«Croître n’est pas l’objectif de Patek Philippe»
 
Le 12-03-2013

Thierry Stern détaille la stratégie de la manufacture horlogère. Le président de Patek Philippe évoque aussi la Chine, les perspectives pour son entreprise et son approche commerciale

Pour nombre d’observateurs et de collectionneurs, Patek Philippe est considéré comme l’une des références ultimes dans l’horlogerie. Non seulement au niveau de ses collections de montres actuelles mais aussi pour tous les anciens modèles, dont beaucoup s’arrachent lors de ventes aux enchères. Avec des montants qui atteignent parfois des sommets. La marque entretient par elle-même cette convoitise, en limitant volontairement sa production. La manufacture pourrait pourtant vendre chaque année deux fois plus de garde-temps, selon son président Thierry Stern. La qualité de ses produits en pâtirait néanmoins, d’après lui.

Patek Philippe se distingue aussi de ses pairs au niveau de son réseau. Alors que beaucoup de marques ouvrent leurs propres boutiques, la société indépendante préfère faire confiance à ses détaillants historiques. Ce qui ne l’a pas empêchée ces dernières années de redimensionner de manière drastique son maillage commercial.

Le Temps: Un petit mot sur l’année 2012? Comment s’est-elle déroulée pour votre entreprise?

Thierry Stern : Nous avons tout lieu d’être satisfaits. La demande pour nos produits s’avère toujours aussi vigoureuse. Nous avons vendu toute notre production, volontairement limitée entre 50 000 et 53 000 pièces. Patek Philippe, dont la mission est de perpétuer l’art horloger traditionnel, a réalisé un exercice supérieur à 2011, soit une nouvelle année record
– Et quel est le panorama par marchés?

– Nous avons très bien travaillé avec tous les marchés. Il est impératif de conserver un équilibre sur l’ensemble des pays afin de répartir la demande. Ainsi, nous refusons toute concentration excessive sur la Chine, qui a d’ailleurs affiché un fort ralentissement pour la branche l’an dernier. Les Etats-Unis se portent nettement mieux, même si le niveau reste encore inférieur à la période précédant la crise financière de 2008. Nous avons mis par ailleurs un accent particulier sur l’Europe. Les clients américains ou asiatiques en déplacement sur ce continent, observent ce qui s’y passe, analysent les marques fortes. L’Europe est en fait une vitrine primordiale et un baromètre des futurs achats.

– Parcimonie en Chine donc. Après Genève, Londres et Paris, vous avez toutefois ouvert une Maison Patek Philippe à Shanghai. Allez-vous multiplier ce type de boutiques?

– Pas du tout. Nous nous concentrons sur nos activités de base, l’horlogerie. C’est-à-dire la création, le développement, la fabrication de garde-temps d’exception. Vendre des montres représente un autre métier que nous laissons aux détaillants. Qui pour la plupart s’acquittent très bien de ce travail. Certes, nous disposons aussi de 23 boutiques en partenariat mais tendanciellement le nombre de points de vente a baissé ces dernières années.

– De combien?

– Le redimensionnement du nombre de points de vente, initié il y a quelques années, arrive désormais à son terme. Nous sommes passés de 700 lieux à 450, répartis dans 70 pays. Non pas que les détaillants, à quelques exceptions près, ne nous donnaient pas satisfaction, mais simplement pour étoffer notre offre par site. Il n’y avait auparavant pas assez de montres par magasin. Avoir un stock de 25 montres est désormais un minimum. On ne peut tout simplement pas présenter moins de pièces.

– L’offre étant nettement inférieure à la demande, vos délais d’attente augmentent-ils pour toutes vos montres?

– Je ne le généraliserais pas ainsi. Pour les pièces de très haute complication, donc les pièces les plus rares, il faut en effet accepter un temps d’attente. Avec ce type de montres, le critère de vitesse n’a pas de sens. Il est contre-productif et dangereux.

