A force de détermination, les deux fondateurs français de HAUTLENCE ont gagné leur pari
 
Le 22-10-2007

A force de détermination, les deux fondateurs français de HAUTLENCE ont gagné leur pari: après trois ans, leur marque, bénéficiaire, a triplé sa production et réalise plus de 5 millions de chiffre d’affaires.

«Pour tout dire, l’accueil des horlogers a été plutôt froid. On sentait bien qu’ils se disaient: mais qu’est-ce qu’ils veulent ces français avec leurs idées farfelues!» Il a fallu bouger des montagnes, mais les deux jeunes créateurs de la marque HAUTLENCE – anagramme de Neuchâtel où l’entreprise est basée -, Renaud de Retz, 34 ans, et Guillaume Tetu, 35 ans, y sont arrivé. Leur première collection, commercialisée à partir de fin 2005, s’est vendue au-delà des espérances: plus de 400 pièces à ce jour. Et pour de la haute horlogerie, soit des modèles numérotés à plus de 50'000 francs, cela représente indéniablement une réussite (lire l’encadré).

L’idée de lancer une marque horlogère est née autour d’une table, en 2001. «C’était pendant la foire de Bâle, nous étions une dizaine d’employés de grands groupes horlogers suisses, se souvient Renaud de Retz. On s’apercevait que nous faisions toujours le même constat un peu déprimé: chaque année, les marques viennent à Bâle avec un marketing affûté afin de déguiser en innovation et en nouveautés des liftings cosmétiques qui consistent à ajouter des pierres et des brillants sur de vieilles collections.» Autour de la table, Guillaume Tetu et Renaud de Retz, respectivement chez TAG Heuer et LVMH, décident «de commencer à faire quelque chose au lieu de se plaindre». L’un, Renaud, Parisien, a fait ses armes comme responsable commercial chez Longines en France, puis chez Jaeger-LeCoultre. L’autre, Guillaume, Lyonnais, travaillait comme consultant en conception chez Rolex avant de s’installer à Neuchâtel.

« NOUS NE SOMMES PAS HORLOGERS » Amoureux des belles mécaniques, qu’elles soient automobiles ou horlogères, les deux compères se mettent à réfléchir à des mouvements d’un nouveau genre, inspirés de locomotives, de turbines d’avion, de moteurs de voiture… «Nous ne sommes pas horlogers, et cela s’est révélé un avantage: nous n’étions pas enfermé dans les contraintes techniques et la tradition, poursuit Renaud de Retz. On s’est penché sur des principes mécaniques différents, et une nouvelle manière de montrer l’heure, là où les horlogers raisonnaient instinctivement avec des aiguilles autour d’un même axe.»

Ils développent des prototypes, cherchent des partenaires et, surtout, convainquent des investisseurs - qui sont devenus des associés opérationnels - de monter dans l’affaire (lire ci-contre): ils lèvent 2 millions de francs et développent un mécanisme étonnant, avec un indicateur des minutes qui progresse sur un demi-cercle (comme une jauge de tableau de bord), puis bascule d’un coup à l’heure fixe au moyen d’une bielle (comme le long des roues d’une locomotive à vapeur). «Il y a un très grand conservatisme dans l’horlogerie, et le premier problème a été de trouver des partenaires techniques prêts à relever le défi… et surmonter le blocage psychologique de travailler avec une nouvelle marque, de surcroît lancée par des Français», sourit Guillaume Tetu.

Dans un premier temps, le marché accueille avec scepticisme la présentation des prototypes, en 2005, à Baselworld. «Il y a tellement de nouvelles marques chaque année à Bâle qu’on s’y attendait, dit Renaud. L’accueil de l’industrie est toujours logiquement prudent car une minorité de nouveaux acteurs démarrent réellement la production, et encore moins réussissent à trouver leur marché...»

