L’horlogerie française existe toujours
 
Le 15-10-2014

La préface du livre intitulé « Horlogerie française, les artisans du temps » est signée du maître horloger constructeur François-Paul Journe, porte-parole à cet instant d’une profession qui a pour moteur de ses efforts « la volonté de se surpasser » écrit-il, avant d’ajouter : « La récompense suprême sera de partager avec un autre amateur le plaisir et l’admiration du travail fini ». Sur la page en regard, les premières lignes de l’introduction confrontent le lecteur à la réalité : « À l’heure où son devenir s’inscrit dans les manufactures suisses et les laboratoires de développement japonais, l’horlogerie contemporaine a fait oublier le rang qu’elle a tenu dans la France économique, industrielle et artistique » (…) Sous le premier Empire, plus de neuf cents ateliers parisiens d’horlogers, de doreurs, bronziers et ciseleurs contribuèrent à produire pas moins de neuf mille pendules et trois cent mille montres… C’est cet ensemble de professions, tissu artisanal vivant des métiers de l’horlogerie française, que nous voulons présenter ici de la manière la plus exhaustive et documentée » prévient l’auteur, Bruno Cabanis, présenté par la maison d’édition Eyrolles comme « photographe œuvrant plus particulièrement dans le champ de l’artisanat français et des métiers d’art ». Illustration de l’intérêt du public connaisseur : l’ouvrage publié en 2012 fait l’objet aujourd’hui d’une nouvelle édition.

Les 264 pages conduisent le lecteur à travers l’hexagone à la découverte d’une vingtaine de métiers, parmi lesquels la rénovation de cadrans par les établissements Bourrier situés aux Issambres, la fabrication de boites de montres Elinor dans la banlieue parisienne, la gravure sur métal signée Karen Charrier ou encore la conception de bracelets sur mesure dans les ateliers de Jean-Claude Perrin à Paris.

Guillocheur main, créateur de pièces à secret, restaurateur de pendules, mécanicien, marbrier d’art, tourneur sur bronze, ciseleur, bombeur de verre, fabricant d’aiguilles, graveur, doreur, estampeur, ébéniste, émailleur… Certains de ces professionnels photographiés à leur établis entourés de leurs outils, cherchent à promouvoir la transmission par la formation de leurs compétences, conscients qu’ils sont parfois les derniers détenteurs en exercice de leurs techniques et connaissances, observe Brunos Cabanis. « Puisse ce livre témoigner, techniquement et historiquement, de la richesse d’une industrie si dynamique par le passé et qui, à l’exemple de la Suisse, recèle un gisement d’emplois et de richesses considérable » constate-t-il aussi. « Pour autant, le poids de l’industrie horlogère est important dans notre pays » rappelle-t-il : « L’industrie horlogère française existe toujours au travers de Pequignet, Beuchat ou Yema, et des marques alliant horlogerie et joaillerie comme les signatures de Cartier, Chanel, Boucheron… Certaines de ces manufactures équipent leur garde-temps d’un calibre maison. D’autres ne font pas mystère de l’origine suisse ou japonaise de leurs excellents mouvements. Moins médiatisées, mais extrêmement dynamiques, de nombreuses sociétés françaises, souvent localisées dans le Jura, travaillent en sous-traitance pour l’horlogerie suisse, constituant d’indéniables pôles de compétences et de technologie ».

« L’ancrage territorial reste fort avec près de 60% des entreprises françaises situées en Franche-Comté alors que la région parisienne est spécialisée dans la création. On assiste à des migrations d’effectifs importantes de la France vers la Suisse : 30 à 60% de la main d’œuvre française travaille dans les entreprises horlogères suisses » confirment Isabelle Massa et Fabien Seraidarian, collaborateurs du cabinet Mazars, auteurs d’une étude qualitative sur la filière du luxe réalisée pour le compte de la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) et rendue publique au mois de juillet.

Leur rapport intitulé « Les savoir-faire dans la mode et le luxe. Quels enjeux pour la filière française ? » indique que le marché français de l’horlogerie est « structuré entre le géant helvétique Swatch Group, de grands groupes (Richemont, LVMH), de rares manufactures françaises encore indépendantes et quelques sous-traitants ».

D’après la Fédération de l’Industrie horlogère suisse (FH), les importations de la France étaient de 3,1 milliards de dollars en 2013 pour des exportations estimées à 2,4 milliards, dont une large partie constituée de réexportations à destination d’autres marchés européens. La Suisse est restée le premier pays exportateur de produits horlogers en 2013 à hauteur de 23,6 milliards de dollars pour des importations estimées à 3,7 milliards de dollars.

La filière tricolore compte environ 3700 emplois (1900 en Franche Comté) répartis dans 85 entreprises pour un chiffre d’affaires total en 2012 de 285 millions d’euros (Ecostat, mai 2013). Parmi les recommandations formulées pour l’aider à se développer, il est conseillé à court terme de mieux informer les dirigeants sur les dispositifs d’aide existants ou sur les exemples de diversification réussis et de les accompagner dans leur développement à l’international. À plus long terme, « la France trouverait sa place par rapport à l’hégémonie suisse et pérenniserait les savoir-faire français avec une hyper spécialisation assumée et forte dans la microtechnique et le SAV. De plus, des synergies avec les secteurs bijouterie-joaillerie, lunetterie et maroquinerie permettraient le développement des entreprises » peut-on lire.

Inventer un nouveau processus dynamique, notamment par la formation et la fidélisation de talents : telle est la complication à laquelle les artisans horlogers français semblent devoir trouver aujourd’hui une solution s’ils veulent valoriser durablement une nouvelle génération de savoir-faire.

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