– A combien le temps d’attente peut-il se monter?

– Pour les répétitions minutes standards par exemple, il faut compter un délai d’environ dix-huit mois. Pour les très grandes complications ou les nouveautés de haute horlogerie, c’est plutôt de deux à trois ans. Mais pour la collection standard, le client est en principe servi sans devoir patienter.

– S’accommode-t-il facilement à ces délais?

– Oui, sans problème dans la plupart des cas. Même si parfois en grinçant un peu des dents. Patek Philippe vise depuis toujours la perfection en créant des garde-temps d’une qualité et d’une fiabilité si possible inégalées. Il faut donc beaucoup de temps pour les élaborer. Les clients, les collectionneurs le comprennent parfaitement.

– Allez-vous étoffer vos effectifs cette année?

– Oui et non. Nous sommes à la recherche de quelques employés, mais fondamentalement nous avons atteint notre plafond, vu les quantités limitées que nous produisons. Avec 1500 employés à notre manufacture à Genève, dont 200 horlogers très qualifiés, 300 collaborateurs ailleurs dans nos autres unités de production en Suisse et encore 200 à l’étranger dans nos filiales et salons de vente en nom propre, notre main-d’œuvre correspond désormais à nos besoins. De plus, nous voulons rester une entreprise à taille humaine, où tout le monde se connaît ou presque.

– Quelles sont les perspectives pour 2013?

– Globalement, je m’attends à une année plus difficile pour l’ensemble de l’horlogerie. Pour le très haut de gamme, je suis par contre preuve davantage confiant. A condition, une fois de plus, de ne négliger aucun pays afin de lisser les risques. Beaucoup de marchés restent en effet fragiles. On l’a vu en Chine avec une très forte décélération l’an dernier. Cela dit, cette situation ne me préoccupe que de manière marginale, puisque nous n’écoulons dans ce pays que peu de montres. Pour d’autres marques, celles omniprésentes dans ce pays, la Chine devrait commencer à faire peur. Mais revenons à Patek. Pour nous, il s’agira d’une année de stabilisation à un haut niveau. Avec une légère croissance. En résumé, nous nous attendons à un exercice tout à fait convenable.

– Des bémols?

– Oui, il reste beaucoup d’inconnues macroéconomiques. La situation demeure par exemple difficile en France et au Royaume-Uni. Sans parler des nombreux pays – notamment européens – entrés en récession. Même l’Asie montre des signes de ralentissement. Il en va ainsi à Singapour. Mais à chaque marque de gérer ces aléas. Pour notre part, nous tâcherons d’être très réactifs. Et ferons notamment attention à bien protéger nos sous-traitants…

– C’est-à-dire?

– Nous n’allons pas passer des commandes tous azimuts. Ce sont toujours eux qui souffrent le plus en cas de retournement du marché. On l’a bien vu lors de la dernière crise horlogère. De nombreuses marques ont annulé du jour au lendemain leurs commandes. En ce qui nous concerne, nous avons cette chance fabuleuse de ne pas avoir d’actionnaires qui veulent absolument doper les chiffres. En tant que propriétaires de la marque, ma famille n’a pas cette approche de calculette dans le cerveau. En fait, le plus grand danger pour Patek Philippe, peut-être le seul, serait de trop produire.

– Mais vous pourriez écouler beaucoup plus de pièces si vous le vouliez…

– Il est vrai. C’est d’ailleurs assez difficile et complexe à gérer. D’aucuns, ceux qui ne parviennent pas à acquérir l’un de nos garde-temps – surtout les plus belles pièces –, nous demandent de produire davantage. D’autres sont au contraire très satisfaits de cette relative pénurie, étant déjà propriétaires. Il est dès lors impossible de satisfaire tout le monde.

– Vous êtes l’une des dernières manufactures horlogères indépendantes en mains familiales et la seule à Genève…

–… Et nous le resterons…

– Quelles nouveautés allez-vous présenter à Baselworld cette année?

