Relancer une marque horlogère historique: un pari risqué
 
Le 13-12-2013

Chaque année, des entrepreneurs rachètent des enseignes horlogères pour les relancer. L’histoire de la marque est systématiquement mise en avant comme plus value.

« Manufacture Royale a été créée par Voltaire en 1770. C’est dans son atelier de Ferney, à la frontière genevoise, que l’écrivain et grand philosophe français a produit des montres et des mouvements à remontage mécanique destinés à la cour de Louis XV et aux têtes couronnées d’Europe ».

Cette légende, c’est le socle historique de la marque qui vient d’être reprise par une même famille : Marc Guten, qui a œuvré près de vingt-cinq ans au sein du groupe Richemont et ses cousins David, Alexis et Gérard Gouten, tous trois dirigeants d’entreprise et professionnels de la branche. Ces quatre connaisseurs de l’industrie horlogère entendent relancer Manufacture Royale, devenue, grâce à cette anecdote, historique. Ils comptent ainsi assurer à la marque un développement international et lui donner une nouvelle envergure.

« Grâce à nos réseaux, nous pouvons démarcher de nombreux détaillants à travers le monde », explique Marc Guten qui ambitionne d’ouvrir à terme une cinquantaine de points de vente. Rencontré il y a quelques jours à Genève, ce dernier était en partance pour une tournée asiatique. Dans son viseur, Hongkong, Shanghai, Macao, Taiwan et Singapour. Le Genevois d’adoption connaît très bien ces marchés, puisque c’est lui qui y a ouvert les premiers points de vente pour Vacheron Constantin.

« J’ai inauguré la première boutique à Pékin en 1999, puis j’ai développé la marque dans toute l’Asie Pacifique», raconte l'entrepreneur. « L’Empire du Milieu et les pays émergents restent très friands des marques helvétiques, surtout celles qui ont une histoire et une tradition », rajoute-t-il.

Le premier tourbillon à 50 000 francs
Cependant, trouver un réseau de distributeurs n’est pas la seule tâche qui incombe aux nouveaux propriétaires de l’enseigne. « Nous sommes en train de repenser le modèle, de développer de nouveaux mouvements et de constituer un stock, explique Marc Guten. Nous travaillons également sur le logo et le site Internet. Notre challenge consiste à faire évoluer la marque. Mais cela fait partie du charme et de l’intérêt de notre aventure. »

Ainsi, Manufacture Royale entend proposer de nouveaux modèles à la Foire de Bâle, plus consensuels mais toujours dans le haut de gamme. La marque sera également présente dans les salons du Beau-Rivage à Genève lors du traditionnel SIHH au mois de janvier prochain. Malgré leur production de niche (quelque centaines de pièces), l’objectif sera de vendre le maximum de montres aux détaillants venus du monde entier à ces deux manifestations.

Dès lors, quel est l’atout de Manufacture Royale par rapport à une marque établie ? « La marque dispose d’une manufacture horlogère à Vallorbe. Cette dernière s’est concentrée sur la fabrication de deux mouvements à grandes complications conçus selon les critères techniques de la haute horlogerie. » Et le prix du premier tourbillon, le modèle Androgyne, commence à 50'000 francs, « un atout » selon Marc Guten. En effet, l’entrée de gamme de la plupart des tourbillons des célèbres garde-temps helvétiques se situerait plutôt aux alentours des 100'000 francs.

Quant à leur second modèle, un tourbillon à répétition minutes plus atypique, il démarre au prix de 350'000 francs. Son originalité ? Inspiré de l’Opéra de Sydney, le boîtier s’articule à l’envi pour ressembler au célèbre bâtiment australien. Ce calibre, qui offre plus de 100 heures de réserve de marche, a demandé trois ans de recherche et de mise au point. « Des marques comme nous doivent se différencier des autres pour exister », ajoute Marc Guten.

Un pari risqué
Selon le journaliste spécialisé Michel Jeannot, fondateur du site WtheJournal.com, relancer une marque est très compliqué. En cause, un marché de l’horlogerie saturé et contrôlé par les grands acteurs. « Dans la branche, on parle de 50 millions pour relancer une marque », estime le spécialiste. Ce montant comprend la recherche et le développement des mouvements pour la montre, mais aussi la communication, indispensable dans un marché aussi concurrentiel que celui des garde-temps helvétiques.

Ces montants peuvent être facilement débloqués par des grands groupes. Ce fut le cas pour Swatch Group, qui a réussi à relancer Breguet (rachetée en 1999). De même, Jean-Claude Biver a ressuscité Blancpain en 1983, avant de revendre la marque à Swatch Group en 1992. D'autres marques anciennes n'ont pas connu un tel succès, comme Perrelet (1777) ou encore Julien Coudray (1518), qui vivotent après avoir été reprises.

« Certes, les grands groupes ont des moyens que nous n’avons pas, se défend Marc Guten. C’est pour cette raison que Manufacture Royale entend travailler sur d’autres aspects pour décoller. Nous allons utiliser les relations construites durant nos carrières respectives au sein de la branche, utiliser le bouche à oreille et les réseaux sociaux pour se faire connaître. Cela promet un grand avenir pour notre marque ! »

BILAN

 

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