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La smartwatch Pebble devance ses concurrentes, par ses nombreuses applications de santé, de coaching et de domotique. Les horlogers suisses surveillent d’un œil.
Elle est fine, carrée, étanche, et dispose d’un cadran (noir-blanc) qui peut être personnalisé pour évoquer un garde-temps classique, une montre numérique des années 1980 ou alors le logo de l’alliance rebelle dans «Star Wars». Pebble est une petite marque de «smartwatch» indépendante, dans un univers dominé par des géants comme Samsung ou Sony, qui ont tous deux lancé leur montre intelligente l’automne dernier, en attendant Apple.
La Pebble se connecte à un smartphone (Android ou Apple) par une connexion sans fil Bluetooth. Elle permet de consulter ses SMS, ses e-mails et ses notifications Twitter, Facebook ou WhatsApp. Elle permet aussi de voir les appels entrants — mais pas de téléphoner — et de contrôler la musique stockée sur son téléphone. «Il s’agit d’un produit révolutionnaire, estime Ben Wood, un analyste chez CCS Insight. La connectivité avec le téléphone portable est très bonne, le design est agréable et l’écran e-paper (qui fonctionne au moyen d’une encre électronique) prolonge la durée de vie de la batterie.» La Pebble ne doit être rechargée qu’une fois par semaine en moyenne.
Mais ce qui la distingue vraiment de la concurrence, c’est la plate-forme d’applications open source qu’elle vient de lancer, début février. «Toute personne qui a une chouette idée peut créer une application pour la Pebble», explique le fondateur, Eric Migicovsky, dans le magazine américainForbes.
L’app store de la marque californienne met notamment l’accent sur la santé. Pour Neil Mawston, consultant chez Strategy Analytics, «l’idée est d’avoir une sorte de moniteur sportif ou de docteur portable, accroché à son poignet». Un endroit crucial du corps, puisqu’il permet de mesurer son pouls ou la tension artérielle. «On peut aussi enregistrer ses heures de sommeil, le nombre de pas effectués dans la journée, la distance parcourue à vélo ou le nombre de calories consommées», ajoute l’analyste Ben Wood. Des informations qui peuvent ensuite être relayées directement à son médecin ou être utilisées pour organiser sa séance sportive. Certaines applications vont plus loin encore.
GroPro permet de contrôler une minicaméra vidéo à distance, PebbleBucks permet de payer son café chez Starbucks à l’aide d’un code-barres qui s’affiche sur l’écran de la montre, Huebble permet d’allumer et d’éteindre à distance la lumière chez soi si on possède le système d’éclairage Philips Hue, et l’application Leaf permet de faire de même avec les radiateurs. Pebble s’est en outre associé avec iControl et Twine, deux start-up qui travaillent sur la connectivité des objets.
«Les montres intelligentes vont modifier la façon dont nous interagissons avec les ordinateurs et les autres objets connectés, anticipe Yann Bocchi, professeur à la Haute Ecole de gestion du Valais et spécialiste de l’internet des objets. Elles servent de nouvelle interface pour remplacer l’éternel couple clavier-souris, notamment lorsque l’usage d’un ordinateur ou d’un smartphone n’est pas adapté, par exemple lorsque l’on fait la cuisine.» Le résultat sera une interaction en continu avec les objets intelligents de notre quotidien.
Mise en vente début 2013, la Pebble est l’œuvre d’Eric Migicovsky, un Canadien de 27 ans qui a démarré à 16 ans en travaillant pour la start-up de son oncle, en plein boom dotcom. Pour financer sa création, il a lancé une campagne sur Kickstarter, le site de financement participatif, en avril 2012. En 12 heures, il avait récolté 500′000 dollars. Quelques jours plus tard, ce montant dépassait les 3 millions. Ce succès s’est aussi traduit en ventes: en novembre dernier, il s’était écoulé quelque 100 000 Pebble. La firme basée à Palo Alto, en Californie, est passée de 11 à 40 employés en 2013.
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La Pebble de base (en rouge, orange, noir, blanc et gris), coûte 198 fr. sur smartwatch-shop. ch. La version en acier coûte 319 fr. En comparaison, la Galaxy Gear 2 de Samsung coûte 250 fr.
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RÉACTIONS
«L’arrivée sur le marché des smartwatches est une grande source de vulnérabilité pour l’industrie horlogère suisse», estime Neil Mawston, consultant chez Strategy Analytics. Les principaux intéressés ne semblent pas s’en inquiéter. «Ces montres électroniques sont un gadget, avec lequel on «joue», juge Peter Stas, le directeur de Frédérique Constant. Nos clients considèrent nos produits comme un bijou, avec une valeur émotionnelle.» Pour Alain Spinedi, CEO de Louis Erard, «les smartwatches pourraient jouer un rôle identique à celui des Swatch dans les années 1980, à savoir celui d’un accessoire de mode». Par contre, à long terme, les jeunes «auront besoin d’une vraie marque horlogère pour établir leur personnalité et leur statut». Et de préciser que le design très masculin «ne devrait pas beaucoup intéresser les dames».
Chez Zenith, on souligne qu’on «ne vend pas l’heure, mais un état d’esprit, l’appartenance à un club exclusif et intemporel». Bruno Grande, le directeur de JeanRichard, abonde: «Nos montres sont réalisées par des vraies personnes, à l’établi, avec un savoir-faire hérité du XVIIe siècle.» Prudent, Thomas Houlon, le directeur de la diversification de Tag Heuer, pense qu’il «ne faut jamais sous-estimer un produit qui se porte au poignet, où il n’y a de la place que pour un seul objet.» Mais estime que les smartwatches manquent de charisme.
Ce scepticisme n’a pas empêché une poignée de marques suisses de se lancer sur le segment des montres intelligentes, à l’image des firmes genevoises Kronoz (avec la ZeNano) ou Hyetis (avec la Crossbow). Swatch, le groupe horloger le plus menacé par l’arrivée des smartwatches, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Il avait lui aussi fait une tentative avortée en 2004, avec son modèle Paparazzi, développé avec Microsoft.
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Une version de cet article est parue dans le quotidien Le Matin.
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