– Pour nous le plus important est de faire évoluer l’ensemble des collections. De les faire toutes monter en gamme. Et ne pas se focaliser sur un seul modèle, comme le font beaucoup de marques, à grands renforts de marketing. Chez Patek Philippe, nous travaillons simultanément sur l’ensemble des lignes. Soit en proposant des animations, c’est-à-dire en modifiant les cadrans, les boîtes, les aiguilles etc., soit en apportant une réelle nouveauté technique sur le ou les mouvements (ndlr: lire ci-contre).

Bastien Buss
[LE TEMPS#http://www.letemps.ch" title="8201;000 pièces par année.

– Et quel est le panorama par marchés?

– Nous avons très bien travaillé avec tous les marchés. Il est impératif de conserver un équilibre sur l’ensemble des pays afin de répartir la demande. Ainsi, nous refusons toute concentration excessive sur la Chine, qui a d’ailleurs affiché un fort ralentissement pour la branche l’an dernier. Les Etats-Unis se portent nettement mieux, même si le niveau reste encore inférieur à la période précédant la crise financière de 2008. Nous avons mis par ailleurs un accent particulier sur l’Europe. Les clients américains ou asiatiques en déplacement sur ce continent, observent ce qui s’y passe, analysent les marques fortes. L’Europe est en fait une vitrine primordiale et un baromètre des futurs achats.

– Parcimonie en Chine donc. Après Genève, Londres et Paris, vous avez toutefois ouvert une Maison Patek Philippe à Shanghai. Allez-vous multiplier ce type de boutiques?

– Pas du tout. Nous nous concentrons sur nos activités de base, l’horlogerie. C’est-à-dire la création, le développement, la fabrication de garde-temps d’exception. Vendre des montres représente un autre métier que nous laissons aux détaillants. Qui pour la plupart s’acquittent très bien de ce travail. Certes, nous disposons aussi de 23 boutiques en partenariat mais tendanciellement le nombre de points de vente a baissé ces dernières années.

– De combien?

– Le redimensionnement du nombre de points de vente, initié il y a quelques années, arrive désormais à son terme. Nous sommes passés de 700 lieux à 450, répartis dans 70 pays. Non pas que les détaillants, à quelques exceptions près, ne nous donnaient pas satisfaction, mais simplement pour étoffer notre offre par site. Il n’y avait auparavant pas assez de montres par magasin. Avoir un stock de 25 montres est désormais un minimum. On ne peut tout simplement pas présenter moins de pièces.

– L’offre étant nettement inférieure à la demande, vos délais d’attente augmentent-ils pour toutes vos montres?

– Je ne le généraliserais pas ainsi. Pour les pièces de très haute complication, donc les pièces les plus rares, il faut en effet accepter un temps d’attente. Avec ce type de montres, le critère de vitesse n’a pas de sens. Il est contre-productif et dangereux.

– A combien le temps d’attente peut-il se monter?

– Pour les répétitions minutes standards par exemple, il faut compter un délai d’environ dix-huit mois. Pour les très grandes complications ou les nouveautés de haute horlogerie, c’est plutôt de deux à trois ans. Mais pour la collection standard, le client est en principe servi sans devoir patienter.

– S’accommode-t-il facilement à ces délais?

– Oui, sans problème dans la plupart des cas. Même si parfois en grinçant un peu des dents. Patek Philippe vise depuis toujours la perfection en créant des garde-temps d’une qualité et d’une fiabilité si possible inégalées. Il faut donc beaucoup de temps pour les élaborer. Les clients, les collectionneurs le comprennent parfaitement.

– Allez-vous étoffer vos effectifs cette année?

