Quand la science devient maître du temps
 
Le 30-10-2007

Pour nourrir ses besoins constants de créativité et rester concurrentielle, la haute horlogerie bénéficie désormais d’une approche visionnaire où les artisans se muent en ingénieurs du XXIe siècle.
Nous sommes un mer­credi matin comme tant d’autres à Genève, et pourtant, la rue de la Cité jouit d’une effervescence éton­nante du côté de la petite bouti­que l’ Heure Asch. La presse horlogère a répondu de ma­nière unanime à l’appel du patron du magasin désirant présenter sa nouvelle décou­verte, la marque Greubel Forsey. La présence de tant de journa­listes pourrait paraître incon­grue tant l’industrie horlogère suisse voit naître depuis quel­ques années de nombreuses nouvelles marques horlogères actives dans le segment du très haut de gamme.

Oui, mais voilà. Depuis neuf ans, Denis Hasch s’est forgé une réputation de décou­vreur de talents horlogers hors du commun. C’est notamment à ce Genevois d’adoption pas­sionné d’horlogerie que l’on doit la reconnaissance médiati­que de Richard Mille, créateur visionnaire de garde-temps techniquement révolutionnaires, considéré aujourd’hui comme l’une des valeurs sûres de l’horlogerie du XXIe siècle.

Objectif perfection
Pas étonnant dès lors que la presse accoure pour découvrir le nouveau talent déniché par Denis Asch. A vrai dire, Robert Greubel et Stephen Forsey sont loin de débuter dans cette in­dustrie. Installés à La Chaux-de­Fonds, ces horlogers ont trans­formé leur atelier en véritable laboratoire, entièrement voué à la recherche, la découverte et l’expérimentation d’idées nou­velles tout en respectant les traditions horlogères suisses.

Une approche somme toute très scientifique du métier qui occupe désormais une place de plus en plus importante dans le segment du très haut de gamme, terrain de jeu favori des complications horlogères. Ici, les artisans se muent en ingénieurs du futur, partent à la conquête des matériaux aupa­ravant réservés aux industries de l’aérospatiale ou de l’aéro­nautique. Ils réinventent les concepts horlogers, abandon­nent leur établi pour des logiciels informatiques hyper­sophistiqués, brevettent leurs mécanismes d’une complexité extrême et leurs designs spec­taculaires. Objectif: créer la mesure parfaite du temps.

Innovations majeures
Richard Mille, Greubel Forsey, Urwerk, de Bethune, MB & G, Christophe Claret, Hysek, etc., autant de jeunes marques indépendantes qui obtiennent aujourd’hui non seulement les faveurs des collectionneurs mais également le respect des manu­factures prestigieuses. «L’évolu­tion technologique des concepts horlogers exclusifs est la garan­tie d’un bel avenir pour les ac­teurs de la branche», reconnaît un expert du secteur. Robert Greubel et Stephen Forsey l’ont bien compris. Passionnés, les deux horlogers créent Compli Time en 2001, une structure entièrement dédiée au déve­loppement de mouvements compliqués pour le secteur de l’horlogerie de prestige. Une en­treprise qui leur permet d’entre­prendre un travail qui prend des airs d’obsession: la perfection du tourbillon, ce dispositif inventé au XIXe siècle par Abraham­Louis Breguet permettant de compenser les effets de la gravi­tation. Révolutionnaire, le tour­billon n’en souffre pas moins d’un manque de précision qui horripile Greubel et Forsey.

Leurs noms devenus marque horlogère, les deux hommes travaillent pendant plusieurs années sur un tourbillon ultra­précis. Le Double Tourbillon à 30° naît en 2004, un mouve­ment spécifiquement adapté à la montre-bracelet qui, fort de son angle de positionnement, permet une compensation des erreurs due à la gravité terres­tre dans toutes les positions de la montre portée au poignet.
Suivront trois autres inven­tions brevetées représentant des innovations majeures dans l’industrie de la haute horlo­gerie. Dernière découverte en date, le balancier spiral binôme en «diamantchrone». «L’idée est d’associer le balancier et le spiral avec des matériaux iso­chroniquement stables», expli­quent les horlogers. Pas de doute: entre horlogerie et science, le mariage, tant en termes de technique qu’en ma­tière de jargon, est bel et bien consommé.

Séries très limitées
«Nous en sommes là car nous avons toujours souhaité garder notre indépendance». Défi ultime de l’horloger passionné, l’autonomie n’a toutefois rien d’aisé. Difficile en effet, lorsqu’on investit l’ensemble de son temps et de ses fonds dans la recherche et le développe­ment, de pouvoir entamer une véritable production en série.
Mais les garde-temps de Greubel Forsey sont des produits d’exception. Une réputation qui permet à la petite entreprise – une tren­taine de collaborateurs – de ne pas entrer dans une logique industrielle qui porterait au final atteinte à la qualité des montres. Seule petite infidélité à leur éthique, la collaboration avec Harry Winston en 2006 dans le cadre du concept des Opus, avec un tourbillon Opus 6 totalement exceptionnel. Mais là encore, l’exclusivité domine, puisque la montre n’a été produite qu’à hauteur de 6 exemplaires.

A ce jour, seule une centaine de garde-temps Greubel Forsey ont été déjà fabriqués, chaque pièce nécessitant environ 6 mois de travail. La qualité de ses innovations faisant un tabac à chaque Foire de Bâle la marque possède des carnets de commandes pleins à craquer. A plusieurs centaines de milliers de francs la pièce, la chose a de quoi rassurer les compères horlogers.

Tribune de Genève / FLORENCE NOËL

 

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