GOULETS D’ETRANGLEMENT Soutenu par ses investisseurs, HAUTLENCE franchira ces étapes et la première collection, baptisée HL, arrive bien sur le marché en octobre 2005, déclinée en 6 modèles (deux suivront l’année suivante) dont l’originalité convainc rapidement un grand distributeur asiatique. «C’est clair, les premiers clients ont été les collectionneurs, toujours friands de nouveautés, notamment en Asie», précise Guillaume. Les commandes affluent, au point que l’entreprise se retrouve rapidement coincée: «Nous avions un problème de capacité. On n’arrivait à assembler qu’une dizaine de montres par mois. Il a fallu engager deux horlogers pour prendre en charge une partie de l’assemblage en interne.» L’autre goulet d’étranglement sera l’approvisionnement de certains composants qui peuvent parfois être livrés avec plusieurs mois de retard.

Les deux entrepreneurs constatent un curieux paradoxe: «Certains fournisseurs horlogers suisses tournent à plein régime, ils sont visiblement en sous-effectifs, mais n’engagent pas et n’augmentent pas leurs capacités. En les interrogeant, on s’est rendu compte que le spectre de la crise planait toujours dans la région et que cette prudence s’expliquait par le traumatisme encore dans toutes les mémoires. Du coup, avec des carnets de commande extrêmement bien remplis pour les mois (et années!) à venir à l’avance, et des embauches qui ne suivent pas, cela pose de gros problèmes pour les petits clients comme nous.» Le premier mouvement HAUTLENCE récupère en partie l’architecture du célèbre mouvement Peseux d’ETA (Swatch). «Nous entretenons de très bonnes relations avec le groupe de Nicolas Hayek, en toute logique puisque nous ne représentons pas une menace: notre production reste limitée à 88 exemplaires par modèle, afin de conserver le caractère exclusif de la marque.»

HAUTLENCE souhaite poursuivre son approche d’innovation technique en développement régulièrement de nouveaux mouvements, «un calibre tous les 36 mois, à l’architecture novatrice et inattendue mais sans aller sur le terrain des grandes complications».

DE 20 A 30 MONTRES PAR MOIS Installée au cœur de Neuchâtel (le siège se trouve sur la place des Halles, la plus célèbre de la ville, et l’atelier à deux pas, à la rue du Trésor), l’équipe s’est étoffée mais HAUTLENCE n’emploie que huit collaborateurs. «Nous continuerons de sous-traiter la fabrication, nous n’allons pas créer une manufacture horlogère.» En assemblant une partie en interne, et grâce à la confiance de ses fournisseurs, HAUTLENCE livre désormais entre 20 et 30 montres par mois (un cycle de production complet peut prendre de 3 à 5 mois). La marque présentera un nouveau modèle/calibre fin 2008. En parallèle, elle développe son réseau de distribution: de 30 aujourd’hui, le nombre de points de vente doit atteindre la cinquantaine en rythme de croisière.

Ils vendent peut-être du rêve à une clientèle qui ne compte plus, mais les deux entrepreneurs et leurs associés n’ont, eux, pas perdu le sens des chiffres. Dans leurs costumes couture, ils les partagent même avec plaisir et une certaine transparence, ce qui reste plutôt rare dans le milieu: «Nous bouclons cette année avec un chiffre d’affaire de 5 millions, et nous dépasserons 8 millions l’an prochain. D’ici au mois de mars, nous aurons non seulement rentabilisé l’entreprise mais aussi épongé les 2 millions de pertes de la première année.» Rien à ajouter.

La confiance d’industriels français
Outre les deux fondateurs, qui sont par ailleurs actionnaires de leur entreprise, HAUTLENCE a bénéficié des fonds de trois partenaires, des investisseurs privés français aux profils complémentaires: Jean Plazenet et Alain de Forges (qui, avant HAUTLENCE, ont travaillé notamment dans le développement du marché des gamma-caméras médicales) et Jean-Christophe Chopin (un des pionniers français de la nouvelle économie). Des éminences du capitalisme français dont l’expérience se révèle, encore aujourd’hui, tout aussi précieuse aux deux jeunes horlogers que leurs fonds. En voyant le concept de départ, les trois partenaires ont accepté de prendre le risque et de financer l’investissement initial à hauteur de 2 millions de francs suisses. C’est précisément le montant qui sera utilisé par la jeune entreprise pour développer son prototype, puis le mettre en production. «On pensait y arriver avec moins mais les retards importants de développement nous ont coûté cher», reconnaît Renaud de Retz.

Par Gabriel Siegrist - L'Hebdo du 18.10.2007

 

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