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La Comco a entériné un accord à l’amiable avec le groupe sur les composants fournis aux marques tierces. Le texte est mis en consultation jusqu’à fin août
C’est le document qui secoue les vallées horlogères. Déjà en mains de toutes les sociétés concernées depuis fin juin, le projet d’accord à l’amiable négocié entre Swatch Group et la Commission de la concurrence (Comco) au sujet des réductions de livraisons de divers composants a été révélé sur un site spécialisé, Business Montres. Il ne s’agit pas encore du texte définitif, mais d’une version mise en consultation jusqu’à fin août. «Peut-être un peu plus tard au vu des vacances horlogères qui débutent», a précisé jeudi Patrik Ducrey, directeur suppléant de la Comco.
Le texte pourra encore subir des modifications puisqu’un nouveau round de négociations est prévu, mais dans les grandes lignes les principales décisions semblent déjà entérinées. La Comco ne fait aucun commentaire à ce stade de la procédure, mais précise que ce protocole a été envoyé à tous les clients de Swatch Group et que le gendarme de la concurrence a déjà reçu deux à trois retours.
Que contient ce document sensible? On y apprend dans le menu détail la vitesse et l’ampleur avec lesquelles le numéro 1 mondial du secteur, via ses filiales ETA et Nivarox, entend diminuer dans les années à venir ses livraisons de mouvements et d’assortiments, soit les organes réglants d’une montre mécanique, à ses clients. Des restrictions qui vont affecter l’écrasante majorité de la branche puisque tous les horlogers – ou presque – se fournissent auprès du groupe de Nick Hayek. Premier constat, tout s’accélère, même si les intentions du groupe sont connues depuis longtemps. Quelques exemples: entre 2014 et 2015, Swatch Group ne fournira plus que 70% de la quantité de mouvements mécaniques livrés en 2010. Plus que 50% les deux années suivantes, puis 30%. Pour les sociétés utilisant des mouvements ETA mais les modifient pour les revendre ensuite, la baisse est encore plus drastique: –50% en 2014 et –75% l’année suivante. Le document démontre aussi une diminution graduelle des assortiments de 10 à 20% tous les deux ans, pour finir à une réduction de 70% dès 2022. Il ressort aussi du document que Swatch Group a le droit d’augmenter les prix de ses assortiments entre 2014 et 2018 de 5% par an. Au-delà, la hausse sera de 10%. Le tarif des mouvements pourra également croître, dans une ampleur non précisée. Ces ajustements devront toutefois être justifiés auprès de la Comco. Une manière pour Swatch Group de compenser le recul des quantités.
A noter que les restrictions de livraisons ne concerneront pas l’ensemble des clients du groupe. Lequel a toujours fait savoir qu’il continuerait d’honorer les marques qui ont investi dans leur outil industriel et avec qui il entretient des relations commerciales qualifiées de loyales et de longue date. Cette liste des privilégiés reste toutefois, elle aussi, confidentielle.
«C’est un véritable scandale si cet accord, dans sa version actuelle, entre en vigueur. On sanctifie un abus de position dominante des plus évident. Autant supprimer directement la loi sur les cartels puisqu’on donne un blanc-seing officiel à de telles pratiques. Nous irons jusqu’au Tribunal fédéral s’il le faut. La Comco devra rendre des comptes», s’étrangle le directeur général d’une entreprise horlogère neuchâteloise, qui souhaite conserver l’anonymat de peur d’éventuelles mesures de représailles.
Pour les besoins de cet article, Le Temps a contacté six autres patrons horlogers, aucun n’a voulu s’exprimer en étant cité nommément. «La Comco nous a demandé de respecter la confidentialité sur ce document. Je vais consulter mes avocats. Mais, dans sa version actuelle, nous ne pouvons l’accepter. Si on en doutait encore, la guerre est clairement déclarée», glisse néanmoins l’un d’entre eux. «Cela ressemble un peu à un plan quinquennal de l’ex-URSS. Sauf qu’il ne profite qu’à un seul acteur», estime l’un de ses collègues alémaniques.
Dans ce dossier, la Comco avait déjà pris des mesures provisionnelles permettant à Swatch Group une première réduction sur les mouvements et les assortiments. Patrik Ducrey précise quant à lui que l’objectif global de toute cette procédure est de voir l’émergence d’alternatives au groupe biennois. Swatch Group estime pour sa part que cela aboutira à une industrialisation accrue dans le pays. «Pour l’heure, il n’y a clairement pas de succédané en termes de volumes équivalents et de prix», constate notre premier interlocuteur.
Bastien Buss
LE TEMPS
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