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Le marché indien sera très porteur pour les producteurs suisses. Il devrait bénéficier de la baisse attendue de la fiscalité indirecte.
Président de la All India Federation of Horlogical Industry, Yashovardhan Saboo est le plus grand détaillant de montres suisses en Inde. Il y distribue une quarantaine de marques dans 36 points de ventes repartis sur 14 villes. Il livre ici son analyse sur l’état du secteur des montres de luxe en Inde.
Andrée-Marie Dussault: Comment se porte le secteur indien des montres premium et de luxe?
Yashovardhan Saboo: On s’attendait à connaître cette année une croissance de 20%. Elle a été entre 12 et 15%. En revanche, pour les années prochaines, on s’attend à du 20%. Pour l’instant, nous ne sommes pas encore dans le top 10 des marchés mondiaux. Cependant, notre marché continuera à croître, tandis que les autres non. Ça nous prendra au moins dix à quinze ans pour être parmi les cinq principaux marchés dans le secteur des montres de luxe. Mais ce n’est qu’une question de temps.
Comment voyez-vous le futur?
Il y a encore environ deux tiers des Indiens qui ne possèdent pas de montre. Donc le secteur connaîtra une croissance constante, notamment dans le segment des montres de moins de 1000 roupies (environ 20 francs). Cela dit, dans les 10 à 15 prochaines années, les segments premium et de luxe connaîtront les plus haut taux de croissance. En Inde, une classe moyenne toujours grandissante aspire à des goûts internationaux et cela en soi, est une garantie de succès pour le secteur. Si seulement 10% de la population indienne devient acheteur potentiel de montres premium et de luxe, cela correspondra à 30 à 40 millions de personnes. L’équivalent de la population de plusieurs pays européens. Quand et à quelle vitesse ce marché se développera dépend de l’économie, des politiques gouvernementales et des marques.
Vous comptez sur la clientèle des jeunes?
Les Indiens qui ont 25 ans aujourd’hui et qui travaillent n’ont pas la même perspective sur les montres que les gens de la génération précédente au même âge. Aujourd’hui, ces jeunes achèteront comme première montre une Tissot, par exemple. Plus tard, ils gradueront à l’achat d’une montre plus chère. Et c’est à ce moment-là que nous connaîtrons un tournant significatif. J’estime qu’il surviendra dans plus ou moins cinq ans.
Les marques suisses ont-elles confiance dans le marché indien?
La plupart d’entre elles réalisent que l’Inde est un marché clef pour le futur, c’est pour cela qu’elles investissent massivement ici. Certaine font même plus de publicité que les entreprises d’automobiles. Par ailleurs, les taxes en Inde sur les montres de luxe importées sont très élevées, presque de l’ordre des 40%. Malgré cela, les marques suisses font un effort pour fixer des prix comparables avec ceux dans le reste du monde. Pour les Indiens, qui aiment négocier et comparer les prix, ceci est apprécié et du coup, ils achètent moins leurs montres à l’étranger. Les détaillants aussi acceptent de gagner des marges moins grandes.
La situation des taxes a-t-elle évolué ces dernières années?
En 2009-2010, après la récession, l’industrie horlogère, comme plusieurs autres, a eu droit à des avantages fiscaux. Mais depuis l’an dernier, nous sommes revenus à la normale. Nous sommes toujours en discussion avec le gouvernement, notamment pour faire valoir que si les taxes sont plus raisonnables, elles seront mieux payées et les Indiens achèteront davantage en Inde. Lorsque la TVA sera implémentée, en principe en 2013, cela devrait réduire le fardeau de nos taxes de 5 à 7%, ce qui est significatif.
Trouver des locaux continue à être un défi?
Oui, mais de nombreux centres commerciaux ont ouvert, d’autres ouvriront sous peu et d’autres encore sont en cours de modernisation. Il y a plus de choix qu’il y a trois ou quatre ans. Cependant, ça reste très difficile d’avoir une boutique sur une high street en Inde parce qu’on ne peut pas contrôler l’environnement; la propreté, des stationnements à proximité, des trottoirs où il est agréable de marcher, etc. On peut avoir une belle boutique de luxe et à côté, un restaurant de fast-food ou un réparateur de motos peuvent venir s’installer.
Les aéroports représentent-ils une option?
Oui, d’ailleurs, le commerce au détail s’y développe rapidement. Ces dernières années plusieurs nouveaux aéroports ont été ouverts, d’autres ont été modernisés ou agrandis. C’est difficile d’y faire de l’argent parce que les loyers sont très chers. Mais ils nous donnent beaucoup de visibilité auprès des voyageurs et ils nous permettent d’observer le comportement des acheteurs potentiels.
Depuis quelques semaines, un gros détaillant de montres de luxe de Delhi est sous le coup d’une investigation pour contrebande. Quel commentaire cela vous inspire-t-t-il?
Cela montre que le gouvernement est attentif à ce qui se passe dans le secteur et qu’il applique la loi. Les contrebandiers peuvent offrir de meilleurs prix et cela nuit à tout le secteur. Si les détaillants et les marques traitent exclusivement avec des canaux officiels, je crois que ce serait la meilleure stratégie à long terme pour gagner en crédibilité auprès des marques, des clients et du gouvernement. Le secteur serait plus discipliné et connaîtrait une croissance plus rapide. Malheureusement, il y a quelques marques qui ne se positionnent pas clairement contre la contrebande. Cela dit, la plupart des grands noms ont adopté des politiques sans équivoque.
Propos recueillis par Andrée-Marie Dussault
AGEFI
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