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La croissance des ventes devrait être supérieure outre-Atlantique que sur les autres marchés. Le pays a encore un fort potentiel pour le secteur
Lorsque vous demandez à un horloger suisse ce qu’il pense du marché américain pour les montres, la réponse est invariablement la même. «Hormis les deux côtes, Est et Ouest, c’est un peu un no man’s land.» S’il existe bien des hauts lieux pour les ventes de garde-temps, comme New York, Miami ou Los Angeles, le reste du pays n’est encore de loin pas l’eldorado espéré au vu du nombre de clients potentiels et de leur pouvoir d’achat comparativement élevé. Le taux de pénétration des montres «Swiss made» y reste modeste en comparaison avec d’autres pays.
Pourtant, il semble que la situation s’améliore petit à petit dans la première économie mondiale. Après le creux de la vague suite à la bérézina financière de 2008, le marché du luxe américain a rebondi avec vigueur, soutenu notamment par un secteur immobilier plus vigousse et une bourse quasi euphorique. Et ce pays connaît une progression des ventes d’articles haut de gamme supérieure à celle que l’on observe en Chine. Le cabinet Boston Consulting Group prévoit «une croissance pour ce secteur de 7 à 8% aux Etats-Unis cette année, légèrement supérieure à la hausse prévue au niveau mondial, de 6 à 7%».
«Les Etats-Unis restent le principal marché mondial du luxe, avec 65 milliards d’euros de ventes en 2013 sur un total de 217 milliards», rappelle cependant Bain & Company. Ce pays a donc toujours été très important pour les marques de luxe européennes. Antoine Belge, analyste chez HSBC et spécialiste du luxe, relativise lui aussi et refuse même de parler d’un retour en grâce du marché du luxe aux Etats-Unis. «Je suis très étonné d’entendre cela. C’est un des marchés les plus dynamiques sur ces cinq dernières années avec des croissances à deux chiffres depuis la crise de 2008-2009!» Scilla Huang Sun, gestionnaire de fonds chez Swiss & Global Asset Management, confirme elle aussi que le luxe a connu des taux de croissance robustes aux Etats-Unis au cours des dernières années, même si, dans son ensemble, la pénétration de luxe aux Etats-Unis est plus faible qu’en Europe.
En l’état, les Etats-Unis ont simplement retrouvé leur statut de catalyseur pour le luxe. «Depuis quelques années, on parle surtout de la Chine, peu de l’Amérique du Nord. Or, c’est le seul marché mature dans le luxe qui a encore un fort potentiel, contrairement à la France ou à l’Italie», a estimé lundi François-Henri Pinault, patron du groupe Kering. L’ex-PPR, qui s’est focalisé sur le luxe ces dernières années, réalise 21% des ventes outre-Atlantique. «Il ndlr: ce marché] est aussi clé en termes d’équilibre entre les différentes régions du monde», a poursuivi l’homme fort de Kering.
Il faut dire que la bulle chinoise, qui a cristallisé toute l’attention ces dernières années, s’est quelque peu dégonflée. Notamment en raison d’une nouvelle politique de lutte contre les cadeaux liés à la corruption. L’attention se tourne donc à nouveau vers les Etats-Unis. Et le potentiel est encore de taille. Car les groupes de luxe ne réalisent que de 15 à 25% de leurs ventes dans ce marché de quelque 320 millions de personnes. En Asie, la part de leur chiffre d’affaires se situe en comparaison entre 30 et 40%. Il existe donc encore un réservoir de taille pour le luxe. «Les Etats-Unis représentent 19% du marché du luxe, alors qu’ils comptent 29% des millionnaires de la planète, d’après Sarah Willersdorf du Boston Consulting Group (BCG), citée dans Les Echos. Il y a aussi une forte aspiration des classes moyennes, de plus en plus éduquées, à ces produits.»
Mais ce n’est pas tout. Pour Scilla Huang Sun, c’est aussi l’important flux de touristes aux Etats-Unis qui a soutenu la demande. D’ailleurs beaucoup de sociétés ont engagé du personnel de vente parlant mandarin dans leurs boutiques nord-américaines. La faiblesse du dollar, ou respectivement la force de l’euro, a ralenti le nombre de visiteurs en Europe, au bénéfice des Etats-Unis. Que ce soit les Brésiliens à Miami, les Chinois à Los Angeles ou San Francisco, ou encore les Japonais à Hawaii, la manne ne cesse de croître. D’après Euromonitor, les Etats-Unis ont été le premier pays, en 2012, à bénéficier des dépenses des touristes avec 15 milliards de dollars. Le luxe ne repart donc pas à la conquête de l’Ouest mais y voit une alternative bienvenue au ralentissement observé en Chine. Ce n’est donc pas un hasard si Gucci vient d’inaugurer son plus grand point de vente dans le monde à New York, sur la fameuse 5th Avenue.
Selon le cabinet Bain, les Etats-Unis devraient être le principal contributeur au développement mondial du secteur dans les cinq ans. Le haut de gamme semble particulièrement porteur. Car «si on considère le luxe accessible, la part des achats est presque identique aux Etats-Unis qu’en Europe», détaille Luca Solca, analyste chez Exane BNP Paribas.
Bastien Buss
[LE TEMPS |