«Les chiffres sont bons, mais il ne faut pas s'emballer»
 
Le 29-05-2013

Avril a vu les exportations suisses croître dans tous les domaines. Portées par la pharma-chimie, les ventes à l'étranger sont au vert dans tous les domaines. Prudence, recommande toutefois l'économiste Sergio Rossi.

L'économie suisse continue de défier le franc fort: les exportations en avril ont connu une nouvelle hausse. Si le fait de compter deux jours ouvrés de plus qu'en 2012 a pu jouer un rôle (corrigées de ce fait, les exportations ont stagné et les importations reculé de 1,5%), la hausse reste sensible. La balance commerciale boucle avec un excédent de 1,7 milliard de francs.

Professeur d'économie à l'Université de Fribourg, Sergio Rossi analyse ces mouvements comme une marque de confiance dans la qualité des produits suisses. Mais il recommande la prudence, car la situation dans la zone euro reste préoccupante.

24 heures – Une fois de plus, en avril, les exportations suisses se sont bien portées, en dépit d'un franc toujours fort face à l'euro. Comment expliquer ces bons chiffres?
Sergio Rossi – Il convient de rester prudent. Certes, en valeur absolue, ces chiffres sont encourageants. Mais en tenant compte des jours ouvrés en plus cette année, en termes réels, les grandeurs ont stagné voire légèrement évolué à la baisse, surtout pour les importations il est vrai. Cela reste positif, mais il ne faut pas s'emballer. Ce que l'on remarque, c'est la bonne tenue des exportations de produits finis. Cela indique clairement que les consommateurs et les entreprises étrangères accordent volontiers leur confiance aux produits suisses. Là, c'est l'image de marque de qualité, de fiabilité, de longévité et de rapidité du service après-vente. Le point positif, c'est cette bonne tenue des exportations suisses, alors que la force du franc laissait envisager des difficultés dans ce domaine voici quelques mois. L'action de la Banque nationale suisse avec son taux plancher vis-à-vis de l'euro a donné de la sécurité aux entreprises, notamment aux PME, qui voulaient s'attaquer aux marchés étrangers mais avaient des craintes.

Au niveau géographique, quels sont les grandes tendances?
Beaucoup de PME ont compris l'intérêt de pénétrer des marchés émergents, notamment en Amérique du Sud (Mexique, Brésil) et dans le Sud-Est asiatique, où l'on assiste à une hausse du pouvoir d'achat des populations locales. Et dès que ces gens gagnent mieux leur vie, ils veulent des produits de qualité, créneau sur lequel la Suisse est bien positionnée. Pour la zone euro, même si certains signaux semblent passer au vert, la prudence doit rester de mise: les vraies réformes n'ont pas été effectuées. A part l'austérité, rien n'a été fait pour relancer la croissance économique et réduire le taux de chômage. Les lueurs de reprise sont donc fragiles et pourraient ne pas tenir sur le moyen ou le long terme. Enfin, n'oublions pas de distinguer les réelles exportations qui se traduisent par des ventes et les mouvements internes aux grands groupes. Il existe par exemple des transferts au sein des multinationales de la pharmacie qui apparaissent dans ces chiffres, mais doivent être vus à l'aune des opérations de ventes réelles.

Comment jugez-vous l'accord de libre-échange avec la Chine et son annonce?
L'annonce est déjà un acte symbolique majeur: cela peut encourager certaines entreprises à réfléchir à une stratégie vers la Chine. D'un point de vue pratique, la baisse des droits de douane va jouer un rôle certain, notamment dans certains secteurs comme le luxe. Attention toutefois aux mirages: la Chine est un marché aux potentiels énormes, mais c'est un marché compliqué. La côte se développe très vite avec une croissance économique remarquable, mais tout l'intérieur du pays reste très pauvre. Et la culture économique n'est pas la même qu'en Suisse. Avant de se lancer, il faut étudier le marché et trier les opportunités.

Quelles peuvent être les clefs d'une croissance durable des exportations suisses?
D'abord il faut continuer de miser sur l'atout numéro un: l'image de marque de qualité. La Suisse doit capitaliser sur cette réputation et tout faire pour la mériter. Une autre piste consisterait à diversifier davantage le panel des exportations: plus le spectre sera large, plus les soubresauts des différentes branches pourront être atténués dans leur ensemble. Ce qui me semble encourageant, c'est la mise en place récente de consortiums de PME qui veulent se lancer à l'assaut de marchés étrangers mais sont suffisamment prudents pour ne pas y aller sans réfléchir: ce type de structures peut permettre d'avoir les atouts pour se faire une place au milieu de la concurrence internationale. Enfin, il faut rester prudent. C'est le maître-mot. Une légère reprise dans la zone euro ne serait que transitoire. Avant l'éventuelle réélection d'Angela Merkel, le gouvernement allemand restera sur une ligne d'austérité. Peut-être qu'ensuite nous pourrons assister à quelques mesures de relance. Ne négligeons pas le poids prépondérant de l'économie allemande pour la Suisse. D'ailleurs, le léger fléchissement des importations asiatiques en Suisse peut partiellement s'expliquer par la conjoncture chez nos voisins: de nombreuses entreprises allemandes font appel à des fournisseurs suisses. Or ceux-ci ont des sous-traitants en Asie. Moins de demande en Allemagne joue un rôle sur les carnets de commande suisses en Asie.
(Newsnet)

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