– Oui et non. Nous sommes à la recherche de quelques employés, mais fondamentalement nous avons atteint notre plafond, vu les quantités limitées que nous produisons. Avec 1500 employés à notre manufacture à Genève, dont 200 horlogers très qualifiés, 300 collaborateurs ailleurs dans nos autres unités de production en Suisse et encore 200 à l’étranger dans nos filiales et salons de vente en nom propre, notre main-d’œuvre correspond désormais à nos besoins. De plus, nous voulons rester une entreprise à taille humaine, où tout le monde se connaît ou presque.

– Quelles sont les perspectives pour 2013?

– Globalement, je m’attends à une année plus difficile pour l’ensemble de l’horlogerie. Pour le très haut de gamme, je suis par contre preuve davantage confiant. A condition, une fois de plus, de ne négliger aucun pays afin de lisser les risques. Beaucoup de marchés restent en effet fragiles. On l’a vu en Chine avec une très forte décélération l’an dernier. Cela dit, cette situation ne me préoccupe que de manière marginale, puisque nous n’écoulons dans ce pays que peu de montres. Pour d’autres marques, celles omniprésentes dans ce pays, la Chine devrait commencer à faire peur. Mais revenons à Patek. Pour nous, il s’agira d’une année de stabilisation à un haut niveau. Avec une légère croissance. En résumé, nous nous attendons à un exercice tout à fait convenable.

– Des bémols?

– Oui, il reste beaucoup d’inconnues macroéconomiques. La situation demeure par exemple difficile en France et au Royaume-Uni. Sans parler des nombreux pays – notamment européens – entrés en récession. Même l’Asie montre des signes de ralentissement. Il en va ainsi à Singapour. Mais à chaque marque de gérer ces aléas. Pour notre part, nous tâcherons d’être très réactifs. Et ferons notamment attention à bien protéger nos sous-traitants…

– C’est-à-dire?

– Nous n’allons pas passer des commandes tous azimuts. Ce sont toujours eux qui souffrent le plus en cas de retournement du marché. On l’a bien vu lors de la dernière crise horlogère. De nombreuses marques ont annulé du jour au lendemain leurs commandes. En ce qui nous concerne, nous avons cette chance fabuleuse de ne pas avoir d’actionnaires qui veulent absolument doper les chiffres. En tant que propriétaires de la marque, ma famille n’a pas cette approche de calculette dans le cerveau. En fait, le plus grand danger pour Patek Philippe, peut-être le seul, serait de trop produire.

– Mais vous pourriez écouler beaucoup plus de pièces si vous le vouliez…

– Il est vrai. C’est d’ailleurs assez difficile et complexe à gérer. D’aucuns, ceux qui ne parviennent pas à acquérir l’un de nos garde-temps – surtout les plus belles pièces –, nous demandent de produire davantage. D’autres sont au contraire très satisfaits de cette relative pénurie, étant déjà propriétaires. Il est dès lors impossible de satisfaire tout le monde.

– Vous êtes l’une des dernières manufactures horlogères indépendantes en mains familiales et la seule à Genève…

–… Et nous le resterons…

– Quelles nouveautés allez-vous présenter à Baselworld cette année?

– Pour nous le plus important est de faire évoluer l’ensemble des collections. De les faire toutes monter en gamme. Et ne pas se focaliser sur un seul modèle, comme le font beaucoup de marques, à grands renforts de marketing. Chez Patek Philippe, nous travaillons simultanément sur l’ensemble des lignes. Soit en proposant des animations, c’est-à-dire en modifiant les cadrans, les boîtes, les aiguilles etc., soit en apportant une réelle nouveauté technique sur le ou les mouvements (ndlr: lire ci-contre).

Bastien Buss
[LE TEMPS#http://www.letemps.ch" id="mainlink" target="_blank">ndlr: en 2011, la marque avait avoisiné le milliard de francs de chiffre d’affaires]. Mais croître n’est pas notre objectif. C’est bien davantage la recherche perpétuelle de la qualité et de la fiabilité qui nous anime. Jamais nous ne produirons 100&

 

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