La transparence est présentée comme un atout indéniable. En permettant d’engager le dialogue, elle contribue à instaurer un climat de confiance, une plus grande motivation et une efficacité accrue des collaborateurs. Mais jusqu’où aller afin d’éviter qu’elle ne devienne, au contraire, source de tensions et de conflits, par exemple en ce qui concerne les discussions concernant les marges brutes, les bénéfices ou, plus délicat, les rémunérations? «Dans la majorité des cas, la structure du capital et les statuts des PME n’obligent pas la divulgation des informations financières, à l’exception de certaines start-up dans lesquelles des modèles de rémunération participatifs de type stock-options ont été largement utilisés», souligne Nathalie Brender, coauteur de la brochure et professeur à la Haute Ecole de gestion de Genève.


Eviter les tensions et les fuites
La plupart des PME ne divulguent donc pas, ou uniquement partiellement, les informations financières à leurs collaborateurs, notamment pour éviter certaines tensions, mais aussi pour des raisons de confidentialité, afin d’éviter toute fuite vers la concurrence ou vers d’autres partenaires économiques. Lorsqu’elles le font, cela se limite souvent aux fonctions dirigeantes. C’est le cas de Keller Trading, société de 33 collaborateurs active dans l’industrie horlogère et la joaillerie. Elle déclare tenir informés ses cadres du chiffre d’affaires et du bénéfice de l’entreprise. Pour sa part, la société genevoise de réinsertion Réalise (150 collaborateurs) est un cas particulier puisqu’elle diffuse tous ses comptes, ainsi que la totalité de sa grille salariale sur son site internet. «Les entreprises cotées en Suisse sont obligées de divulguer leur politique de rémunération, ainsi que les montants attribués à la direction et au conseil d’administration, note Florent Ledentu(à.g), coauteur de la brochure et professeur à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud. Par contre, pour les autres, cette divulgation dépend de la volonté de leur haute direction. Ainsi, en fonction des spécificités de l’entreprise et de l’attente de ses stakeholders, l’entreprise peut déterminer quels sont les éléments à divulguer et à qui. Pour certaines entreprises, notamment à but non lucratif ou soutenues en partie par du financement public, il peut se révéler judicieux de montrer que l’argent mis à disposition est utilisé de façon adéquate et que les salaires versés sont cohérents avec la fonction exercée.» Dans tous les cas, il convient de pouvoir justifier d’une politique salariale claire et cohérente afin d’éviter les tensions et les incompréhensions au sein et à l’extérieur de l’entreprise.


Communiquer les chiffres financiers?

«Les PME peuvent informer leurs collaborateurs de la marche des affaires lors d’une réunion périodique afin d’engager le dialogue et maintenir leur motivation», conseille Nathalie Brender(à.g). Dans le cas particulier d’un audit financier, il s’agit avant tout, quelle que soit la taille de l’entreprise, d’un outil du conseil d’administration et de l’assemblée générale. La diffusion des travaux réalisés et des conclusions relève donc de leur seule compétence. Et pour les mêmes raisons de confidentialité et de risques de fuites, une transparence totale est rarement mise en œuvre. D’autant plus dans le cas d’une PME où l’actionnaire majoritaire est souvent également impliqué dans la gestion et le conseil d’administration. «Il est possible de transmettre ces résultats à certaines parties prenantes, et plus particulièrement les recommandations des auditeurs relatives à l’établissement des comptes et au fonctionnement du système de contrôle interne, aux cadres pour leur permettre de faire le point sur l’atteinte des objectifs et mettre en œuvre ces éventuelles propositions d’amélioration», poursuit Nathalie Brender. Dans le cas d’audits de qualité ou de management environnemental, il peut être bénéfique et pertinent de tenir les collaborateurs informés des actions d’amélioration à entreprendre ou des résultats positifs afin de leur fournir des pistes d’action pour améliorer leur façon de travailler, les rassurer et les motiver. Dans tous les cas, il est important, dans le cadre d’une bonne gouvernance, que la diffusion fasse l’objet d’une communication claire quant à l’objectif recherché, ainsi qu’à son périmètre. «Les PME peuvent communiquer l’atteinte des objectifs financiers ou la situation par rapport à ces objectifs en pour-cent, par exemple, ainsi que les perspectives futures afin d’impliquer davantage les collaborateurs dans la réussite de l’entreprise», ajoute Nathalie Brender.


Les organes de décision
Autre situation dans laquelle un bon dosage en matière de transparence se révèle nécessaire: la répartition des tâches et des responsabilités à la tête de l’entreprise. L’un des principes de base d’une bonne gouvernance dans les entreprises ayant un actionnariat ouvert au public consiste à séparer les fonctions d’administrateur et de directeur afin de permettre une surveillance indépendante et efficace, de même que la protection des intérêts des actionnaires, notamment minoritaires. Un principe qui reste, selon les auteurs de la brochure, souvent perçu dans les PME comme un «frein à l’entregent et à l’innovation», surtout dans le cas fréquent où le dirigeant est à la fois actionnaire majoritaire et administrateur. Là aussi il est important d’adapter ce principe aux caractéristiques propres de la société afin de concilier liberté entrepreneuriale et exigences de protection et de surveillance. «Différents cas de figure peuvent être observés en fonction de la structure de propriété de l’entreprise, relève Florent Ledentu. La société peut compter un ou plusieurs propriétaires, voire être en mains d’une famille dans son ensemble. Dans chaque cas, il faut se demander quelles sont les attentes des actionnaires ou de la famille.» Il existe de nombreuses pistes pour favoriser le fonctionnement du conseil d’administration. Nommer une personne indépendante peut permettre d’amener une vision critique de la situation et faire progresser l’entreprise grâce à un point de vue et une remise en question extérieurs. La création d’une charte familiale ou la tenue d’une assemblée familiale permet de favoriser la conciliation des intérêts des membres de la famille au sein de la gestion de l’entreprise. De même, l’établissement d’un conseil consultatif, réunissant des experts donnant leurs avis spécialisés, peut aussi se révéler judicieux si l’entreprise ne veut ou ne peut pas augmenter la taille de son conseil d’administration. Selon les deux auteurs, ces pistes en matière de bonne gouvernance restent encore souvent considérées par les responsables de PME comme trop complexes ou relevant de la marche des affaires des grandes sociétés cotées. Alors même qu’elles peuvent se révéler des plus adaptées et utiles, par exemple pour préparer la transmission de l’entreprise.


* «Gouvernance d’entreprise – Quels défis pour les PME?» Florent Ledentu et Nathalie Brender. Une version électronique est disponible sur les sites des deux éditeurs www.centrepatronal.ch et www.fer-sr.ch).

William Türler
BILAN

 

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