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Au lendemain de l’échec de sa campagne contre l’initiative de Thomas Minder, economiesuisse essuie la critique des politiques sur son manque de relais auprès de la population.
La fédération faîtière des entreprises, economiesuisse, est «totalement déconnectée de la réalité politique». Elle n’a ni les bons relais, ni la capacité d’entendre ce que la population a à dire. A l’UDC, au PLR, au PDC ou chez les vert’libéraux, le constat est le même, au lendemain de la gifle cuisante des électeurs infligée à l’establishment économique et politique avec l’initiative «contre les rémunérations abusives»: economiesuisse a perdu de sa crédibilité politique.
Avec une grande question: l’organisation économique a-t-elle encore assez d’influence et d’audience pour mener les difficiles campagnes qui s’annoncent contre les initiatives de la gauche: limitation des hauts revenus dans un rapport de 1 à 12, salaire minimum, imposition des successions? Et surtout, la votation à venir sur l’extension de la libre circulation à la Croatie. Alors que, selon un sondage, 50% des personnes interrogées diraient non, contre 40% de oui.
Economiesuisse est sans doute consciente du problème, puisque, selon les informations du Temps (LT du 02.03.2013), elle a commandé à gfs.bern un sondage d’opinion sur la crédibilité des différents émetteurs, économiques ou politiques.
Dans la salle des pas perdus du Conseil national, on ne trouvera, bien sûr, aucun dirigeant politique pour rendre economiesuisse responsable de l’échec de la campagne contre l’initiative de Thomas Minder. D’abord, parce que l’on a peu vu les ténors politiques dans la campagne, si ce n’est Christophe Darbellay, président du PDC suisse, et le conseiller aux Etats soleurois Pirmin Bischof.
«Il faut admettre que personne ne s’est bousculé pour combattre l’initiative. Le soutien populaire à Minder partait de bien trop haut. Difficile de régater avec des arguments rationnels contre une campagne très émotionnelle», admet le président de l’USAM, Jean-François Rime (UDC/FR).
Certes, il y a eu des couacs, comme l’achat de noms de domaines ou les noms d’emprunt pour signer des lettres d’électeurs, «mais gagner, c’était une tâche impossible», reconnaît Christophe Darbellay.
Mais la campagne a mis cruellement en lumière les limites et les carences d’economiesuisse. Depuis le départ de l’ancien président Gerold Bührer, qui a siégé aux Chambres fédérales et présidé le PLR, economiesuisse n’a plus de relais politique de haut niveau. «Il manque au comité directeur d’economiesuisse une écoute et une compréhension de la réalité politique. Ses membres sont de brillants chefs d’entreprises, mais ils sont coupés de la population et ils n’ont pas de personnalités assez connues pour défendre leur message», explique Christophe Darbellay.
Pour l’ancien président du PLR, Fulvio Pelli, «economiesuisse n’est pas assez à l’écoute des politiques. Comme dans le cas de l’initiative Minder, economiesuisse n’a pas perçu l’évolution de la sensibilité de la population sur un thème aussi difficile que l’éthique économique. C’est une organisation tellement large, avec des intérêts aussi divers entre la banque et l’horlogerie, qu’elle perd en efficacité et en perception».
«C’est economiesuisse qui a l’argent, et même si elle tente de coordonner la stratégie avec les partis, elle entend bien mener elle-même sa campagne», poursuit Fulvio Pelli. Même si, parmi les questions posées aux personnes sondées, on demande qui devrait mener les campagnes politiques, l’économie ou les partis, «economiesuisse n’a aucune envie de relâcher son emprise», note Christophe Darbellay. Pour lui, la question, souvent évoquée, d’un fonds de campagne alimenté par les grandes industries au profit des partis qui défendraient leurs projets, «est un serpent de mer».
Les élus se demandent si economiesuisse a compris le message des urnes de ce week-end. Sur les questions de salaires, de conditions de travail, elle apparaît comme partie prenante et manque donc de crédibilité. De l’UDC au PDC, on s’attend à ce que, sur ces initiatives de gauche, l’économie fasse davantage de place aux politiques.
Mais c’est, évidemment, l’approche du vote sur l’extension de la libre circulation des personnes à la Croatie qui inquiète nos interlocuteurs. Economiesuisse a commencé une campagne de sensibilisation il y a plusieurs mois déjà. Mais l’inquiétude vient davantage du climat négatif qui règne en Suisse envers l’UE et l’arrivée de nouveaux étrangers. Or, l’attitude du Conseil fédéral dans ses relations avec Bruxelles contribue à accréditer l’idée que l’Europe représenterait davantage un risque, ou une force de pression, qu’une chance. Qui, d’economiesuisse ou du Conseil fédéral, sera capable d’inverser ce climat, s’interroge Christophe Darbellay.
Yves Petignat
LE TEMPS
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