Swatch Group renoue avec ses ambitions joaillières
 
Le 15-01-2013

Le groupe reprend la société américaine Harry Winston, décrit comme le roi des diamants. La transaction s’élève à plus de 900 millions de francs

C’est l’une des plus belles références mondiales dans la haute joaillerie, à côté de Cartier, Bulgari ou encore Graff. Swatch Group s’empare de la griffe d’origine canadienne mais basée à New York, Harry Winston, a-t-il fait savoir lundi. «C’est la marque qui nous manquait. La transaction s’est réalisée très rapidement», a indiqué au Temps Nick Hayek, patron de Swatch Group. Le numéro un mondial de l’horlogerie, disaient certains observateurs, avaient abandonné toute prétention dans la haute joaillerie, après avoir mis en sommeil la marque Léon Hatot. C’est donc un démenti de taille et la plus importante acquisition dans l’histoire du groupe biennois, ainsi qu’un renforcement de son segment horloger de luxe. L’entreprise ajoute dans la foulée une vingtième marque à son portefeuille. Et pas des moindres.

Harry Winston cherchait depuis plusieurs mois à se séparer de sa division montres et joaillerie pour se concentrer sur les mines. De fait, l’acquisition n’inclut pas les activités minières d’Harry Winston Diamond Corporation – dorénavant Dominion Diamond Corporation –, à Toronto.

Marges inférieures

La transaction se fait au prix fort. Elle s’élève à 750 millions de dollars (686 millions de francs), plus la reprise de la dette nette maximale à hauteur de 250 millions. Cela représente presque deux fois les ventes annuelles d’Harry Winston ou 23 fois la valeur d’entreprise par rapport au cash flow. Des ratios – presque – similaires à ceux payés par LVMH lors de son rachat de Bulgari. Il n’empêche, Swatch Group dispose de positions en cash bien suffisantes, de l’ordre de 2,5 milliards de francs. «Le prix est raisonnable. Il représente environ la moitié de notre bénéfice annuel», selon Nick Hayek. La division luxe d’Harry Winston a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires de 411,9 millions de dollars, en hausse de 12% à taux de change constants. Son bénéfice opérationnel s’est élevé à 19,4 millions de dollars, pour une marge EBITDA (avant dépréciation et amortissement) en dessous de 10%. Un niveau clairement inférieur à celui de Swatch Group, qui a navigué en 2012 à 27,5%, selon des estimations de la banque Vontobel. De fortes synergies sont prévues. «A terme, la marge pourrait grimper à 20, 25% selon nos calculs», précise Nick Hayek. Harry Winston ajoutera 5% aux ventes globales de l’entreprise bernoise. La transaction représente 3,5% de la capitalisation boursières de Swatch Group.

Harry Winston dispose d’une forte présence aux Etats-Unis, avec notamment des boutiques à Beverly Hills, Bal Harbour, Honolulu, Las Vegas, Dallas et Chicago. Hors continent américain, elle s’est aussi implantée au Japon, avec cinq boutiques, en Europe (Paris, Londres et Genève), ainsi qu’à Pékin, Shanghai, Taipei, Hongkong and Singapour. Sa boutique phare de la cinquième avenue à New York fait partie des hauts lieux mondiaux du luxe. Au total, Harry Winston compte 535 employés, dont environ 150 sur le site de production horloger à Plan-les-Ouates (GE). Sur ce segment, la marque s’est fait un nom ces dernières années, notamment avec son concept Opus, faisant appel à des horlogers indépendants qui élaborent un modèle spécifique pour Harry Winston.

Différences culturelles

Pour Robert A. Gannicott, président du conseil d’administration et directeur général d’Harry Winston Diamond Corporation, «la marque Harry Winston a désormais un nouveau foyer qui est en mesure de lui apporter les talents et le soutien nécessaires à l’expression de son véritable potentiel».

Un foyer où la greffe devra encore prendre. Ce qui n’ira pas forcément de soi, note un observateur. Au-delà d’une philosophie différente, de rigueur extrême par rapport aux coûts chez Swatch Group, l’acquéreur devra aussi apprendre à mieux connaître ce segment particulier. L’échec de la collaboration avec Tiffany est symptomatique à ce titre, notent les analystes. Elle avait échoué en raison de divergences d’opinion, rappelle la Banque Sarasin. Mais il ne fait aucun doute que Swatch Group va fortement développer sa nouvelle acquisition. «Cette marque possède un énorme potentiel», selon Nick Hayek. Notamment le groupe lui fera profiter de sa vaste présence en Chine et en Europe, régions où Harry Winston doit encore véritablement se déployer. A l’inverse, le repreneur pourra tirer profit de la solide implantation américaine de son acquisition. Encore plus important aux yeux de Swatch Group, la collaboration entre le groupe et Dominion Diamond Corporation va se poursuivre, permettant au premier d’assurer ses besoins en diamants polis. Les deux entités vont aussi explorer la possibilité de créer une coentreprise en la matière.

Potentiel d’un milliard de francs

Plus globalement, le marché mondial de la haute joaillerie est estimé entre 150 et 200 milliards de dollars et ne compte que peu de griffes, les grandes marques ne s’arrogeant que 10% de ce segment en pleine expansion, comme le note Sarasin. Pour la Banque cantonale de Zurich, l’acquisition fait sens stratégiquement et représente un excellent coup. Elle permet d’améliorer le potentiel de croissance à long terme du groupe, selon la banque. Pour Nick Hayek, «d’ici trois, quatre ou cinq ans, les ventes d’Harry Winston devraient atteindre le milliard de francs. Tout en gardant bien sûr l’aspect très exclusif de la marque».

Bastien Buss
LE TEMPS

 

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