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L’histoire horlogère retiendra le nom de Jaeger-LeCoultre comme la première marque à avoir présenté – ce printemps – une montre équipée d’un mouvement fonctionnant sans lubrification. La Master Compressor Extreme LAB et son calibre 988C sont à l’origine de six demandes de brevet. Et de toute évidence, de nombreuses manufactures ont orienté leurs recherches dans cette direction. Ulysse Nardin a fait le second pas concret dans ce domaine en levant récemment le voile sur son modèle concept InnoVision. Si Jaeger-LeCoultre et Ulysse Nardin n’ont pas retenu exactement les mêmes solutions et procédés, l’utilisation de matériaux innovants pour l'horlogerie issus des dernières technologies sont des éléments communs.
L’InnoVision, qui ne sera pas commercialisée en l’état, mais dont certaines innovations intégreront à l’avenir les modèles des collections courantes, compte dix innovations développées par Ulysse Nardin et Sigatec. Avec deux objectifs précis: l’absence de lubrification et le gain de précision.
L’absence de lubrification est un véritable Graal en quête duquel se sont mis tous les horlogers depuis des siècles et qui apparaît aujourd’hui comme une révolution majeure. Elle permet d’accroître la fiabilité de la montre et de réduire sa maintenance, les huiles et les graisses utilisées d’ordinaire dans les mouvements mécaniques étant, dans le temps, pénalisantes et perturbatrices.
L’essentiel des avancées technologiques développées pour le concept InnoVision relève de l’utilisation du silicium et de nouveaux procédés de mise en œuvre de ce matériau. Outre la volonté de supprimer toute lubrification, l’objectif est de tirer profit de la précision du procédé, de révéler le potentiel de l’attaque double face ou à deux niveaux pour des composants en silicium et en nickel, et enfin de parvenir à combiner les avantages des technologies DRIE (deep reactive ion etching) et LIGA (Lithographie, Galvanoformung und Abformung). A noter encore – une première dans l'horlogerie – l’utilisation dans le modèle InnoVision de microcomposants bimatériaux silicium-nickel. Plusieurs des avancées proposées par InnoVision sont appelées à intégrer les modèles des collections courantes d’Ulysse Nardin dans dix-huit à vingt-quatre mois.
Ulysse Nardin propulse l’horlogerie dans le XXIe siècle
En présentant sa montre concept sans lubrifiant, Ulysse Nardin accumule les innovations technologiques. Par son ingéniosité, la PME neuchâteloise dame le pion aux grands groupes.
LorsqueRolf Schnyderra chète Ulysse Nardin en 1983, la société est exangue. Alors qu’elle avait acquis une renommée prestigieuse dans sa spécialité, le chronomètre de marine, et dans la production de montres à complications, qui lui ont valu de remporter d’innombrables prix, l’entreprise locloise a subi de plein fouet, à la fin des années 1970, l’effondrement de l'horlogerie mécanique suisse face à l’avènement du quartz japonais.
En faisant l’acquisition de cette entreprise moribonde, qui comptait alors deux collaborateurs, l’entrepreneur Rolf Schnyder a une vision pour la marque: innover dans le développement de mouvements mécaniques. S’il ne s’est pas dessiné d’emblée, le succès de cette stratégie est désormais indiscutable. Et les dernières années n’ont fait que le confirmer.
En 2003, la société comptait quelque 130 collaborateurs pour 12 000 montres produites et un chiffre d’affaires de l’ordre de 60 millions. Elle occupe aujourd’hui 280 personnes pour une production de 23 000 mon-tres et un chiffre d’affaires attendu à 180 millions.
Entre ces deux dates, Ulysse Nardin, installée au Locle depuis sa fondation en 1846, a inauguré une nouvelle manufacture à La Chaux-de-Fonds, tout en développant continuellement son outil de production loclois. Et cette dynamique devrait se poursuivre puisque la société construit désormais un bâtiment de trois étages au Locle tandis que l’extension de sa manu- facture chaux-de-fonnière est d’ores et déjà programmée.
Ame de pionnière
Peu exposée en Suisse mais appréciée de tous les collectionneurs et amateurs avertis, la marque locloise s’est souvent singularisée par le développement de produits complexes et originaux sur le plan technique.
Pour ce faire, Rolf Schnyder s’est appuyé sur les connaissances exceptionnelles du Lucernois Ludwig Oechslin, aujourd’hui conservateur du Musée international d'horlogerie de La Chaux-de-Fonds, mais surtout génial inventeur. On lui doit notamment le calibre Freak, une exclusivité Ulysse Nardin dotée d’un mouvement entièrement visible et proposant un échappement totalement inédit. C’était en 2001, et le modèle Freak était tout simplement la première montre dotée d’un échappement en silicium, un matériau qui intéresse désormais une foule de maisons…
Sur cette base, Ulysse Nardin proposera encore plusieurs innovations marquantes qui contribueront à forger la réputation pionnière de la marque. En 2002, la manufacture teste les premiers spiraux en diamant sur des prototypes. En 2005, la société lance le Dual Ulysse, le premier échappement réalisé en nickel-phosphore et en silicium. Dans le même temps, Ulysse Nardin commercialise la première montre dotée d’un échappement en diamant. Et ce printemps, la présentation de la Freak DIAMonSIL® est le premier garde-temps utilisant des composants en silicium servant de matrice pour faire croître une couche de diamant synthétique nanocristallin.
Des jalons pour demain
Toutes ces avancées touchant aux organes vitaux du mouvement mécanique visent à augmenter la fiabilité et la précision de la montre, tout en réduisant ses besoins de main- tenance. En investissant lourdement dans ces développements, et en s’associant à des laboratoires de recherche pour transposer à l'horlogerie des procédés de fabrication utilisés dans d’autres secteurs, la PME s’est montrée plus agile que les grands groupes du secteur.
Elle l’a démontré une nouvelle fois fin 2006 en créant Sigatec, une joint-venture avec la société valaisanne Mimotec. Cette dernière, spécialisée dans la combinaison des procédés de photolithographie et d’électroformage ou d’électro-déposition, produit pour l'horlogerie des microcomposants aux formes complexes impossibles à réaliser selon des procédés traditionnels.
Lorsque l’on sait que, exception faite de Swatch Group, pratiquement toutes les marques horlogères sont clientes de Mimotec, on mesure l’intérêt de la technologie. Or c’est précisément pour appliquer ce type de procédé au silicium que Mimotec et Ulysse Nardin ont fondé la joint-venture Sigatec.
Sur la base de brevets Mimotec, Ulysse Nardin ou Sigatec, la manufacture locloise a pu développer et présenter sa montre concept InnoVision, laquelle pose incontestablement quelques jalons de ce que sera la haute horlogerie de demain.
Et l’avenir de cette horlogerie passera presque inévitablement par Sigatec: la société entend effectivement proposer ses produits innovants aux marques intéressées.
Bilan / Michel Jeannot |