La Swatch au faîte de l’industrialisation
 
Le 29-04-2013

Le groupe de Nick Hayek a présenté un nouveau mouvement mécanique aux 17 brevets et 100% «Swiss made». Son assemblage se fera entièrement par des machines, sur une ligne de production qui tournera non-stop. La marque lancée il y a trente ans entend ainsi à nouveau bousculer les codes, mécaniques cette fois-ci

L’horlogerie suisse prépare le XXIIe siècle, utilisant toujours davantage des technologies ultramodernes et inédites. Dans des univers futuristes, caractérisés par des salles blanches, exemptes de tout micron de poussière, avec des machines faites sur mesure, le progrès est en marche. Swatch Group, numéro un mondial du secteur, ne lésine pas sur les moyens, recourant aux dernières innovations (lasers et autres procédés dignes de la nanotechnologie) ou alors en les créant de toutes pièces pour les adapter à ses besoins. L’image d’Epinal de l’horloger accoudé à son établi se lézarde quelque peu. Place à l’automatisation à outrance afin de réduire les coûts et surtout de préserver le «Swiss made».

C’est cette logique qui a prévalu pour la dernière innovation de taille du groupe. Lui parle de manière emphatique de «révolution». La marque Swatch, qui célèbre cette année ses trente ans, a présenté jeudi lors d’une conférence de presse dans le cadre de Baselworld, un nouveau mouvement mécanique. En 1983, les tout premiers modèles de la fameuse montre en plastique étaient à quartz. Le nouveau calibre accumule les premières technologiques et est issu de l’émulation de toutes les entités industrielles de sa maison mère, ainsi que de nombreuses PME locales. L’aventure, un peu folle de l’aveu même de Nick Hayek, directeur général de Swatch Group, a pris forme il y a deux ans à peine. La mission? Avec des technologies de haut niveau, il fallait produire le mouvement mécanique le plus économique possible et 100% «Swiss made». «Nous avons présenté le projet. Et, là, le patron a directement dit que c’était l’idéal pour la Swatch. Il a aussitôt donné son feu vert», témoigne Pierre-André Bühler, président d’ETA, bras industriel du groupe biennois.

Le résultat est un mouvement baptisé Sistem 51, disposant d’une réserve de marche de 90 heures, d’une précision pointue, avec une marge d’erreur de seulement + ou – 5 secondes par jour, constitué de 51 éléments (tout comme la Swatch d’origine). Les mouvements mécaniques traditionnels en comptent généralement plus du double – certains, les plus compliqués, atteignant même 600 pièces. Faite en alliage synthétique à base de tungstène, la masse oscillante, qui permet de remonter le mouvement, est réalisée par injection et est entièrement transparente. Le mouvement, doté d’un quantième à guichet (date), oscille à 3 Hz.

Les parties en laiton ont été remplacées par un alliage de cuivre, de zinc et de nickel. Exit donc la galvanoplastie, procédé chronophage et coûteux. Swatch, qui a aussi fait recours à la technologie d’impression numérique, affirme que 100% des composants sont nouveaux, et non pas simplement réinterprétés, ajustés ou modifiés. Le tout tient avec une seule vis. Voilà pour l’essentiel de la partie technique et qui a conduit au dépôt de 17 brevets.

Peut-être plus important en termes industriels, ce mouvement sera monté et assemblé de manière entièrement automatisée. Plus besoin de l’intervention de l’homme, ou presque. D’où la possibilité de produire non-stop. Pour y parvenir, il a fallu repenser l’ensemble du processus de fabrication. «C’est une approche totalement nouvelle. Du jamais-vu selon moi dans l’horlogerie», s’enthousiasme Pierre-André Bühler, président d’ETA. A tel point que plus aucune correction de la montre après réglage n’est nécessaire, vu que le module de l’échappement (balancier-spiral) est soudé par laser, contrôlé et fixé une fois pour toutes. Ce qui minimise encore les interventions dans cette production en flux linéaire. L’optimisation de l’ensemble des process permet in fine de réduire par deux le temps de fabrication. Il sera d’environ 20 minutes. Plus besoin que les divers composants changent d’étage, partent dans d’autres salles ou doivent être carrément transférés sur d’autres sites de production pour les différentes phases d’assemblage. Tout se fait sur une seule ligne, de 20 mètres de long à peine. La durée de vie de ce mouvement devrait dépasser les dix ans, voire atteindre les vingt, alors qu’un calibre mécanique traditionnel nécessite des révisions tous les cinq à sept ans. Donc pas de service après-vente, d’ailleurs impensable dans cette gamme de tarifs.

