Pourquoi la France doit capitaliser sur le secteur du luxe
 
Le 07-01-2014

Loin du papier glacé des magazines de mode se cache une réalité : le luxe français possède un nombre incroyable de PME-TPE artisanales travaillant en collaboration ou sous-traitance avec les grands noms du luxe. Ces entreprises doivent être valorisées et défendues. Elles sont aujourd’hui en danger car trop souvent oubliées…

L’industrie du luxe française fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre, tant dans les médias que dans les plaquettes de présentation de nos grandes écoles.

Mais loin du glamour symbolisé par les grandes marques au sein desquelles bon nombre d’étudiants rêvent de faire un stage, représentées par quelques conglomérats nationaux à la suprématie mondiale tels que les groupes Kering (ex-PPR), Chanel SAS, Hermès ou LVMH, se situe une réalité toute autre mettant en scène un nombre d’acteurs aussi variés que géographiquement répartis à travers l’ensemble du territoire français.

UN SECTEUR A PRIORI AUX ANTIPODES DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE SÉRIALISÉE
35 secteurs d’activités employant 131 000 personnes (chiffres 2012, source : comité Colbert) oeuvrent pour un secteur au chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros (en France), en croissance mondiale de 6 à 7 % en 2012. Si l’on s’en tient à ces chiffres, le secteur se porte bien. Mais lorsque l’on parle d’"industrie du luxe", on juxtapose deux termes : car s’il est bien un secteur s’appuyant sur un savoir-faire manuel et artisanal, aux antipodes donc de la production industrielle sérialisée telle qu’elle s’entend en économie, c’est le luxe.

Savoir-faire, héritage, tradition et excellence sont l’apanage du luxe à la française, reconnu comme tel par les pairs du secteur. Preuve en est le chiffre à l’exportation du secteur : 84 %. Or, c’est au sein de ces différents maillons de la chaîne de valeur luxe qu’il y a urgence. La moyenne d’âge des façonniers du luxe dépasse par exemple les 45 ans. Les entreprises travaillant en sous-traitance (ou plus justement comme pourvoyeurs de valeur ajoutée) des grandes marques ne parviennent pas à attirer des jeunes, pour qui il faut au minimum cinq ans pour apprendre le métier. Manquant de sang neuf, ces entreprises sont souvent dépassées par les nouvelles réalités technologiques et sociétales.

Si elles sont équipées des machines dernier cri leur permettant de concurrencer leurs homologues européens (au premier rang desquels les Italiens et les Espagnols), elles se retrouvent en revanche souvent démunies devant toute réalité liée aux NTIC (e-business, progiciels de gestion, communication virtuelle, médias sociaux...) et aux changements de paradigme des modèles de consommation (nouveaux usages, marketing prédictif, consommation responsable etc.). De même, elles sont parfois accusées d’être vieillissantes et de manquer d’innovation, notamment en matière de design.

ASSURER LA RELÈVE, LE RENOUVELLEMENT ET L’ENRICHISSEMENT DU TISSU DES ENTREPRISES DE LA FILIÈRE
Or, quand une entreprise ne peut concurrencer sur les salaires un sous-traitant asiatique ou marocain, c’est bien ses capacités d’innovation et d’excellente qualitative (via par exemple un business modèle dit de TQM – Total Quality Management) qui lui permettront de conserver, voire d’acquérir un avantage comparatif ou compétitif sur la concurrence. Emaillés à travers tout le territoire, les fournisseurs et sous-traitants du luxe sont très spécialisés dans leur niche d’activités et historiquement en concurrence les uns envers les autres au sein d’un même secteur. Les synergies intersectorielles peinent à se dessiner et les fédérations professionnelles tâtonnent quant à la meilleure façon de fédérer au sens propre les entreprises et artisans, peinent à soutenir l’émergence de projets innovants, de jeunes créateurs et nouveaux talents, au-delà de leur logique traditionnelle d’adhésion.

Face à une concurrence internationale exacerbée, il est non seulement clé, mais surtout vital de développer une image commune des produits français vis-à-vis des donneurs d’ordres et d’assurer la relève, le renouvellement et l’enrichissement du tissu des entreprises de la filière. A titre de comparaison, quand on parle de Design Italien, tout le monde voit de quoi il s’agit. L’équivalent français est à ce jour plus flou.

Il s’agit donc bien de développer un réel savoir-faire ‘Made In France’, étendard industriel de la France à l’étranger. Enfin, que dire de ces secteurs d’activités pour lesquels il est presque trop tard : plumassiers, gantiers (une seule formation restante en France en ganterie, alors même que ce secteur d’activité fut le fleuron du luxe français sous Louis XIV), brodeurs (manuels) et autres métiers indispensables au bon fonctionnement de la haute couture, de l’équipement de la maison ou même de l’équipement d’intérieurs de luxe dans l'aéronautique ?

SOUTENIR LE 'MADE IN FRANCE' DANS LE LUXE
Il y a aujourd’hui urgence à aider les entreprises en difficultés, via des plans d’action destinés au soutien de la filière. Il s’agit bien d’un redressement productif à enclencher, dans la ligne droite de la volonté gouvernementale et de ses commissaires au Redressement productif régionaux.

Ainsi, oublions les images pailletées du luxe véhiculées par les magazines de mode, et faisons fi de l’image parfois superficielle associée au secteur. Intéressons-nous aux réalités du terrain, en région et permettons au secteur luxe français de continuer à être la vitrine de notre excellence à l’étranger, aux côtés de secteurs tels que l’aéronautique, les NTIC, les industries culturelles et créatives, le commerce connecté. Cette vitrine n’aura de sens que si elle continue à former, concevoir, et fabriquer largement sur le sol français.

Car enfin l’industrie du luxe française ‘Made in ailleurs’ serait non plus un oxymore mais bien un réel paradoxe. Au regard à la fois des performances et des fragilités de la filière, il apparaît en effet indispensable, ou tout simplement logique, de pérenniser les dispositifs afin de participer au redressement productif du secteur, de contribuer à son ouverture via des hybridations riches de valeurs ajoutées, à son adaptation et à son renouvellement continus ainsi qu’à sa capacité d’innovation matérielle et immatérielle et enfin de soutenir le Made In France.

Dr. Anne-Flore Maman Larraufie, professeur des Grandes Ecoles (ESSEC…), directrice de SémioConsult.
L'usine nouvelle

 

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