L’horlogerie suisse devient la nouvelle cible de prédilection des malfrats
 
Le 02-10-2007

C’est une véritable série noire, un mauvais sort qui s’acharne sur l'horlogerie suisse. Depuis cet été, pas moins de quatre sociétés prestigieuses ont été victimes de cambriolages en Suisse romande, presque coup sur coup. Le «casse» du Musée de Girard-Perregaux en juillet dernier marque le début des hostilités. Il y a deux mois, des malfrats profitaient d’un arrêt momentané des alarmes dû au nettoyage du musée de la Chaux-de-Fonds pour dérober une centaine de montres prestigieuses Girard-Perregaux, certaines datant du XVIIIe siècle.

Arrêtés quelques jours plus tard en compagnie de leur butin, les cambrioleurs semblent avoir fait des émules. Dans la nuit du 15 septembre dernier, trois personnes ont défoncé à coups de bélier la vitrine principale de la manufacture Jaeger-LeCoultre au Sentier. Bilan: une vingtaine de montres volées en quelques minutes seulement, pour une valeur assurance de plus de 155 000 francs.

Choc émotionnel
Et rebelote la semaine dernière. Le week-end du 22 septembre, c’était au tour de la société Isaswiss, une entreprise de mouvements horlogers située aux Brenets, dans le canton de Vaud, d’être visitée par effraction. Au même endroit, le samedi soir, des voyous se sont introduits dans les ateliers de Baume & Mercier pour tout saccager.

«C’est une véritable catastrophe», soupire Michel Nieto, directeur de Baume & Mercier. «Fort heureusement, toutes nos montres terminées sont enfermées chaque soir dans des coffres-forts inviolables. Les voleurs n’ont pris que quelques composants en or qui traînaient sur les établis. C’est probablement la frustration du maigre butin qui les a poussés à tout casser», estime-t-il, soulignant le choc des employés à la découverte de l’effraction. «Certains pleuraient. Le dommage est important, tant au niveau émotionnel qu’à celui de notre réputation. Certains composants qui ont été volés proviennent de montres en réparation. Imaginez la réaction de nos clients finaux», lance-t-il.

Pas de doute, l'horlogerie suisse est devenue une cible de prédilection des malfrats. Les yeux jadis rivés sur les bijouteries prestigieuses, les cambrioleurs vont aujourd’hui à l’origine même du luxe, les manufactures. Un phénomène dont la recrudescence s’apparente à la montée en puissance économique de l’industrie de la haute horlogerie. «Il est clair que l’embellie dont notre secteur jouit aujourd’hui suscite bien des envies. Certains voleurs sont appâtés par un domaine qu’ils ne connaissent pas et s’introduisent dans des lieux où il n’y a rien à prendre», souligne Michel Nieto.

Et Jérôme Lambert, directeur général de Jaeger-LeCoultre de renchérir: «De nos jours, le niveau de sécurité de nos détaillants est si perfectionné qu’il est de plus en plus difficile de cambrioler une boutique. Les malfrats se tournent alors vers les manufactures et les musées», explique-t-il.

Filières mafieuses
Mais qui sont donc ces voleurs? Les experts les classent en deux catégories principales. D’un côté les voyous à la petite semaine, qui ravissent ce qu’ils trouvent, à l’image semble-t-il du cambriolage de Baume & Mercier. De l’autre des bandes très bien organisées, appartenant à des filières mafieuses. Le cas, visiblement, pour le hold-up de Jaeger-LeCoultre. Des montres appartenant au patrimoine de la marque, des pièces de collection courante ou encore des prototypes ont été dérobés selon un mode opératoire dit professionnel. «Cette effraction est toutefois étrange, remarque Jérôme Lambert. Il semblerait que cette bande soit habituée à ce genre d’opérations et ait effectué un repérage avant de commettre son forfait. Mais la préparation minutieuse de cette opération ne cadre pas avec les pièces qui ont été volées. Pour la plupart, les montres subtilisées ne sont pas les plus chères. Et les cambrioleurs n’ont pas pénétré plus avant dans notre musée, où notre patrimoine horloger se trouve. »

A Genève, le directeur du Musée d’art et d’histoire Cäsar Menz connaît bien le problème. Situé à Malagnou, le Musée de l'horlogerie a subi l’un des plus grands casses de ces dernières années. Un matin de novembre 2002, vers 5 heures, des malfrats défoncent la porte d’entrée du musée et dérobent en trois minutes 177 bijoux rarissimes dont une quarantaine de montres en lice pour le Grand Prix de l'horlogerie. Estimation du butin: 10 millions de francs. Seule une montre a pour l’heure été retrouvée, en 2005, chez un antiquaire londonien. «On ne prend pas de tels risques seul, résume Cäsar Menz. Ces voleurs sont non seulement très bien préparés, mais bénéficient certainement de contacts dans des réseaux mafieux internationaux afin de pouvoir écouler leur marchandise. »

Retour de bâton
Il n’empêche. Numérotées, immédiatement publiées auprès des services d’Interpol, des antiquaires ou encore des maisons de vente aux enchères, les montres volées refont rarement surface sans être immédiatement repérées. Pourquoi dès lors dérober quelque chose qui ne se revend pas? «Les filières mafieuses développent des réseaux de vente parallèles où les pièces se vendent moins chères de main à main», éclaire Jérôme Lambert, qui souligne également l’arrivée d’un nouvel acteur dans ce monde du recel, Internet. «Les voleurs vont certainement mettre des pièces volées en vente sur Internet, où les numéros de série peuvent être falsifiés. Mais attention. L’acheteur court un très gros risque et pourrait payer le prix fort le jour où il amènera sa montre en réparation», prévient le directeur de Jaeger- LeCoultre. Et Cäsar Menz d’évoquer un autre moyen de rentabiliser ces larcins. «Il est possible que ces personnes démontent les montres et les transforment. Les mouvements sont assemblés avec d’autres composants pour créer de nouvelles pièces. Cela est possible, en particulier pour les montres contemporaines», note-t-il.

Sécurité renforcée
Prises au dépourvu ces dernières semaines face à ce phénomène grandissant et inquiétant, les manufactures n’ont pas fait attendre leur réaction. Augmentation de la sécurité à l’intérieur mais également aux alentours des bâtiments, telles sont les mesures qui ont été prises immédiatement après les vols. Chez Baume & Mercier, pas une barrette de quelques millimètres ne traînera désormais sur les établis.

Cambriolé pour la première fois depuis son histoire, Jaeger-LeCoultre va encore plus loin. L’ouverture de son musée au public est sérieusement remise en question. «En tout cas pour les six prochains mois, explique Jérôme Lambert. Le musée est inauguré cette semaine et nous allons tester notre dispositif de sécurité sur la durée». Pour préserver à tout prix le patrimoine horloger suisse.

Le mythe d’Arsène Lupin
A s’imaginer les voleurs défoncer à coups de bélier une vitrine pour dérober des centaines de bijoux en moins de 3 minutes, on se croirait dans un film. Et si le voleur n’était qu’un simple collectionneur fou, prêt à tout pour posséder la montre unique? Les patrons horlogers n’y croient pas. «Arsène Lupin, c’est un mythe, estime Jérôme Lambert. De nos jours, les collectionneurs ont les moyens de s’offrir des montres exceptionnelles. » «Les marchés parallèles existent et ne sont nourris que par des mafias organisées», ajoute Cäsar Menz.

Des marchés très lucratifs. De façon générale, le trafic d’œuvres d’art se situe aux premières places des activités économiques illicites, avec un revenu estimé à plus de 15 milliards de francs suisses par année.

Tribune de Genève / Florence Noël

 

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