Swatch Group n’a pas dévoilé quelle usine accueillerait la production. Pour le leader mondial de l’horlogerie, l’essentiel est toutefois ailleurs. «C’est la preuve qu’en Suisse on peut fabriquer des produits mécaniques de très haute qualité à un prix tout à fait accessible. Pourquoi les autres ne le font pas?» s’interroge Nick Hayek. Les montres dotées du Sistem 51 arriveront sur le marché en octobre. Leur prix? Entre 100 et 200 francs, selon le patron de Swatch Group. A l’exportation, un seul mouvement mécanique suisse, sans l’habillage, valait 116 francs en 2012, selon les statistiques de la Fédération horlogère.

«Je vous rappelle qu’il y a 35 ans, c’était la misère dans notre secteur. Plus rien n’existait. On ne parlait plus d’industrie et surtout plus personne ne voulait d’horlogerie mécanique», a lancé un Nick Hayek visiblement ému par ce lancement. «La Suisse a besoin d’une horlogerie d’entrée de gamme, accessible à des centaines de milliers de personnes. Le rêve n’est pas seulement connecté au prix, au haut de gamme, mais il est fait de fantaisie, d’imagination et d’innovation. Et d’entrée de gamme», selon le fils de feu Nicolas Hayek, qui avait lancé la première Swatch il y a 30 ans.

Paradoxe historique, c’est cette montre, peu onéreuse, qui est souvent présentée comme celle qui a aussi permis de sauver la haute horlogerie, essentiellement mécanique, aujourd’hui florissante et très chère. En 1991, 10 000 Swatch mécaniques étaient lancées sur le marché. Non pas pour de pures raisons commerciales mais essentiellement pour sauver deux usines, sans travail et de facto menacées de fermeture, dont Nivarox, qui élabore entre autres les organes réglants des montres mécaniques. Ce savoir-faire est encore absolument crucial plus de vingt après pour l’ensemble de l’industrie. Sans lui, la physionomie de l’horlogerie aurait été sans doute tout autre. Peu d’entreprises peuvent s’en passer aujourd’hui.

«Je n’ai pas vu le mouvement Sistem 51, ni les procédés techniques y afférents. Sur le papier, cela semble indéniablement une rupture. On peut peut-être juste regretter la déshumanisation du processus, du métier», réagit un cadre d’une marque horlogère indépendante, ayant demandé l’anonymat. L’emploi horloger est-il du coup en péril? «Tous ces progrès ne signifient pas du tout que nous n’avons plus besoin d’horlogers. Il nous faut au contraire toujours davantage de personnel qualifié», a indiqué Nick Hayek.

Un autre patron horloger, tout aussi discret sur son identité que le précédent, met un aspect différent en exergue: «Swatch est très fortement concurrencé, notamment par des produits asiatiques, voire américains. Là, au niveau technologique, la société prend plusieurs longueurs d’avance. Et j’imagine que ses innovations seront également utilisées pour les autres marques du groupe ou pour d’autres mouvements ou pour d’autres développements.»

Jean-Paul Girardin, vice-président de la marque indépendante haut de gamme Breitling, est quant à lui admiratif: «Toute innovation permet d’asseoir la position suisse. Les volumes sont très importants pour notre industrie. La quantité permet de garder et pérenniser notre branche. Renforcer le «Swiss made» ne suffit pas. Il faut innover, toujours et encore, pour préserver la position de leader exceptionnelle que s’est forgée l’horlogerie suisse. Et ce mouvement, imaginé par des ingénieurs suisses, en Suisse, par une société suisse, y contribue.» L’an dernier, tandis que les exportations de montres helvétiques progressaient de 11,5% en valeur, les quantités, elles, ont reculé de 2,2%, à 29,1 millions de pièces, dont 22 millions avec un mouvement quartz.

Swatch Group n’a pas révélé ses ambitions en termes de ventes. Nick Hayek a juste rappelé qu’il se vendait chaque jour entre 50 000 et 100 000 montres Swatch aux quatre coins du monde. Premiers éléments de réponse cet automne, lorsque les modèles dotés du Sistem 51 arriveront sur le marché.

Trois décennies après son lancement, la célèbre montre en plastique s’offre une nouvelle jeunesse, mécanique. Et elle entend à nouveau et à sa manière bouleverser les codes.

Bastien Buss
LE TEMPS

 

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